La saignée
Autres titres: The contract / Manhunt for murder / The blood letting / A denti stretti
Real: Claude Mulot
Année: 1971
Origine: France / Italie
Genre: Polar
Durée: 80mn
Acteurs: Bruno Pradal, Gabriele Tinti, Françoise Prévost, Charles Southwood, Ewa Swann, Patti D'Arbanville, Claude Cerval, Sydney Chaplin, Jean Eskenazi, Pierre Vassiliu, Gérard Croce, Francis Lemonnier, Philippe Etesse, Jacqueline Holtz...
Résumé: Thomas Chanard, un jeune maitre d'hôtel français en poste à New York, est involontairement témoin d'un meurtre dans une des chambres de l'hôtel où il est employé. Il s'enfuit et, pris de peur, rentre chez sa mère en France. L'assassin, un mafioso, a eu le temps de le voir. Il ordonne à un tueur à gages implacable de le retrouver et de l'éliminer. Le tueur débarque en France dans le village natal de Thomas mais arrive également un inspecteur américain bien décidé à forcer Thomas à l'aider à arrêter le puissant chef mafieux qui a commandité le meurtre. Le jeune homme a non seulement ce tueur à ses trousses mais il a également à dos la belle-famille de son ex-fiancée avec qui elle a renoué. Désormais mariée à une crapule, leur relation va le mener à sa perte...
Plus connu pour avoir été un des grands noms du cinéma érotico-porno français des années 70 en contribuant à son âge d'or avec des titres aussi célèbres que Le sexe qui parle, le scénariste metteur en scène Claude Mulot débuta sa carrière à la fin de la décennie précédente en réalisant un étonnant plagiat des Yeux sans visage de Franju, La rose écorchée. Avant d'entamer son virage vers l'érotisme, il mettra en scène quelques films tous digne d'intérêt dont fait partie ce polar sombre et violent devenu au fil du temps une véritable rareté.
Scindée en deux parties distinctes, La saignée débute comme un polar. A New York Thomas Chanard, un jeune maitre d'hôtel d'origine française, est le témoin involontaire d'un meurtre commis dans une des chambres de l'établissement où il travaille. Un couple a été abattu par un homme qui a eu le temps de l'apercevoir. Thomas s'enfuit, paniqué. Sachant pertinemment que le meurtrier fera tout pour le retrouver, il décide de rentrer en France, chez sa mère, qui tient un hôtel dans un petit bourg côtier normand. Il pense être ainsi à l'abri. Il ignore que les commanditaires du meurtre, deux mafiosi rivaux, ont lancé à ses trousses un tueur à gages implacable nommé Flaggert qui a pour mission de le tuer coute
que coute contre la faramineuse somme de 30000 dollars. Sachant qu'il est en danger, un inspecteur de police New-yorkais, Marvin Hobbart, débarque lui aussi en France non seulement pour le protéger mais également pour qu'il les aide à éliminer un des chefs de la mafia. Thomas tente de reprendre une vie normale et relance une vieille histoire amoureuse avec Catherine qui malheureusement pour lui est aujourd'hui l'épouse d'une crapule locale. Cette relation va lui attirer bien des problèmes et surtout la haine de son mari et de sa famille qui décident de se débarrasser de Thomas, heureux de voir disparaitre ainsi quelqu'un qui ne pouvait que troubler la tranquillité de cette paisible bourgade et briser un mariage arrangé.
Rondement menée, cette première partie relève du polar noir traditionnel. Tourné à New York, elle possède cette griffe américaine reconnaissable démontrant le talent de Mulot à confiner une certaine atmosphère au film tout en maintenant un rythme alerte. Jamais ennuyeuse, elle parvient à tenir le spectateur en haleine sans pour autant être forcément originale. On se laisse simplement prendre par cette traque mafieuse par moment haletante, saupoudrée de zeste de violence de bon aloi, qui se termine donc en France, dans une petite ville côtière normande, calme, presque endormie, sous le ciel gris hivernal. Commence alors la seconde partie du film, bien française cette fois.
Malgré l'arrivée d'un inspecteur américain qui cherche à se servir de Thomas pour faire arrêter le chef mafieux responsable du meurtre, Thomas tente de retrouver une vie normale chez sa mère et renoue avec Catherina, son ex-petite amie, qui après son départ pour New York s'est mariée à une petite frappe. Du polar noir à l'américaine on passe alors à la sérénité normande. Le rythme du film ralentit. On vit d'une part au fil des flash-back de la liaison de Thomas et Catherine, le mépris qu'elle éprouve pour son mari et sa puissante famille, d'autre part du quotidien de cette bourgade du début des années 70 bien française soudainement troublé par le retour de Thomas devenu une sorte de bête noire. Non
seulement la relation qu'il entretient avec Catherine pose bien des soucis à la belle-famille de la jeune femme, prête à lui payer une forte somme pour qu'il quitte à jamais la ville, mais son implication dans cette affaire mafieuse et l'arrivée d'un inspecteur étranger vient troubler le calme de ce village peu habitué à vivre dans l'inquiétude. La présence de Thomas devient plus que gênante. Son histoire d'amour renaissante avec Catherine sera donc prétexte pour s'en débarrasser afin que le village retrouve sa tranquillité.
Dans cette deuxième partie, Mulot met en avant la lâcheté des gens que la peur mais aussi la haine rend presque aussi impitoyables que le tueur à gages engagé par le mafioso, venu
lui aussi poser ses valises au village. Thomas se retrouve donc coincé entre d'une part cet homme de main implacable et la belle-famille de Catherine bien décidée à le passer à tabac. Si la mise en scène s'est un peu ralentie La saignée n'a rien perdu de sa force dramatique et réserve un final époustouflant, particulièrement brutal, une véritable traque le long d'une plage, une mise à mort sans sommation, bestiale, mue par la haine et la peur. Cette longue et complaisante séquence fait prendre au film un virage inattendu puisqu'il se rapproche soudainement d'un certain cinéma d'exploitation pur et simple, voyeur et sadique. Elle est sans nul doute une des meilleures mais surtout une des plus sauvages que le
cinéma français présenta alors, dérangeante mais O combien réjouissante pour tous les amateurs de violence débridée. Mulot se permet en outre une conclusion d'une ironie cinglante, un no happy end glacial pour le pauvre Thomas qui s'il est parvenu à survivre à son agression grâce à l'arrivée de l'inspecteur ne pourra pas échapper à son destin, laissant au fond de la gorge du spectateur un goût amer, presque désespéré, alors que le générique de fin défile.
L'interprétation est à la hauteur du film. Bruno Pradal, jeune acteur découvert l'année précédente dans le sulfureux Mourir d'aimer, incarne Thomas avec force et détermination
qui nous offre enfin en cadeau une nudité frontale certes furtive mais alléchante lors de sa mise à mort durant laquelle ses agresseurs arracheront la totalité de ses vêtements avant de l'exterminer comme un animal. A ses cotés, Gabriele Tinti est comme d'accoutumée toujours aussi excellent, parfait en tueur à gages froid et déterminé. On retrouvera également l'ex-égérie de Andy Warhol Patti D'Arbanville en junkie joliment maltraitée par l'inspecteur, Françoise Prévost quelques petites années avant sa période italienne, Gérard Croce et, petite curiosité, le chanteur-compositeur Pierre Vassiliu.
Filmé en majeure partie à Béthancourt sur mer dans la grisaille d'un hiver normand, La saignée, rythmé par les très belles compositions estampillées années 70 de Eddie Vartan dont la superbe chanson d'ouverture, est une véritable petite dramatique mâtinée de polar tendance noir, puissante, attachante, rondement menée par un Mulot d'humeur bien sombre visiblement inspiré. Voilà bien une nouvelle preuve que la carrière pré-porno du cinéaste s'annonçait fort intéressante et talentueuse. La saignée est une jolie petite perle du cinéma français de cette décennie magique.