Uccidere in silenzio
Autres titres: To kill in silence
Real: Giuseppe Rolando
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Dramatique
Durée: 93mn
Acteurs: Ottavia Piccolo, Sylva Koscina, Gino Cervi, Rodolfo Baldini, Juanito Paolini, Gipo Farassino, Anna Bolens, Wilma D'Eusebio, Ilse Manfrino, Rubens Bonetti, Lorenzo Gobbo, Gianfranco Fiore, Enrico Gaudenzi, Maurizio Gavina, Giancarlo Maniscot...
Résumé: Valeria et Gianni, deux étudiants, sont éperdument amoureux l'un de l'autre. Si dans un premier temps Valeria refuse de faire l'amour elle finit par s'abandonner dans les bras de son amant. Quelque temps plus tard elle s'aperçoit qu'elle est enceinte et l'annonce à Gianni. Le jeune homme est fou de joie en apprenant la nouvelle et rassure Valeria. Malheureusement lorsqu'elle le dit à sa mère sa réaction est violente. Elle refuse un tel scandale et fait bien comprendre à sa fille qu'elle est incapable d'élever un enfant. C'est ensuite Gianni qui après réflexion ne se sent pas prêt pour être père. Il souhaite avant tout finir ses études et trouver un bon boulot. Valeria, désespérée, décide d'avorter. Seule, abandonnée, elle fait les démarches...
En ce début de décennie malgré la libération des moeurs une jeune fille qui se retrouve enceinte sans être mariée était encore un sujet tabou tout comme l'était l'avortement. Bien des films ont tenté de mettre en avant ces thèmes difficiles tant dans le cinéma d'exploitation que dans un cinéma plus traditionnel. Réalisé par un énigmatique Giuseppe Rolando dont ce fut la seule et unique mise en scène avant de s'évanouir semble t-il dans le néant Uccidere in silenzio en est un parfait exemple.
Valeria, jeune bourgeoise qui vit avec sa mère, une femme conservatrice, est étudiante aux beaux-arts, Gianni en littérature. Il est très souvent chez son grand-père car son père, un juge très impliqué, est souvent en déplacement. Gianni souffre beaucoup de son absence. Insouciants comme on peut l'être à 18 ans tous deux s'aiment. Cependant Valeria refuse de faire l'amour souhaitant garder encore un peu sa virginité. Un jour elle se laisse pourtant aller et accepte de se donner à Gianni. Elle ignore que sa décision va bouleverser leur vie. La jeune fille découvre quelques temps plus tard qu'elle est enceinte. Elle finit par l'avouer à son petit ami, fou de joie à l'idée d'être père. La réaction de sa mère qui mise tout sur les études est malheureusement bien plus violente. Elle refuse cet enfant conçu avec un vaurien, certaine qu'ils seront incapables de s'en occuper mais elle pense surtout à sa réputation et au scandale que cela provoquerait si la nouvelle se propageait. Abandonnée par sa mère, Valeria pense pouvoir compter sur Gianni mais après avoir réfléchi l'étudiant lui avoue qu'il ne sent pas prêt pour assumer un enfant. Il souhaite finir ses études, trouver un bon métier afin de faire honneur à son père et souhaite surtout être de là pour lui lorsqu'il grandira pour ne pas reproduire le modèle de son père. Désormais seule, Valeria pense de plus en plus à avorter. Elle finit par prendre rendez-vous dans une clinique. Alors qu'elle se rend en salle d'opération Gianni se ravise. Arrivera t-il à temps pour éviter la tragédie?
L'ouverture soit les dix premières minutes risque de déconcerter voire de choquer les plus moralistes. Rolando filme en effet un enfant totalement nu déambulant sur une plage rocheuse, dans un magasin aux cotés de mannequins dont il se permet même de découvrir, caresser et téter un sein (de quoi faire frémir les détracteurs du sublimissime La maladolescenza), au milieu d'un embouteillage, dans la rue parmi la foule, badauds anonymes et impassibles, découvrant le monde qui l'entoure. Rolando en profite pour y insérer quelques références et clins d'oeil cinématographiques (Tomas Milian, Jean Sorel, Maurice Ronet et Bardot...). Cette entrée en la matière loin d'être gratuite puisque l'enfant est le symbole, l'incarnation fantomatique de cette future naissance, si elle pouvait laissait présager d'une bande d'exploitation voyeuriste, est surtout et avant le témoignage de toute une époque révolue, celui d'un cinéma aujourd'hui inconcevable, inimaginable, d'une permissivité effarante qui de nos jours serait fortement condamnée. Il fallait oser un tel prologue. Audacieux Rolando n'a pas hésité à jouer la carte de la provocation sur un sujet de surcroit aussi délicat. Passée cette sulfureuse introduction dont on se demande comment elle a pu être tournée, Uccidere in silenzio se fait beaucoup plus classique et surtout sobre, pudique, puisque le film se transforme en une sorte d'idylle romantique et passionnée du moins dans sa première partie.
On fait donc la connaissance de Gianni et Valeria dont on partage les étreintes campagnardes et autres baisers enflammés, sous l'orage ou au beau milieu des champs turinois, les rires, les promenades à cheval, en voiture, en moto ou en tracteur. Les deux étudiants s'aiment comme on s'aiment à 18 ans, la fleur aux dents, en ce début de décennie post flower power. Tout cela est charmant et ressemble à un joli roman-photo pour midinettes dont c'était d'ailleurs la grande mode, l'ensemble accompagné d'une magnifique partition musicale signée Stelvio Cipriani romantico-sirupeuse au possible. Rolando est dans l'air du temps mais le film tarde cependant à démarrer. Il semble oublier son sujet de base qui finalement arrive durant la seconde moitié du film, très certainement la plus intéressante et surtout la plus émouvante.
L'auteur suit donc la grossesse inattendue de sa jeune héroïne qui après un temps de liesse va se retrouver face à un véritable problème toujours autant d'actualité, un dilemme dont elle et elle seule devra trouver la réponse, garder l'enfant et aller contre les idées d'une mère conservatrice particulièrement égoïste et contre l'avis de son petit ami qui ne se sent plus prêt à accepter cet enfant, soit prendre la terrible décision de se faire avorter. Le ton est grave, l'histoire traitée avec sérieux et surtout beaucoup de sensibilité. Voilà qui tranche avec le coté léger de la première partie. Rolando soulève le thème de l'avortement de manière discrète mais efficace, s'efforce de poser les bonnes questions. Certes il reste assez superficiel mais la mise en scène et l'interprétation sont suffisamment convaincants pour que l'ensemble fasse mouche. Uccidere in silenzio parvient à toucher, à émouvoir notamment à travers quelques superbes séquences dont celle où Valeria, après avoir décidé d'avorter, entre dans la chambre de sa mère, la regarde dormir en lui murmurant ses douloureuses réflexions, et la scène finale, puissante, effroyable, haute en suspens, dont on se gardera bien de dévoiler la conclusion mais qui, quel qu'en soit l'issue, touchera le spectateur en plein coeur.
Hormis une première partie légèrement trop axée sur le romantisme au détriment même du sujet, on pourra regretter que Rolando n'ait
pas un peu plus approfondi certains points du scénario notamment tout
le contexte social de l'époque. La libération sexuelle, les mouvements
contestataires de la jeunesse, la rébellion restent en toile de fond mais ne sont guère exploités. Il aurait été intéressant de mieux les aborder, de les mettre un peu plus en avant. La pellicule aurait ainsi gagné non seulement en force mais aurait pu également se transformer en un attrayant film documentaire socio-politique, un pied de nez au conformisme en ces années de contestation.
Outre sa solide réalisation Uccidere in silenzio bénéfice d'une interprétation sans faille notamment de ses deux principaux protagonistes tout en fraicheur et justesse, une toute jeune Ottavia Piccolo dont le rôle de Valeria semble avoir été écrit pour elle, et le séduisant Rodolfo Baldini découvert la même année dans Fiorina la vache dans lequel, nu, il déflorait avec ardeur et humour Ornella Muti dans une prairie. Le film doit beaucoup à la fraicheur de ces deux comédiens alors amants dans la vie comme à l'écran. Ils imprègnent l'écran de leur amour juvénile comme ils en imprégnaient les pages des magazines fleur bleu de l'époque, un couple très années 70 qui donne un agréable petit air de véracité en plus à l'ensemble. A leurs cotés la toujours aussi élégante Silva Koscina est excellente en mère pincée et rétrograde. Quant à Gino Cervi, l'inoubliable ennemi de Don Camillo dans la célèbre trilogie éponyme, il est un oncle bien sympathique. Le courageux petit garçon est interprété par Juanito Paolini.
Exempt de toute scène de nu si on excepte bien évidemment l'incroyable ouverture contrairement à bien d'autres films du genre qui auraient profité du sujet pour accentuer l'aspect exploitatif et mettre en avant la nudité de ces comédiens, Uccidere in silenzio leur préfère la qualité de l'histoire. Avec un talent certain Giuseppe Rolando a concocté un petit film aujourd'hui totalement oublié tout en émotion, délicatesse et sensibilité toujours autant d'actualité. Aussi sombre soit il Uccidere in silenzio est un petit nuage de douceur dans l'horizon d'un cinéma italien souvent agressif lorsqu'il s'agit de traiter bon nombre de tabous de notre société. Même si difficilement visionnable aujourd'hui l'amateur se fera non pas un devoir mais tout simplement un plaisir de se pencher sur cette magnifique petite bande dont il ne se lassera pas de si tôt. Il se pourrait même qu'il l'aime un peu plus à chaque nouveau visionnage. C'est en tous les cas une oeuvre inédite sous nos cieux à (re)découvrir d'urgence.