Splendori e miserie di Madame Royale
Autres titres: Que fais tu... grande folle! / Madame Royale
Réal: Vittorio Caprioli
Année: 1970
Origine: Italie
Genre: Comédie dramatique
Durée: 99mn
Acteurs: Ugo Tognazzi, Vittorio Caprioli, Maurice Ronet, Jenny Tamburi, Luca Sportelli, Luciano Bonanni, Maurizio Bonuglia, Dante Cleri, Gianni Solaro, Tino Boriani, Felice Musazzi, Piero Nistri, Franco Caracciolo, Gino Milli, Simonetta Stefanelli, Nestore Cavaricci, Alberigo Donadeo, Alessandro Tedeschi, Tony Barlocco, Dominik Morawski, Mirko Baiocchi, Eddy Nogaro, Stefano Cattarossi, Lucio Sportelli, Giovanni Bacchino, Dante Fenenziani, Dorrido Berti...
Résumé: Alessio est encadreur de tableaux. Il est homosexuel. Il aime trainer la nuit avec ses amis travestis, prostitués et autres folles aux abords du Colisée à la rencontre de plaisirs éphémères. C'est là qu'est retrouvé le corps d'un de ses vieux amants. Un soir Alessio est abordé par un homme qui le suivait. Il s'agit en fait d'un commissaire de police bien décidé à trouver l'assassin. Chaque samedi Alessio se travestit en Madame Royale et organise des soirées décadentes chez lui où l'on danse et déclame des textes d'hier en français. Lorsque Mimmina, la fille de l'ancien amant d'Alessio retrouvé mort, est arrêtée pour avoir avorté clandestinement Alessio lui promet de tout faire pour la libérer. Il accepte de travailler pour le commissaire et de devenir son indic afin qu'il découvre la vérité sur cette mort apparemment liée à un trafic de faux tableaux. C'est pour Alessio / Madame Royale le début de la fin...
L'homosexualité masculine à l'écran a longtemps été un sujet tabou dans le cinéma italien. Il existe peu de films véritablement "gay" même si l'homosexuel fut pourtant régulièrement présent dans bon nombre de pellicules, généralement représenté par la folle de service, un homme efféminé, caricatural, un travesti dont le rôle principal est avant tout d'amuser la galerie. Impossible de l'imaginer autrement dans l'Italie puritaine des années 60 et 70. C'est ainsi qu'une multitude de comédies populaires vont s'en jouer, le polizesco s'en servir comme putains tandis que le giallo le montre comme un être pervers et dangereux. Si biensouvent on pense que La cage aux folles (une comédie cette fois aigre-douce) d'Edouard Molinaro est sous ses airs comiques le premier véritable film gay italien il faut fouiller un peu plus et remonter en fait aux années 40, 1942 plus exactement avec Ossessione de Luchino Visconti, une adaptation non autorisée du Facteur sonne toujours deux fois où le réalisateur laisse planer une ombre d'homosexualité entre le protagoniste hétérosexuel et son compagnon forain bien plus ambigu. C'est en 1972 que le premier vrai film gay voit le jour sous la férule de Alberto Cavallone. Il s'agit de Afrika, un drame féroce qui narre l'histoire d'un amour auto-destructeur que porte un peintre (Ivano Staccioli) pour un gracileéphèbe (Andrea Traglia). Entre ces deux films il en existe cependant un autre, méconnu, oublié, qui d'une certaine manière annonçait La cage aux folles mais sous un angle plus tragique. Il s'agit de Splendori e miserie di Madame Royale réalisé en 1970 par l'acteur Vittorio Caprioli.
Alessio, la cinquantaine, est homosexuel. Il travaille dans un magasin d'encadrement de tableaux. Il aime trainer de nuit avec ses amis au Colisée où chacun cherche un compagnon d'une nuit ou plus. Chaque samedi il organise chez lui des soirées travesties fort spéciales puisque chacun se déguise en personnages historiques. Alessio devient Madame Royaleentourée de la Montespan, Marie-Antoinette et autres Pompadour, à leurs pieds de jeunes gitons. Chacun y récite en français des textes raffinés, dansent et festoient. Une nuit un voyeur découvre aux abords du Colisée le cadavre du Colonel Leonardo Franuchi, assassiné dans sa voiture revêtu de ses atours de travesti. Peu de temps après Alessio est emmené de force à la morgue par un homme qui le suivait dans ses escapades nocturnes. Il s'agit d'un commissaire de police qui le force à reconnaitre le corps. Le colonel était un des ses anciens amants. Il s'occupe de sa fille, Mimmina, qui lui annonce qu'elle a besoin d'argent pour se faire avorter. Alessio refuse. La jeune fille se fait avorter clandestinement.
Elle est arrêtée et emprisonnée. Pour la faire sortir Alessio n'a d'autre choix que de travailler pour le commissaire. Il sera un temps son indic mais il fait en sorte de le manoeuvrer afin qu'il reste son obligé et que tout le monde sache qu'il est du coté de la police. Grâce à Alessio il parvient à démanteler un trafic de faux tableaux dans la boutique où travaille Alessio et à arrêter les coupables, des proches du pauvre homme. Alessio se retrouve seul. Mimmina est partie vivre sa vie. Il perd son boulot et ses amis se détournent de lui. Il décide de quitter Rome après avoir donné une ultime soirée travestie durant laquelle Madame Royale abdiquera. Le soir venu habillé en Madame Royale Alessio attend ses amis qui ne
viendront jamais. Il s'endort. Il ignore qu'ils ont décidé de lui faire payer sa trahison. Il est réveillé par une voiture qui passe. Le chauffeur lui dit qu'il est venu le chercher pour l'emmener à la soirée. Ils prennent un auto-stoppeur étranger. Madame Royale réalise qu'ils ne prennent pas la bonne route. Prise de panique elle tente de sauver sa peau en se prenant réellement pour Madame Royale. la voiture s'arrête. Alessio se sauve suivi de l'auto-stoppeur. Au petit matin le cadavre de Madame Royale est retrouvé dans le fleuve. Le commissaire n'y prête aucune attention et s'éloigne, méprisant.
Pour son cinquième film Vittorio Caprioli tente plus ou moins bien de traiter des conditionsde vie des homosexuels dans la société italienne de ce tout début d'années 70. Si son film annonce à sa manière La cage aux folles Splendori e miserie di Madame Royale n'est aucunement une seconde Cage aux folles. Il s'agit bien plus d'une comédie aigre douce, une oeuvre plus amère que drôle même si l'humour est bel et bien présent, jamais gras, jamais vulgaire encore moins caricatural. Caprioli joue plus la carte de l'ironie, du second degré, un humour teinté par moment d'un voile de tristesse. Si Molinaro offrait une image festive, drôle, tout en strass et paillettes des homosexuels à travers le couple Renato-Zaza et leurs amis Caprioli dépeint un univers bien plus blême, sordide et surtout marginal. Pour
la première fois à l'écran la caméra ose explorer les abords du Colisée où la nuit travestis, prostitués, homosexuels de tout âge, désillusionnés, se regroupent, se cherchent, se tournent autour dans l'espoir d'un moment de plaisir, de bonheur, toute une faune nocturne hétéroclites où se mêlent les voyeurs. C'est l'un d'eux qui découvrira le corps du colonel, ex-amant d'Alessio, un encadreur quinquagénaire pathétique qui chaque samedi devient Madame Royale, grande prêtresse de soirées travesties décadentes où l'on revit la splendeur du passé tout en déclamant des textes en français approximatif, perruques, crinolines et éventails de rigueur au milieu de jeunes gitons à demi nus. Alessio va bien
malgré lui se retrouver piégé telle une mouche dans une toile d'araignée par un commissaire de police, froid, distant, énigmatique bien décidé à se servir de lui pour trouver qui a tué le colonel. Etrange idée d'avoir voulu mélanger comédie et trame giallesque d'autant plus que l'aspect thriller est assez mal développé. Voilà qui donne un coté bancal à l'ensemble. L'idée de départ était bonne mais le résultat est loin d'être abouti tant et si bien qu'au final le film est décevant sur bien des points.
Outre ce déséquilibre entre comédie et thriller Splendori e miserie di Madame Royale souffre d'une réalisation monotone et surtout l'incapacité de Vittorio Caprioli à créer une
véritable atmosphère, fort certainement le plus gros handicap du film. Difficile de vraiment s'attacher aux personnages, de les prendre en pitié, de partager leurs émotions. Le film se veut triste, très amer, caustique, glauque mais malgré toute sa bonne sincérité Caprioli n'arrive pas à complètement convaincre, faute à ce petit quelque chose qui lui fait défaut. Certaines parties dramatiques auraient mérité d'être traitées différemment comme celle qui touche à l'avortement clandestin de la pauvre Mimmina. La tragédie désirée au départ n'est pas vraiment au rendez-vous créant un sentiment de frustration chez le spectateur qui a senti le potentiel d'un scénario grandiose et audacieux.
Semi échec ou demi réussite Splendori e miserie di Madame Royale n'est heureusement pas un exercice vain car il faut lui reconnaitre de jolies qualités. Applaudissons tout d'abord le courage de Caprioli d'avoir traité un sujet aussi délicat à une époque où on ne parlait pas de ces choses "horribles", "contre-nature". Saluons la manière dont il l'a fait en osant porter un regard sincère, caustique et surtout réaliste du monde homosexuel italien en ce début de décennie, en osant montrer la tristesse, le désespoir, l'univers mélancolique, sombre de ces marginaux. Ce sont très certainement les meilleurs moments du film. On retiendra également certaines séquences parfois étrangement fascinantes comme les soiréesdécadentes de Madame Royale à la fois pathétiques et désespérées, réunions travesties en costumes d'époque grotesques où on se rassemble comme pour oublier le monde extérieur, s'évader hors du temps, se sentir vivre dans la peau d'un(e) autre à l'abri du regard de la société. On sera toujours autant fasciné par les rondes nocturnes de cette faune marginale qui hante le Colisée la nuit, ce monde à part, parallèle qui surgit dés la tombée du jour. Quant au final c'est surement un des meilleurs moments du film, le plus prenant, le plus marquant également. Comment ne pas être saisi à la gorge par les plaintes de Madame Royale, travesti déchu entre les mains désormais de ses futurs bourreaux,
pleurant de peur dans ses beaux atours lorsqu'il/elle comprend que son sort est scellé. Comment oublier cette poupée de chair grotesque qui se prend réellement pour le personnage qu'elle joue (A la Bastille! A la Bastille! s'écrie t-elle en s'enfuyant) trottinant dans la nuit pour échapper à son assassin. Ou quand l'humour n'est plus noir mais vire carrément au vitriol. Quant aux ultimes images elles sont glaciales. Le corps de Madame Royale est retrouvé dans le fleuve, remonté à quai. Le commissaire qui a si bien su se servir d'elle n'a aucun remord, pas une once d'humanité et s'en va, méprisant, sans même la regarder comme si Caprioli voulait imager tout le mépris qu'on peut vouer aux homosexuels,
des êtres qui ne méritent aucune compassion, aucune pitié, juste bons à être des pions dont on se sert et qu'on jette ensuite.
A ce titre le personnage qu'interprète Maurice Ronet, le commissaire, est tout aussi odieux qu'énigmatique. On ne saura jamais réellement ce qu'il cherchait, pourquoi il suivait Alessio, ce qu'il attendait vraiment de lui. Quel jeu a t-il joué avec lui? L'ambiguïté nourrit son rôle jusqu'aux dernières minutes. Est il insensible, imperméable à tout, inconscient, cruel au point de ne pas soucier de la vie d'autrui pour mieux mener à bien son métier? Est il tout simplement homosexuel refoulé incapable d'assumer ses penchants quitte à mépriser les gays? est il simplement homophobe convaincu? Quoiqu'il en soit Ronet est un homme
détestable, cruel qui gardera son mystère et donne au film une partie de sa force. Face à lui Ugo Tognazzi anticipe son rôle de la Cage aux folles. Il joue avec justesse et sensibilité son double personnage, Alessio/Madame Royale et forme avec Ronet un duo trouble et troublant. Autour d'eux d'excellents comédiens à commencer par Caprioli qui s'octroie le rôle de Bambola di Pecchino / La poupée de Pékin, Maurizio Bonuglia, Luca Sportelli, Dante Cleri et une toute jeune Jenny Tamburi à l'aube de sa carrière. Elle trouvait là son tout premier rôle à l'écran après une participation dans Le altre. Ils sont entourés notamment de Gino Milli, lui aussi tout jeunot (un des deux gitons de Madame Royale), et de quelques
acteurs non professionnels tous très bons qui jouent pour la plupart les travestis et homosexuels.
Même s'il est imparfait, s'il échoue à créer une véritable ambiance Splendori e miserie di Madame Royale est une oeuvre douce-amère touchante dans sa démarche, audacieuse pour son époque qui a l'avantage de dépeindre avec amertume et douleur l'univers marginal homosexuel. Quelque soit la manière dont on le percevra certaines séquences feront quoiqu'il en soit mouche. Ce fut malheureusement en Italie un cuisant échec tant publique que critique.
Injustement oublié, méconnu, sorti en France à la sauvette dix ans après sa réalisation uniquement en Province, en plein été, affublé d'un titre français ridicule (Que fais tu... grande folle!) et d'une version française exécrable le film de Vittorio Caprioli mériterait grandement d'être réhabilité, redécouvert non seulement pour son coté touchant mais également pour la place importante qu'il tient dans l'histoire du cinéma homosexuel transalpin.