Grazie zia
Autres titres: Merci ma tante / Come play with me / Thank you my aunt
Real: Salvatore Samperi
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 91mn
Acteurs: Lisa Gastoni, Lou Castel, Gabriele Ferzetti, Nicoletta Rizzi, Massimo Sarchielli, Luisa De Santis, Anira Dreyer...
Résumé: Alvise, un adolescent de 17 ans, feint une paralysie des jambes afin d'exprimer sa rage contre une société bourgeoise et conformiste. Ses parents l'envoient chez sa tante Lea, elle aussi médecin. Lea est vite attirée par son neveu, une attirance avec laquelle Alvise va jouer. Commence entre eux un jeu de séduction malsain qui progressivement va se transformer en une relation incestueuse. Alvise va faire de sa tante le jouet de ses jeux sexuels pervers avec en tête un but bien précis: lui faire accepter qu'elle le tue.
A la fin des années 60, en pleine période de contestation post-soixante-huitarde, le cinéma italien vit apparaitre une nouvelle génération de réalisateurs souvent virulents, anticonformistes et profondément anti bourgeois dont Marco Bellochio et Marco Ferreri en furent les meilleurs représentants. Moins connu et surtout populaire, Salvatore Samperi eut une carrière à connotation érotique malheureusement plus en marge malgré la force de certains de ses films dont le plus connu reste Malizia qui consacra la regrettée Laura Antonelli sex symbol et donna naissance à tout un courant de films érotiques morbides
mettant en scène le plus souvent l'initiation sexuelle d'adolescents par des adultes (domestiques, tantes, belles-mères) à tendance parfois incestueuse. Tout premier film de Samperi, Grazie zia est en quelque sorte l'ancêtre de ces films et un avant-gout de ce que sera Malizia quelques années plus tard.
Alvise, 17 ans, fils de riches industriels, souffre d'une paralysie des jambes psychosomatique que les médecins ne parviennent pas à guérir. Ses parents qu'ils détestent décident de l'envoyer chez sa tante Lea elle même docteur. Garçon rebelle, anticapitaliste, passionné par la guerre du Vietnam, Alvise mène également sa propre guerre
qu'il simule en jouant avec de petits soldats de plomb sur une maquette de champ de bataille. Le garçon se rend vite compte que sa tante, une femme radieuse, n'est pas heureuse avec son oncle Stefano, un homme plus âgé qu'elle. Il s'aperçoit également que Lea n'est pas insensible à ses charmes. Commence alors entre eux un jeu de séduction trouble que mène avec diabolisme et perfidie Alvise. Petit à petit Lea se laisse aller et finit par demander à son époux de la quitter. Elle reste seule avec Alvise dans leur vaste demeure. L'adolescent en fait son esclave, elle devient le jouet passif et consentant de ses fantasmes et jeux pervers, basés sur l'humiliation et la dégradation. Lea accepte tout d'Alvise jusqu'à
leur ultime jeu: l'euthanasie.
Présenté au festival de Cannes 1968 où il provoqua l'indignation tout comme il fut à l'origine d'un scandale lors de sa sortie en Italie, Grazie zia pourra aujourd'hui paraitre bien sage aux yeux du spectateur malgré son coté sulfureux. Grand admirateur de Marco Bellochio, Samperi suit ici tout simplement les traces de Les poings dans les poches réalisé trois ans auparavant dont le film pourrait être une forme d'hommage. On y retrouve déjà toutes les caractéristiques qui feront par la suite le cinéma du metteur en scène, un cinéma qui porte clairement les stigmates de l'anti bourgeoisie, une dénonciation mordante, une satire
souvent sombre et amère contre la famille bourgeoise. Grazie zia est l'histoire d'un amour interdit, impossible, teinté de morbidité, entre deux êtres auto destructeurs, une tante et son neveu qui va jouer avec les sentiments troubles de cette femme pour en faire son esclave et parvenir à ses fins, lui donner une illusion d'amour en l'utilisant pour satisfaire ses instincts pervers et sadiques, son objectif final étant qu'elle accepte de lui donner la mort, qu'il puisse quitter en toute tranquillité cette vie qu'il fuit après avoir humilié sa tante qui comme il aime à lui dire lui rappelle sa mère.
Amour interdit, inceste, perversion, euthanasie, Grazie zia ne manque pas de sujets
particulièrement tabou que Samperi traite avec une aisance déconcertante comme pour mieux les faire accepter par un public encore bien timide. Extrêmement représentatif du cinéma italien de l'époque, Grazie zia débute plutôt lentement, le temps de placer son principal protagoniste, un adolescent paralytique et névrosé qui symbolise toute la rage générationnelle de cette fin d'années 60, au sein d'une famille aisée qui privilégie l'argent, la réussite et un conservatisme proche du bigotisme auquel semble échapper Lea, femme plus libérée que son époux ne parvient pas (plus?) à vraiment satisfaire. L'attirance puis le rapprochement entre l'adolescent et sa tante se fait tout en douceur, à travers quelques
gestes évasifs, un regard, une attitude même si Alvise se fait plus direct tout en espionnant la femme notamment lors de l'euthanasie de son chien qui lui donnera l'idée du jeu final.
C'est dans le seconde moitié du film que les choses se précipitent menées de main de maitre par Lou Castel, brillant, à la fois inquiétant, diabolique et désespéré, prolongation en quelque sorte du rôle d'Alessandro qu'il interprétait dans Les poings dans les poches, et Lisa Gastoni tout en justesse, qui avec ce rôle allait atteindre la reconnaissance du public et voir sa carrière décoller. Une grande partie de la réussite du film tient à la prestation du duo, magnifique, en parfaite osmose. Plus le métrage avance plus l'ambiance se fait morbide,
malsaine, sans pour autant réellement déranger grâce à la finesse d'une mise en scène presque ludique mais toujours vigoureuse. Samperi construit ainsi cette relation incestueuse tout en érotisant les aberrations sexuelles d'Alvise sans jamais cependant recourir à la facilité qui ici aurait été un étalage de nudité et de scènes scabreuses. De nus il n'y en a quasiment pas si ce ne sont quelques furtifs plans de Lisa Gastoni. Samperi joue sur la suggestion, l'érotisme magnifié par un noir et blanc cinglant, ose quelques caresses interdites et violentes étreintes sans jamais aller jusqu'à l'acte sexuel que refuse Alvise pour mieux frustrer et avilir sa tante. Le sadomasochisme lui même est suggéré lorsqu'il fait de
Lea son chien ou l'entraine à tourbillonner sur des morceaux de vases brisés jusqu'à la conclusion qui verra l'inévitable mariage d'Eros et Thanatos lors d'une scène particulièrement sombre, dramatique, presque dérangeante cette fois mais libératrice, celle de l'euthanasie d'Alvise.
On pourra reprocher à Samperi de ne pas avoir assez défini le personnage d'Alvise quant à ses motivations profondes, mieux dessiné l'aspect contestataire du film voire d'être resté au final un poil trop indécis dans le récit en lui même. Reste que Grazie zia est un drame intello-bourgeois transgressif parsemé de séquences purement éblouissantes (Alvise et ses petits soldats, les acrobaties souvent risquées qu'il exécute avec son fauteuil roulant, la violence de plus en plus ostentatoire des jeux...) qui aujourd'hui n'a rien perdu de cette mélancolie et de cette aura inquiétante dans laquelle il baigne. Cette critique acerbe de la bourgeoisie face à la guerre, victime de l'ennui et du mal être, très représentative d'un certain cinéma italien de la fin des années 60 et du début des années 80, reste aujourd'hui encore une tragédie familiale belle et lugubre soulignée par une éblouissante partition musicale de Ennio Morricone, une des plus troublante et dérangeante qu'il ait signé, essentiellement marquée par des choeurs d'enfants entêtants qui reviennent comme un sinistre leitmotiv, une angoissante chanson guerrière sur le Vietnam écrite par Sergio Endrigo et le "Auschwitz" de Guccini étrangement repris sur un rythme moderne par Nicoletta Rizzi.
A découvrir absolument pour tous les amoureux d'un cinéma morbide très seventies qui mélange sexe et mort avec brio. Voilà un coup d'essai réussi qui ouvrait une bien jolie carrière à son auteur.