La donna del lago
Autres titres: The possessed / The lady of the lake / La mujer del lago
Real: Luigi Bazzoni
Année: 1965
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 81mn
Acteurs: Peter Baldwin, Virna Lisi, Salvo Randone, Valentina Cortese, Philippe Leroy, Vittorio Duse, Anna Maria Gherardi, Pia Linstrom, Ennio Balbo, Enrico Sciaponi, Pier Giovanni Anchisi...
Résumé: Après avoir rompu avec sa petite amie, un jeune écrivain décide de passer quelque temps dans l'auberge où il a connu un an plus tôt Tilde, une des employées dont il a gardé un doux souvenir. Il apprend avec stupéfaction qu'elle s'est suicidée dans d'étranges conditions. Il entraperçoit alors une jeune femme qui porte le même manteau que Tilde. troublé, il commence son enquête afin d'élucider la mort de Tilde d'autant plus que le photographe du village lui a laissé sous entendre qu'il s'agirait d'un meurtre. L'écrivain est de plus en plus persuadé que son et ses assassins sont ses employeurs, les aubergistes, qui semblaient avoir une relation amoureuse triangulaire avec la jeune fille...
Il est des films qui vous laissent pantois, sans voix, songeur, comme marqué par une trace indélébile bien longtemps encore après que le mot fin soit apparu à l'écran. La donna del lago fait justement partie de ces petits chef d'oeuvres italiens oubliés, méconnus, qui vous surprennent par leur contenu, vous fascinent, vous hypnotisent. Réalisé en 1965 la même année que La ragazza che sapeva troppo de Mario Bava avec lequel il a pour point commun un sublime noir et blanc, ce thriller est considéré comme un des premiers véritable gialli à avoir vu le jour, un proto giallo aussi surprenant que prenant qui entraine le spectateur au
coeur même d'un insondable mystère, celui du suicide d'une jeune femme, Tilde, dans un petit village perdu des Dolomites. Au fil de l'enquête que va mener l'homme qui autrefois l'a plus ou moins connu, d'inavouables secrets vont faire surface jetant le doute dans son esprit. Ce suicide ne serait il pas en fait un meurtre déguisé orchestré par un des membres de la famille d'aubergistes qui l'employait comme serveuse afin de dissimuler en plus d'une grossesse bien malvenue la vie dissolue de Tilde.
Premier film de Luigi Bazzoni à qui on doit notamment l'excellent Le orme, co-réalisé avec Franco Rosselini, le neveu de Roberto Rosselini, La donna del lagos'il relève bel et bien du
thriller flirte le plus souvent avec un fantastique de bon aloi aux limbes par instant de l'onirisme pu teinté de romantisme d'un autre temps. Le personnage central du film est Bernard, un écrivain que sa petite amie vient de quitter. Dépité, meurtri par cette rupture il trouve refuge dans l'auberge d'un petit village gris et froid dans lequel il avait déjà séjourné un an auparavant. Il y avait connu Tilde, la serveuse, ravissante jeune femme blonde qu'il n'a jamais oublié. Espérant la revoir, il apprend de la bouche même de ses employeurs puis des villageois, craintifs, cloués dans un mutisme coupable, qu'elle s'est donnée la mort dans de biens mystérieuses circonstances. Ne reste d'elle qu'un manteau et des souvenirs.
Désespéré à l'annonce de sa disparition, l'écrivain va tenter de percer cette énigme, poursuivant un fantôme, hors du temps, comme il suit cette étrange silhouette revêtue du fameux manteau qui se faufile dans les venelles du bourg, à travers la forêt enneigée. Passé et présent se mêlent au fil des souvenirs et des suppositions qu'échafaude Bernard, un chassé-croisé teinté d'un noir et blanc qui accentue l'aspect fantastique du film, renforcé par un montage sec, souvent déroutant, transformant certaines scènes en véritable cauchemar. Les notions de rêve et de réalité se chevauchent alors, égarant le spectateur qui, de plus en plus intrigué, n'attend plus que le fin mot de cette étrange histoire.
Inspiré des tragiques évènements de Alleghe, La donna del lago est un film atypique dans lequel on trouve quelques uns des éléments qui feront quelques années plus tard le cinéma de Dario Argento dont cet oeil, énorme, qui par une ouverture faite dans une porte observe, enregistre, témoin des ébats de Tilde et d'un mystérieux homme (le coupable?) dont on ne verra pas le visage. On suit donc les errances de cet écrivain, torturé, jusqu'à parfois douter de la réalité. Bazzoni joue avec talent sur les ambiances, l'atmosphère souvent pesante, angoissante mais toujours fascinante transformant le film en une sorte de fantasmagorie hivernale. Car c'est bel et bien ce ton mortifère qui donne à La donna del lago une bonne
partie de son intérêt. Particulièrement noir, le film, narré de surcroit par la voix-off atone de Bernard, respire la mort à travers ce village perdu dont les habitants semblent tous zombifiés, sans vie, cette forêt aux arbres décharnés recouverts de neige, son cimetière plongé dans la grisaille ambiante balayé par un vent glacial, cet hôtel vide de tout client hanté par le souvenir tenace de Tilde et son escalier en labyrinthe qu'une habile mise en scène rend par moment inquiétant, son petit lac glacé au bord duquel se promène de façon quasi spectrale Adriana, jeune épouse fragile et névrosée qui détient semblerai t-il un lourd secret. Plus le métrage progresse, plus le pauvre Bernard se dévitalise tant physiquement que
psychologiquement, comme lui aussi happé par la mort, rongé par le désespoir, les tourments, ses souvenirs, son enquête et un mauvais rhume qui le clouera au lit.
Les thèmes soulevés par Bazzoni sont tout aussi lugubres sans être spécialement originaux puisqu'on retrouve le cas classique d'un bourg plongé dans le silence car accusé d'un meurtre qu'on préfère taire ou oublier, celui d'une jeune femme apparemment bien sous tout rapport mais qui semblait pourtant cacher une double vie plus honteuse, avant de se fixer plus précisément sur un noyau de personnes plus ou moins manipulées rongées par le remord et d'inavouables secrets. Reste donc à savoir qui parmi elles est ou sont les
assassins de Tilde. On est ici à la croisée des genres, face à un film hybride qui annonce brillamment la déferlante de gialli et autres thrillers à l'italienne qui s'apprêtait à envahir les écrans de cinéma. Mais l'habileté de la mise en scène, une trame narrative implacable aussi acérée qu'une lame de couteau, une photographie magnifiée par un noir et blanc violent, le malaise incessant qui suinte des lieux et du décor, ces mystères qui se multiplient et s'épaississent au fil de l'histoire et surtout les ambitions à peine dissimulées du réalisateur font de La donna del lago un film très particulier, presque unique, avant-gardiste pourrait on dire.
Certes il ne se passe pas grand chose, Bazzoni a opté pour un thriller avant tout atmosphérique, hors du temps. Point de meurtres sanglants et autres effets sanguinolents, point de voyeurisme encore moins de sadisme gratuit. La donna del lago défile lentement tel un doux filet de fumée parsemé ça et là d'éclats d'une force incroyable, troublants, saisissants, parfois vertigineux, malsains (les scènes dans l'abattoir) ou vénéneux (les ébats interdits de Tilde), véritable gifle cinglante au visage du spectateur déstabilisé qui le conduiront vers le carnage final qui tranche avec le calme du métrage dans son ensemble.
Seul bémol au film, ses ultimes révélations qui risqueront de décevoir fortement, ces ultimes images que beaucoup regretteront. Un tel suspens étiré sur quasiment 80 minutes aurait
mérité une conclusion autre que cette fin ouverte frustrante amenée de manière maladroite. Si l'imagination du spectateur échafaudera donc bien des hypothèses, cela n'empêchera pas de le laisser un peu trop sur sa faim, un brin amer, au vu de la perfection du scénario et du raffinement d'une mise en scène étonnante.
On saluera l'excellente interprétation d'une brochette de comédiens fort convaincants, d'une justesse exemplaire, l'acteur-réalisateur-scénariste américain Peter Baldwin en tête,
absolument parfait dans le rôle de cet écrivain torturé entouré de la regrettée Virna Lisi, à la fois douce et perverse, Valentina Cortese, toujours aussi sublime dans la peau de personnages torturés, Pia Linstrom touchante en fragile et fantomatique épouse névrosée, Philippe Leroy toujours aussi froid et imperturbable ainsi que Salvo Randone, pathétique et inquiétant sans oublier Enrico Sciaponi, le troublant photographe bossu détenteur de vérités interdites.
Mené par une très belle et très efficace partition musicale signée Renzo Rosselini, La donna del lago, tourné dans le petit village lacustre de Brusconi dans les Dolomites, est une pure
merveille tout en suggéré malheureusement trop méconnue que tout amateur de thriller se doit de découvrir. Voilà un film rare dans tous les sens du terme, une oeuvre belle, envoutante, macabre, douloureuse, inhabituelle dans ce type de cinéma italien de cette époque, une véritable petite perle à visionner de toute urgence par le biais du DVD espagnol, seule édition disponible à ce jour.
Bien peu prolifique, Luigi Bazzoni qui travaillera par la suite essentiellement dans le documentaire signera en 1971 un second giallo avec cette fois un Franco Nero anémié, Journée noire pour le bélier, beaucoup moins réussi et surtout décevant.