H2S
Autres titres:
Réal: Roberto Faenza
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Science-fiction
Durée: 81mn
Acteurs: Denis Gilmore, Carole André, Lionel Stander, Franco Valobra, Paolo Poli, Giancarlo Cobelli, Alfred Thomas, Isabel Ruth...
Résumé: Dans une société futuriste répressive le jeune Tommasso est enrôlé dans une étrange fabrique où on dépersonnalise l'être humain afin de détruire toute forme d'individualisme et de créer des êtres parfaitement obéissants. Lors d'un leçon une jeune femme se rebelle. Si elle est mise hors d'état de nuire la rébellion a cependant commencé. Tommasso parvient à fuir en compagnie d'Alice. Ils se réfugient dans les montagnes mais après quelques temps Tommasso réalise qu'Alice est rongée par le modernisme et qu'elle est dangereuse. Après qu'elle ait tenté de l'émasculer il s'enfuit et retourne à la fabrique où on le prépare pour un lavage de cerveau intensif...
Après avoir réalisé quelques courts-métrages et travaillé un temps pour la télévision le turinois Roberto Faenza met en scène son premier film en 1968, Escalation, une comédie singulière qui se veut une critique féroce de notre société de consommation et du capitalisme réalisée sous forme d'une sorte de bande dessinée grotesque, excentrique. A sa sortie en Italie Escalation connut bon nombre de démêlés avec la censure du fait du coté subversif de certaines scènes. Faenza va très vite être vu comme un réalisateur marginal et rebelle. Cette réputation ne fera que s'accroitre lorsque sort son deuxième film H2S, une
nouvelle comédie encore plus acide qui va obliger le metteur en scène à s'exiler de longues années en Amérique avant de revenir en Italie à la fin des années 70.
En étudiant les rats l'Homme en est venu à la conclusion que l'individualisme ne mène qu'à la ruine puis à l'extinction de l'espèce. Dans une société futuriste une importante fabrique-école totalement aseptisée, la Tekne, endoctrine ses employés. C'est justement par elle que le jeune Tommasso vient d'être embauché. Pour son premier jour le Professeur lui fait visiter les lieux. C'est tout d'abord une fillette robot télécommandée qui lui est présentée. Il assiste ensuite à un cours donné par le Chef, un dictateur qui explique aux employés-élèves la
philosophie qui régit tout le système de l'usine, une philosophie basée sur la dépersonnalisation et la manipulation de l'esprit afin d'obtenir une entière obéissance. Lors de la leçon une jeune femme, Bea, au nom de la liberté individuelle se rebelle, suivie des autres élèves. Décontenancé le Chef prétend se ranger du coté des contestataires mais en accord avec la Centenaire, la vieille femme qui de son château dirige la fabrique, il piège Bea en l'invitant chez la Centenaire. Elle y sera empoisonnée, étranglée puis cuite au four pour mieux être dévorée. Pendant ce temps à l'usine le Professeur s'est laissé tenter par la révolution et a rejoint les élèves pour faire tomber le Chef et prendre sournoisement sa
place. Tommasso, de plus en plus désorienté par ce qu'il vit, réussit à s'enfuir de l'usine avec une jeune femme nommée Alice. Ils partent dans les montagnes enneigées accompagnés d'un Saint-Bernard, érigent une tente et vont ensemble découvrir les plaisirs ludiques de l'amour. Mais plus le temps passe plus Alice s'ennuie. Elle doit chaque jour inventer de nouveaux jeux. Au fil du temps Tommasso réalise qu'Alice est une femme violente, un animal à l'instinct primitif rongé par le modernisme et le consumérisme. Lors d'un jeu elle tente un jour de le castrer. Il fuit et retourne à la fabrique désormais dirigée par le Professeur devenu Chef. Il va lui faire subir un lavage de cerveau puis le torturer. A bout de
force Tommasso tente de se suicider en se pendant mais il échoue. Il se voit alors dans l'obligation d'épouser la Centenaire. Alors que les préparatifs du mariage battent leur plein Tommasso qui a malgré tout choisi la voie de l'individualisme et de la rébellion réserve à tous une belle surprise. Il a caché dans la poche de son gilet de marié une bombe.
Pour son second film Faenza a confectionné une fable futuriste surréaliste à la George Orwell, une histoire anarchique sombre et désespérée, une métaphore qui se donne pour but de mettre en garde contre les dangers de l'aliénation, du conditionnement de masse qui caractérise les sociétés capitalistes rongées par le consumérisme. Faenza nous entraine
dans un terrifiant voyage au coeur d'un monde futur dirigé par un despote qui ne jure que par la répression, la dépersonnalisation et l'obéissance stricte, un monde où toute liberté personnelle, toute émotion, tout sentiment est désormais banni, où l'individualisme est jugé comme nuisible et destructeur. L'humanité est désormais entre les mains de ce dictateur. C'est dans cet univers que se trouve plongé le jeune protagoniste, Tommasso, un univers aseptisé, minimaliste, effrayant représenté par cette fabrique d'une blancheur éclatante où les individus enfermés dans des cubes suivent les leçons du Chef. Typique d'une certaine science-fiction des années 70 l'imagerie de H2S foisonne de créativité. Faenza a choisi la
voie du grotesque comme il l'avait déjà fait pour Escalation mais cette fois de manière démesurée. Si les costumes rappellent quelque peu ceux des Droogs de Orange mécanique les décors aussi minimalistes soient-ils sont fascinants, hypnotiques, d'une géométrie obsédante et terriblement froids, littéralement impossibles à décrire tant ils sont fous et surtout nombreux au même titre que les inventions, les trouvailles que déploient sous nos yeux ébahis Faenza notamment dans la première partie. La plus angoissante est celle de la fillette robot télécommandée par le Professeur, parfait symbole de l'obéissance (et l'occasion aussi de montrer une petite fille nue à l'écran qui de surcroit tue un poisson
rouge face caméra et sans trucage). La plus inattendue est celle où Bea est avalée par un four béant pour être rôtie et dévorée. Certes on est sans cesse dans l'exagération, le symbolisme délirant mais le metteur en scène parvient néanmoins à créer un certain malaise notamment lors de la première partie.
Cette extravagance visuelle totalement en phase avec son époque, ce coté pop-art disparait au cours de la deuxième partie, celle qui narre la fuite de Tommasso et d'Alice dans les montagnes enneigées. Le ton change, se fait plus humain, plus primitif également (Tommaso et Alice sont vêtus de peaux de bête). En se faisant un peu plus rationnel mais il
gagne malheureusement en monotonie d'autant plus que cette parenthèse est légèrement trop longue et loufoque. Ceci n'empêche pas le récit de garder sa folie visuelle notamment celle de cette tente dressée au milieu de la montagne dans la neige qui vue de l'intérieur semble être un véritable labyrinthe aux murs faits de papier alu! Tout aussi fous sont les jeux qu'inventent les protagonistes pour tuer le temps notamment celui où Tommasso est transformé en statue de neige puis "fondu".
On retrouvera toute la démence du récit lors de l'ultime partie qui met en scène les diverses tortures du pauvre Tommasso et son lavage de cerveau, un lavage de cerveau au sens
propre comme figuré. Si jusque là H2S nous avait habitué à des trouvailles de génie, des machines extraordinaires mises au service du Pouvoir, ce n'est rien face à la terrible invention du Professeur pour déshumaniser, lobotomiser l'Homme. Tommasso va tout simplement passer à la machine à laver, programme sur barbotage-lavage-essorage, et la caméra de faire voir les différentes étapes tandis que la lessive fait son travail. Une fois bien lavé il n'y a plus qu'à sécher Tommasso et recouvrir son corps nu du symbole chimique H2S, celui de l'acide sulfurique qui ronge, désintègre ou la métaphore idéale!
A film fou personnages fous. Lionel Stander est un Professeur sournois, inquiétant,
sardonique mais O combien divertissant dans toute sa folie. Etonnant, malaisant est le grand acteur de théâtre Paolo Poli dans le rôle de la Centenaire, une vieille femme vaporeuse démesurément grande, à la démarche mal assurée, véritable poupée désarticulée à la voix monocorde chevrotante, sorte de sorcière tout en dentelles noires qui vit dans un château décadent aux décors charbon scintillant d'or et de cristal. L'anglais atypique Denis Gilmore, l'enfant roux chéri des séries télé britanniques, est un Tommasso au look de Hobbit, entre les mains du pouvoir. Carole André est quant à elle la jeune Alice.
Tourné entre Rome, Londres et Courmayeur en France pour les séquences en montagne
H2S n'est pas une œuvre parfaite. Le film souffre d'un rythme inégal (la parenthèse montagnarde qui casse le ton angoissant du film) et d'une narration pas toujours très clair. Elle se fait par moments confuse de par l'avalanche de symboles certes recherchés mais nébuleux dont Faenza use et abuse, pouvant rendre le récit un peu trop hermétique aux yeux de certains. Cependant il faut admettre que cette comédie de science-fiction contestataire ne laisse pas indifférent. Très ancrée dans l'ère de son temps H2S se situe quelque part entre le cinéma d'auteur et la vague avant-gardiste. On peut saluer l'étonnante créativité de Faenza, sa capacité à avoir su rendre plausible cette effrayante société futuriste basée sur
l'aliénation de masse. On appréciera les décors aseptisés, délirants, très vintage pop, la richesse des costumes et la jolie musique de Ennio Morricone. Mais la grande force de H2S est d'être aujourd'hui encore dangereusement d'actualité. Même si certaines idées sont un peu désuètes rien n'a vraiment changé, bien au contraire. H2S peut faire peur.
A sa sortie en Italie le film alors interdit aux moins de 14 ans fut immédiatement saisi par le procureur de la république de Rome et mis sous séquestre, jugé proprement subversif. Il faut dire que H2S fut un véritable choc pour la censure et les bien pensants d'alors. Il fallut
attendre deux ans pour que le séquestre soit enfin levé. Sans grand succès il fut brièvement distribué en salles en 1971 avant de disparaitre des écrans radar et de sombrer dans l'oubli. Denis Gilmore révélait lors d'une récente interview n'avoir jamais vu ce film dont il est très fier du fait de sa totale disparition. C'est un fan qui lui en procura une copie issue d'un de ses rares passages télévisés pour son plus grand bonheur.
Révolté par la manière dont ses pairs réagissaient, déjà mis à mal par le rejet de Escalation, Roberto Faenza après "l'affaire H2S" décida de quitter son pays et s'exila aux USA pour ne revenir qu'en 1979.