Fango bollente
Autres titres: Die grausamen drei / The savage three
Real: Vittorio Salerno
Année: 1975
Origine: Italie
Genre: Polizesco
Durée: 81mn
Acteurs: Joe Dallesandro, Gianfranco De Grassi, Guido De Carli, Enrico Maria Salerno, Martine Brochard, Umberto Ceriani, Enzo Garinei, Carmen Scarpitta, Salvatore Borghese, Luigi Casellato, Claudio Nicastro, Gengher Gatti, Ada Pometti, Omero Capanna...
Résumé: Trois jeunes voyous issus de la petite bourgeoisie turinoise se transforment régulièrement en véritables monstres, tuant, violant dans le seul but de se divertir et tromper leur mal de vivre. L'inspecteur Santaga se charge de l'enquête. Il est loin d'imaginer que les trois assassins qui sèment la terreur à Turin et laisse perplexe la police sont en fait ces garçons bien sous tout rapport qu'il côtoie au quotidien dans le centre d'analyses informatiques qui les emploie. Un malencontreux fait divers va cependant les trahir. Plus rien n'arrête alors leur folie meurtrière...
Frère de l'acteur Enrico Maria Salerno, Vittorio Salerno débuta sa carrière en tant qu'assistant réalisateur auprès d'Ernesto Gastaldi sur l'excellent Libido. Plus connu par la suite comme scénariste, Vittorio s'essaya à la mise en scène en réalisant son premier film en 1973, Il caso è felicemente risolto, suivi en 1975 de Fango bollente, un polar détonnant co-écrit avec Gastaldi qui malgré son intéressant thème social rate malheureusement le coche.
Trois jeunes analystes informatiques, amis et collègues de travail en apparence bien sous
tout rapport, Ovidio, Giuseppe et un dernier larron dont on ne connaitra pas le prénom, vont un jour se transformer sans raison en véritables monstres violeurs et meurtriers. Lors d'une expérience en laboratoire, Ovidio est fasciné par le comportement de rats qui, confinés dans un espace restreint, font preuve d'une soudaine violence en s'attaquant sans raison au plus faible du groupe. Mené par un chef, ils s'acharnent sur lui jusqu'à ce qu'il meurt. Ovidio pose alors la question de savoir si l'homme dans des conditions similaires pourrait avoir un telle attitude. Accompagné de ses deux amis, il profite d'une émeute lors d'un match de foot pour commettre quelques délits. C'est le début d'une longue série d'actes de plus en plus
barbares et gratuits. Lors d'un affrontement avec un camionneur, Giuseppe le tue froidement. A partir de cet instant plus rien n'arrête les trois hommes qui chaque jour multiplient viols et meurtres avant de redevenir de parfaits et innocents citoyens. L'affaire est suivie par le commissaire Santaga, un passionné de progrès informatiques qui a du autrefois quitter son escadron après une blessure qui lui couta une jambe. Ami de Ovidio, il est loin de soupçonner qu'il puisse être l'auteur d'actes aussi abominables. Pourtant un portrait robot va éveiller lentement ses soupçons. Mais Ovidio est rusé et ne se laisse pas facilement dupé par l'inspecteur. Se croyant intouchable, il continue de perpétrer ses massacres. Un fait
divers va malheureusement faire voler en éclats cette machine trop bien huilée. L'immeuble où habite la mère de Giuseppe doit être détruit par des promoteurs. Les locataires refusent d'abandonner leur appartement obligeant la police à les menacer d'expulsion. Pris de panique en voyant les forces de l'ordre chez sa mère, Giuseppe s'enfuit persuadé que lui et ses amis ont été démasqués. Il est rattrapé et arrêté. La police fait vite le lien entre son attitude coupable et les massacres. Pris au piège, il se pend dans sa cellule. Pour Ovidio, cette arrestation sonne le glas de ses exactions. Dans une ultime crise de folie, Il assassine son épouse, prend son usine en otage et tue son patron avant que Santaga ne parvienne à
l'abattre. L'ultime rescapé du trio infernal, insoupçonnable, ne tardera pas à reprendre le flambeau avec deux nouveaux acolytes.
Le sujet de base de Fango bollente était tout à fait séduisant. L'homme dans un contexte bien précis peut il devenir un monstre pour ses semblables, l'aliénation humaine comparée ici à un virus peut elle le transformer en une machine à tuer aveugle, impitoyable, l'amener à détruire son espèce par pur amusement? Une expérience sur des rats en laboratoire est à la source de cette histoire que certains ont vite rapproché de Orange mécanique ne serait ce que pour ce gang de jeunes qui va 90 minutes durant tuer et violer à tout va par simple
divertissement. Certes on peut songer au film de Kubrick mais la comparaison s'arrête très vite. Orange mécanique était une véritable réflexion sociale, intelligente, sombre et pessimiste. Fango bollente ne s'élève jamais plus haut qu'un pur film d'exploitation dont l'objectif premier semble être d'enchainer des scènes d'une surprenante violence afin de satisfaire un public avide de voyeurisme et de gratuité. Le but est atteint au détriment même de l'histoire et de la réflexion.
Le second film de Salerno ne fait qu'allonger la longue liste des polars transalpins qui traitent de façon complaisante de la délinquance urbaine d'une certaine classe sociale
italienne en s'attaquant ici non pas à la bourgeoisie dorée romaine mais à la petite bourgeoisie turinoise frappée par la frustration et le stress. En soi le choix de Turin, ville industrielle par excellence frappée par les problèmes de chômage, d'immigration, et d'intégration en ces années de plomb, était judicieux. Les trois protagonistes ne sont jamais que son reflet, trois jeunes blasés qui trompent leur mal de vivre et leur désir de liberté dans le sang en s'inspirant ici du sempiternel carnage de Circeo. Les intentions sont là, les thèmes également: la stupidité de la masse collective, le progrès qui détruit de plus en plus notre existence et mène l'homme à l'aliénation, le mal de vivre destructeur, le stress, le
chômage, l'instabilité, l'oppression... Cependant Salerno ne fait que les effleurer, laisse tous ces éléments au stade de la simple esquisse pour ne s'intéresser qu'aux exactions de son trio de voyous névrotiques bien sous tout rapport mais très mal dessinés psychologiquement. En découle un film le plus souvent idiot voire drôle, totalement improbable, qui deviendrait vite lassant si la violence des scènes choc qui se multiplient ne maintenait pas le spectateur en éveil. Salerno fait fi de toute vraisemblance, un manque de logique et de psychologie qui nuit gravement à l'intrigue qui devient trop souvent absurde et tue tout réel intérêt contrairement à des oeuvres tout aussi malsaines telles que Come cani arrabbiati qui elles jouaient toute entière sur l'aspect purement exploitatif.
Ayant ainsi perdu toute crédibilité, Fango bollente vaut essentiellement pour ses séquences de meurtres particulièrement gore même si là encore certaines sont si énormes qu'elles en deviennent amusantes. On a donc droit entre autres à une émasculation, une pendaison, un viol, une victime transpercée par un chariot élévateur, une autre éventrée avec un tournevis... Rondement mises en scène, énergiques, filmées avec soin, parfois au ralenti, ces scènes sont d'une redoutable efficacité et font du film un des plus violents du genre. Salerno nous réserve également quelques moments inattendus, d'une extrême noirceur dont le summum est atteint lors du meurtre de la la femme de Ovidio qui après lui avoir offert un gâteau
d'anniversaire empoisonné la regarde agoniser tout en passant une commande téléphonique pleine d'amour destinée à la plus charmante et méritantes des... épouses! Une scène culte aussi cynique que glaciale qui à elle seule donne au film une raison d'être visionné.
Toujours au crédit du film une interprétation convaincante et des acteurs investis avec en tête Joe Dallesandro qui sortait tout juste du tournage d'un autre polar tout aussi violent mais bien plus crédible Tempo degli assassini. Salerno met en valeur le coté angélique du comédien, cette beauté jadis si bien utilisée par Andy Warhol qui en fit une véritable égérie
gay mais qui cache ici toute la noirceur et la folie de l'âme humaine. Dallesandro n'a jamais été un grand acteur mais on ne peut en tout cas pas lui reprocher ni son charisme ni son investissement dans la plupart de de ses rôles. Il parvient à donner une certaine épaisseur au film et devient même son principal atout épaulé par Gianfranco De Grassi, Guido De Carli et l'immense Enrico Maria Salerno qui endosse avec bonheur l'imperméable de l'inspecteur aussi désabusé que fouineur. La bande son hard rock (le thème Boiling mud) pourra quant à elle surprendre voire déplaire mais elle apporte sans aucun doute une énergie supplémentaire aux scènes de violence.
Grotesque, excessif, Fango bollente est un exercice peu réaliste qui manque son principal objectif, la réflexion, en donnant dans le sensationnalisme le plus primaire. Involontairement drôle et ironique, cette métaphore urbaine ne fait que reprendre les effets de style des polizeschi les plus durs de l'époque qu'elle jalonne tout le long d'une trame narrative un peu trop monotone et invraisemblable pour véritablement captiver. Ce voyage désespéré et sans retour doit être vu comme un simple film d'exploitation, froid et implacable, typique de cette décennie sans limite qui devrait donc assouvir les pulsions sadiques d'un public ciblé. Vu son auteur et le propos de départ, on regrettera que Salerno se soit limité à cela.
Très longtemps resté invisible, ce qui lui donna une certaine dimension culte auprès des collectionneurs, sa récente édition DVD a permis au film de retrouver un second souffle, une opportunité pour être enfin (re)découvert.