The lifetaker
Autres titres: Le preneur de vies / Celos de un casado / Amanti / I goiteia tis sarkas
Réal: Michael Papas
Année: 1975
Genre: Thriller
Durée: 95mn
Acteurs: Dimitris Andreas, Lea Brodie, Peter Duncan, Terence Morgan, Anna Mottram, Paul Beech, Leon Silver...
Résumé: Lisa est belle mais trop souvent seule dans son immense propriété. Son mari souvent parti en voyage pour ses affaires est éperdument amoureux de son épouse. Lors d'une de ses absences, Lisa rencontre un jeune homme qui lui fait immédiatement perdre la tête. Elle va l'héberger et se donner à ce corps frais et fougueux. C'est sans compter le retour impromptu du mari qui va les surprendre dans le lit conjugal, enlacés. Feignant de revenir à la date prévue, il accueille le jeune amant chez lui. Un horrible jeu à la fois pervers et sadique va s'instaurer dans cet étouffant huis-clos...
Prenez trois personnes plus odieuses les unes que les autres, un homme, son épouse et son jeune amant, rassemblez les dans une vaste demeure perdue au milieu de la campagne pour que le mari cocufié puisse assouvir sa vengeance et vous obtenez le point de départ de The lifetaker, un petit film anglais méconnu voire aujourd'hui totalement (et injustement) oublié.
Le scénario n'est guère original mais son traitement l'est par contre beaucoup plus. C'est de là que provient tout l'intérêt de cette pellicule particulièrement troublante et angoissante.
Pas de préambule ici tout va très vite. D'entrée Michael Papas, obscur et peu prolifique producteur-metteur en scène d'origine grecque, introduit ces trois personnages sortis de nulle part. Nous faisons tout d'abord connaissance avec Lisa, jeune femme mariée à un homme d'affaires actuellement en déplacement à Londres, puis Richard, un adolescent angélique entrain de piquer une tête dans le lac de la vaste propriété de Lisa située en pleine campagne londonienne. Qui est il? D'où vient il? Peu importe il est là, frétillant dans l'eau à demi-nu sous le regard étonné mais apparemment ravi de Lisa qui l'invite sans plus tarder à passer la soirée chez elle. Quand on est seule et qu'on s'ennuie il n'y a pas de
sottes distractions!
Peu crédible est cette ouverture mais Papas est aussi rusé que ses personnages. Ce qui peut sembler de prime abord pas très cohérent le devient tôt ou tard dans le contexte particulier de ce film déroutant. Sous son apparence d'épouse modèle Lisa cache en fait une femme délaissée et frustrée qui soudainement voit en ce bel adonis un moyen de vivre une relation fougueuse, passionnelle, sexuelle. Richard est une sorte de providence venue du ciel. Et cet ange blond aussi gracile que gracieux surgissant des eaux de manière quasi christique ne semble t-il pas tout droit sorti des limbes du Paradis? Tout aurait été simple si
James, le mari éconduit, n'était pas rentré en pleine nuit, à l'improviste, et n'avait pas surpris sa femme dans le lit conjugal avec l'éphèbe, gémissant sous ses caresses. Refoulant sa colère et son humiliation, il repart discrètement et fera mine de rentrer le lendemain en ayant bien pris soin de planifier une vengeance aussi subtile que cruelle.
Toute la première partie de ce huis-clos malsain est consacrée à la torride relation entre Lisa et le jeune bellâtre. En quelques 45 minutes, Michael Papas dresse le portrait de trois personnages particulièrement antipathiques sous leur apparente gentillesse. Lisa est une parfaite épouse, docile et soumise, toute dévouée à son mari qui se transforme en vamp
lorsque l'occasion se présente, un être frustrée qui ne demande qu'à assouvir ses appétits sexuels réfrénés qu'un mariage routinier avec un homme vertueux plus vieux qu'elle ne parvient pas (plus?) à satisfaire.
Malgré son jeune âge le séduisant Richard à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession est un être rusé, malin, plein de surprises, arrogant et perfide, bien peu respectueux. Quant à James, le mari, c'est un homme maniaque, plein de principes, austère, un passionné d'arts martiaux japonais qui dissimule un passé secret. Durant la seconde guerre, il fut en effet un tortionnaire qui tuait ses victimes pour le plaisir. L'adultère de sa femme fera resurgir le guerrier et le bourreau qui sommeillent en lui.
Du thriller érotique The lifetaker passe dans sa seconde partie à un huis-clos plutôt impressionnant. Le film se transforme en un terrible jeu du chat et de la souris où chacun des adversaires s'avère plus rusé l'un que l'autre. James va tenter d'amadouer le jeune homme que sa femme lui présente comme un simple invité de passage, de le cerner pour mieux le cercler, jouer avec lui pour mieux le tenir à sa merci et étouffer cet irrévérencieux freluquet. Richard, rusé, esquisse les pièges que lui tend son ennemi pour mieux à son tour le piéger. Reste à savoir qui sortira vainqueur de cette confrontation et à quel prix.
Tout l'intérêt vient de la façon dont Papas présente ce jeu dont est témoin la jeune femme. Il
laisse en effet sans cesse l'ombre du doute quant à ses limites si toutefois il s'agit vraiment d'un jeu et non d'une lente mise à mort bien réelle. On reste le plus souvent dans le flou. De cette ambiguïté le film tire une grande partie de sa force jusqu'au final explosif cruel et sanglant qui apporte enfin la réponse. James redevient le tortionnaire qu'il fut autrefois. Il abat froidement cette épouse indigne lors d'une séquence qui longtemps encore fera frissonner tant elle montre la cruauté de cet être dénué de tout sentiment et remord. Le long calvaire de Richard est tout aussi impressionnant ou comment le lion ne fera qu'une bouchée de sa proie, jouant de sa lente agonie après avoir exécuté son plan machiavélique avec une assurance stupéfiante.
Mais il faut pourtant savoir se méfier des apparences. Tout aurait été légèrement trop facile si Papas n'avait pas eu la très bonne idée d'un retournement de situation étonnant, le fameux petit grain de sable qui fera s'effondrer l'édifice et conduira à l'affrontement sanglant, d'une violence inouïe, entre le mari et l'amant lors des cinq dernières minutes, une conclusion dont la brutalité pourra déranger les âmes les plus sensibles jusqu'à l'ultime image, christique qui renvoie à l'apparition du jeune homme en ouverture de film. La boucle est bouclée
Outre cette incessante ambiguïté et l'antipathie, le machiavélisme des personnages, un des
autres atouts de The lifetaker est de souvent jouer la carte du fantastique que vient renforcer une magnifique photographie et de splendides décors. Dés les premières minutes le film comme les protagonistes baignent régulièrement dans une sorte de nuage d'irréalité. Surgi de nulle part Richard garde tout au long du film une aura de mystère. La vaste demeure et son immense parc prennent un air inquiétant dés la nuit tombée, les protagonistes se tapissent dans l'ombre, guettent, espionnent dans le noir sans oublier le cauchemar de Richard qui sous l'effet de l'alcool se voit catapulter au milieu d'une guerre où il assiste aux atrocités commises par James avant d'être littéralement avalé puis recraché par un charnier. Et que cache donc cette mystérieuse pièce secrète dont seul James possède la clé, un mystère que découvrira Richard et qui donne au film son titre?
On pourra peut être reprocher à Papas d'user et abuser de zooms et autre grand angle mais on soulignera l'efficacité de la bande originale tribale et entêtante qui se mêle aux notes de violons graves récurrentes aux productions horrifiques.
L'érotisme tient une place très importante. Lisa et Richard se laissent aller à leurs ébats charnels, de torrides corps à corps que Michael Papas filme avec beaucoup de sensualité, une sensualité à fleur de peau comme en témoigne la superbe séquence d'ouverture, quasi foetale. Les corps se mêlent, s'enlacent, s'embrassent font naitre, monter chez le spectateur non seulement le désir mais aussi l'excitation. Il sait jouer avec la nudité de ses
protagonistes, les déshabille aussi souvent qu'il le peut mais jamais gratuitement encore moins de manière vulgaire.
L'interprétation est à la hauteur du film. L'envoutante Lea Brodie connue également sous le nom de Lea Dregorn (Les 7 cités d'Atlantis, Cosmos 1999) est une superbe Lisa sensuelle et fragile. Peter Duncan, jeune éphèbe blond, un ex-scout qui débuta à l'écran à 15 ans, possède tout l'angélisme de son personnage, magnifiquement détestable. Connu jusque là pour ses nombreux rôles mielleux à la télévision Duncan fut à l'origine d'un véritable scandale dont la presse s'empara suite à ce rôle très sexuel pour lequel il joue très souvent
nu. Il dut se faire par la suite quelque peu oublié du public avant d'entamer avec succès une grande carrière de présentateur à la télévision tout en continuant son métier d'acteur et de comédien de théâtre. Quant à l'implacable Terence Morgan, acteur venu de la télévision qui rappelle quelque peu Jack Palance, il possède le physique de son rôle, austère et froid.
Sorti autrefois en vidéo chez nous mais n'ayant malheureusement encore jamais fait l'objet d'une édition numérique The lifetaker est un thriller anxiogène puissamment érotique, violent, troublant, peu banal, un jeu féroce intelligemment mené qui tient en haleine du début à la fin. Voilà une véritable curiosité à (re)découvrir qui en 45 ans n'a rien perdu de son pouvoir de séduction, ni de son ambigüité encore moins de sa brutalité. Quel dommage qu'aucun éditeur n'ait encore eu la brillante idée d'en proposer enfin une version numérique.