Wild tigers I have known
Autres titres:
Real: Cam Archer
Année: 2006
Origine: USA
Genre: Drame
Durée: 98mn (uncut) / 81mn (cut)
Acteurs: Michael Stumpf, Patrick White, Max paradise, Fairuza Balk, Kim Dickens, Tom Gilroy, Joey Koffman, Dash Mann, Tim Greer, Ruth Elliott, Derek Mitchler...
Résumé: Logan a 15 ans. C'est un adolescent solitaire qui n'a pas d'ami et ne parle que très peu. Seul avec sa mère blasée, il vit au quotidien dans un monde de rêves. Logan découvre également son corps et sa sexualité. Il se sent différent et surtout attiré par les garçons. Il tombe amoureux de Rodeo de deux ans son ainé, un marginal au charme ravageur. Incapable de franchir le cap, Logan s'invente un double féminin, Leah. Il commence ainsi à appeler Rodeo afin de lui faire l'amour par téléphone et vivre ainsi son désir jusqu'à cette nuit où Rodeo voudra rencontrer l'inconnue. Le subterfuge découvert, Logan se retrouve encore plus seul. Travesti en fille, l'adolescent s'admire dans le miroir mais refuse de d'admettre son homosexualité, incapable d'identifier sa sexualité. Aux yeux du collège, il est un tigre sauvage en liberté qu'on doit fuir...
Premier long métrage du jeune metteur en scène américain Cam Archer, spécialisé jusqu'alors dans le documentaire vidéo et le court, Wild tigers I have known fera d'emblée penser aux oeuvres de Gus Van Sant qu'on retrouve ici à la production. En fait, ce troublant drame de l'adolescence qui appartient au riche filon du coming of age movie est un difficile croisement entre Elephant, Tarnation et Mysterious skin auxquels se seraient mêlés certains éléments propres à l'univers très particulier de Harmony Korine.
Wild tigers I have known évoque tout simplement l'éveil de la sexualité d'un pré-adolescent de 15 ans, Logan, qui découvre son corps en pleine mutation, ses désirs encore tout frais qui lui sont inconnus. Tout est confus et cette confusion crée en lui un profond trouble d'autant plus fort que ses hormones travaillent et le poussent de plus en plus à vouloir découvrir l'acte sexuel. Tout pourrait être simple si Logan ne sentait pas différent. Enfant peu bavard et solitaire que la plupart de ses camarades fuient, Logan vit dans un monde de rêves, coupé de la réalité, dans lequel il s'invente non seulement une vie mais où il peut également vivre ses fantasmes interdits. Et ce sont vers les garçons que ceux ci se portent et plus particulièrement vers le beau Rodeo, un adolescent de 17 ans, un marginal, un solitaire tout comme lui qui déteste l'école. Leur solitude, leur marginalité les rapprochent et Logan délaisse son seul ami, Joey, trop immature. Rodeo devient alors pour Logan une obsession,
alimente de plus en plus ses désirs mais il a trop peur de franchir le cap. Alors qu'il continue à rêver, il se compare à un tigre sauvage, un lion que tout le monde doit fuir au collège. La symbolique est claire. Le petit pédé est un fauve en liberté, tout le monde aux abris scandent les voix dans sa tête. Dans son aliénation, le lion devient une sorte de symbole pour Logan, il s'identifie à cet animal qui devient également l'image même de sa sexualité, ces penchants homosexuels qu'il ne comprend pas vraiment mais ne parvient pas vraiment à cacher car encore trop naïf. Logan est fragile, vulnérable, encore plus vulnérable lorsqu'on le traite de gay parce qu'on l'a surpris entrain de simplement regarder ses camarades dans les vestiaires des douches. Ce rejet le fait se replier encore plus sur lui même, s'enfoncer encore plus dans son univers tandis que son désir pour Rodeo ne cesse de croitre.
De plus en plus perdu dans sa sexualité, Logan plonge dans une sorte de douce folie qui le conduira à créer son propre double féminin, Leah. C'est peut être là le plus troublant, le plus dérangeant dans Wild tigers I have known. Si le travestissement chez l'adulte peut passer pour une gentille et inoffensive déviance, elle devient beaucoup plus malsaine chez l'enfant en l'occurrence chez Logan. Si on a tous un jour volé un tube de rouge à lèvres à sa mère, pour Lucas ce geste a une signification plus profonde. Il se contemple devant la glace ainsi maquillé. Se sent il fille, se sent il garçon, est il seul? Voudrait il être plus âgé comme tente à le montrer la scène où il se colle une touffe de cheveux sous les aisselles afin de mieux comprendre ce qui le bouleverse tant au plus profond de son corps? Du simple maquillage au transfert de personnalité il n'y a qu'un pas. A travers le personnage de Leah, il tente par deux fois de séduire et de faire l'amour à Rodeo par téléphone, un jeu malsain auquel, étonné mais excité, il prend goût. Are we gonna fuck? Yes you can fuck me? Ces deux petites phrases résonneront longtemps dans la tête du spectateur, mis mal à l'aise par ces deux séquences, très certainement les plus troublantes et les plus fortes du film. Particulièrement
bien amenées, elles dégagent quelque chose d'à la fois inquiétant, dérangeant mais aussi fascinant tant cet enfant de 13 ans se transforme soudainement en adulte à travers le combiné. Lorsque Rodeo exigera de rencontrer Leah une nuit afin de lui faire l'amour physiquement, Logan est pris à son propre jeu. Dissimulé sous une capuche, tapi dans l'obscurité, il demande à son ami de se dévêtir. Archer parvient à maintenir un suspens presque haletant, maitrisant à la perfection cette difficile séquence, jusqu'au moment où Rodeo découvrira le visage de Logan et s'en ira, le laissant seul, déçu et désespéré. Est ce cet échec, cette solitude encore plus profonde qu'auparavant, ce rejet définitif, cette énorme désillusion, le fait de ne pas être une fille pour pouvoir aimer ce garçon mais c'est travesti en magnifique petite poupée blonde qu'on le retrouve chez lui en compagnie de Joey, fort mal à l'aise, totalement dérouté face au comportement de son ami. Plus qu'un simple travestissement, cette transformation illustre de façon radicale le malaise de cet adolescent qui ne comprend pas sa différence. Perturbé, il fait une sorte de transfert, effleure le transgenre, pour faciliter les choses mais refuse d'admettre qu'il est gay lorsque Joey le lui demande. I'm not gay. I don't know if I like boys répétera t-il.
Le final restera assez flou et les interprétations seront donc diverses. Alors qu'une voix off scande "Il y a un lion en liberté sur le campus scolaire, Logan est pédé, tous au abris" on découvre l'enfant sur son lit, le torse nu sur lequel il a écrit au rouge à lèvres "Il ne m'a pas tué. Suit un discours du professeur sur l'intolérance auquel assiste tout le collège. Le visage de Rodeo apparait de l'autre coté d'une palissade tandis que Logan, heureux, s'éloigne en courant dans un somptueux paysage féerique. Celui dont il était si épris est il revenu, illustrant ainsi la morale du professeur sur la tolérance et la différence? Cela ferait également écho non seulement sur l'ambiguïté que laisse planer le cinéaste sur Rodeo tout au long du film mais aussi à la conversation téléphonique qu'il avait eu avec sa petite amie lorsqu'elle le mettait en garde contre son évidente homosexualité. Cela lui était égal et avouait qu'il se laisserait sucer, l'important est de plaire. D'autres verront dans ce dénouement, une forme de folie irréversible, Logan s'enfonçant définitivement dans cet imaginaire où il peut être enfin heureux à travers ses rêves.
Wild tigers I have known est un joli poème mis en image sur le douloureux passage du stade de l'enfance à l'adolescence, sur l'éveil, la découverte de la sexualité et malheureusement de sa différence. Archer met en exergue les angoisses, les peurs, l'incompréhension et la cruauté que cela entraine chez un enfant au départ isolé. C'est le douloureux parcours d'un adolescent obsédé par sa sexualité toute fraiche en quête d'amour, un amour particulier, qui le perturbe encore plus. Tout le film est centré autour de la fragilité de Logan au détriment des autres personnages y comprend celui de Rodeo. Wild tigers fut même remonté et amputé de quelques scènes essentielles dont celle où il rend visite travesti en fille à la petite amie de Rodeo, un personnage qui n'existe plus dans la version excisée qu'à travers un appel téléphonique, afin de mieux se concentrer sur les profonds troubles intérieurs de cet enfant. Le film s'en trouve ainsi un brin déséquilibré mais le pouvoir des images d'une part et la justesse de l'interprétation feront assez vite oublier ce désagrément.
Si Wild tigers I have known est un intelligent et audacieux voyage au coeur de la sexualité adolescente perturbée, c'est également un exercice de style, une expérience visuelle à laquelle on sera sensible ou pas. Particulièrement lent, dénué de toute véritable action, le film est une suite de tableaux qui met en scène Logan au milieu de ses rêves multicolores. Malheureusement on pourra regretter l'utilisation excessive des effets de synthèse qui brise l'onirisme de l'ensemble du moins aux yeux des détracteurs de ces procédés dont le Maniaco fait partie et les empêcheront d'adhérer pleinement au récit et à sa force émotive. Quant à ceux qui ont du mal avec le cinéma de Van Sant en général et ce type d'oeuvre hermétique et difficile d'accès ils devraient rapidement se détourner du film de Archer. Reste que Wild tigers pour un premier film est une réussite sur le plan narratif et émotionnel qui en touchera plus d'un.
On soulignera la prestation très juste du frêle Michael Stumpf, 15 ans lors du tournage, qu'on avait découvert aux cotés de Madonna dans Un couple presque parfait et qui depuis a mis en veille sa carrière d'acteur pour poursuivre ses études. Le plus mature Patrick White, 17 ans, a quant à lui tout d'un adolescent échappé d'un film de Larry Clarke. Archer sait le mettre en valeur et capturer l'essence même de sa troublante beauté juvénile.
Filmé dans les superbes décors naturels de Santa Cruz, la ville natale du réalisateur, mené par une excellente partition musicale aussi douce qu'angoissante lors des scènes d'amour par téléphone et de rêves masturbatoires de Logan, Wild tigers I have known, toujours pudique même s'il s'ouvre sur une scène d'orgasme, est un spectacle lyrique, poétique certes difficile qui met en exergue les turpitudes de la sexualité / l'homosexualité (pré)-adolescente avec tact et émotion. S'il est très loin d'avoir l'audace et le coté voyeur de La maladolescenza, véritable petit diamant inégalable et inégalé du cinéma d'exploitation italien, il le rejoint dans un certain sens tout comme il se rapproche de près du danois You are not alone en s'inscrivant dans la longue lignée des films qui traitent de ce délicat sujet puisqu'on le sait depuis longtemps les anges eux aussi ont un sexe. Il ne restait plus qu'à le montrer. Archer comme beaucoup d'autres l'a fait.