Sin destino
Autres titres: Sans destin / Without destiny / No fate
Real: Leopoldo Laborde
Année: 2002
Origine: Mexique
Genre: Drame
Durée: 94mn
Acteurs: Francisco Rey, David Valdez, Roberto Cobo, Sylvia Vilchis, Mariana Gaja, Roberto Trujillo, Malenski Ruiz...
Résumé: Francisco a 15 ans. Il se prostitue dans les rues miséreuses de Mexico pour survivre et se payer ses doses quotidiennes de cocaïne. Il squatte un taudis tout en tentant de profiter de son ami David, un autre adolescent tout aussi paumé mais qui refuse et la drogue et le trottoir. Francisco n'a connu que des hommes, on le croit gay jusqu'au jour où il succombe au charme d'une jeune voisine surnommée Blondie. Afin d'être à la hauteur, il fait son initiation sexuelle féminine avec une prostituée. Malheureusement, alors qu'il tente de lui faire l'amour, son passé lui revient en mémoire. Violé et photographié par un vieux pornographe alors qu'il n'avait que 9 ans, Francisco ne peut plus avoir de relation normale. C'est alors que le vieil homme réapparait dans la vie de l'adolescent qui sans argent, en manque, décide en désespoir de cause de retourner une dernière fois vers lui. Sa haine va resurgir après qu'il ait tenté de le violer une autre fois. Sous l'effet d'une puissante drogue, ravagé par la colère, prisonnier d'une homosexualité qu'il n'a pas choisi, le destin de Francisco va en quelques heures basculer dans l'enfer...
Pour ceux qui pensent que le cinéma gay est un cinéma avant tout désespéré, ce n'est pas Sin destino qui viendra les contredire. Venu du Mexique, un pays où les films qui traitent d'homosexualité sont encore assez rares, Sin Destino, réalisé par un jeune cinéaste touche à tout, Leopoldo Laborde, traite une fois de plus de la prostitution adolescente, un thème quasi récurrent dans le cinéma homosexuel, mais en lui adjoignant un sujet plus cru et surtout plus difficile d'abord, le pédophilie. Très libre adaptation du film de Luis Bunuel, Los Olivados, auquel il rend hommage, Sin destino fait partie de ces expériences cinématographiques qui ne peuvent laisser indifférent, qui dérangent tout en fascinant malgré leurs défauts et ceux ci ne manquent pas.
Sin destino nous conte la vie d'un jeune prostitué, Francisco, qui pour survivre et se procurer ses doses de cocaïne journalières vend son corps dans les rues de Mexico. Il n'a que 15 ans mais ce sont déjà des centaines d'hommes qui se sont succédé dans sa vie comme le lui rappelle son meilleur ami, David, un adolescent plus stable mais un voyou, un de ces anges des rues qui vivent de menus larcins. Tout le monde le croit gay car personne ne l'a jamais vu avec une fille. En fait Francisco a été abusé alors qu'il n'avait que 9 ans par un pornographe sexagénaire, Sebastian, qui l'a ensuite photographié nu. Traumatisé par ce viol, son passé le hante. Il ne peut plus désormais avoir de relation normale avec une fille. Sa vie va basculer le jour où il tombe sous le charme de Blondie, une jeune voisine, juste avant que Sebastian ne revienne dans sa vie.
Le but de Sin destino n'est pas de nous montrer la vie des jeunes prostitués mexicains, ni de comprendre leurs motivations. Laborde veut simplement entrainer le spectateur dans l'enfer de Francisco, lui faire partager son cauchemar en allant toujours de plus en plus loin dans l'horreur. Peu importe qui il est, on ne saura rien de lui ni de son ami, ni même de Sebastian, de leur famille, leur vie, tous semblent être sortis de nulle part et se suffire à eux mêmes, l'anonymat, l'ambiguité des personnages donne en fait une force toute particulière au film. On ne s'attache guère à eux, il n'y a ainsi aucun sentimentalisme, leur vie nous explose au visage comme une bombe au vitriol.
Tourné en 16mm et en vidéo, caméra le plus souvent à l'épaule, dans en noir et blanc maladif afin de mieux nous faire vivre le cauchemar de l'adolescent, Sin destino se permet quelques éclats de couleur lorsque, reclus dans le taudis qui lui sert d'abri, il rêve ou lorsqu'il est sous l'emprise de drogues, un monde où tout semble parfait l'espace de quelques temps avant que son douloureux passé ne le rattrape. Laborde n'est guère avare de scènes choc parfois gratuites (le plan de Francisco défèque aux toilettes). Abus de grand angle, visages déformés, hurlements, caméra convulsive, musique techno tonitruante ou mélopées envoutantes, crasse, ébats sexuels violents dont une sodomie où les coups de rein se mêlent aux spasmes nauséeux de Francisco, hallucinations orgiaques, décors délabrés, Laborde utilise toute la panoplie "coup de poing" jusqu'au final grand guignolesque. En outre, les mimiques exagérées de Sebastian qui rappelle l'âge d'or du cinéma muet expressionniste, autre référence à Bunuel, renforce son coté vicieux et pervers, le coté effroyable du personnage issu d'un cauchemar trop réel.
Plus dérangeantes sont les séquences qui mettent en scène Sebastian et Francisco. Filmées pourtant avec une certaine retenue, il s'en dégage cependant un indicible malaise, une atmosphère suffocante, un sentiment d'écoeurement et d'oppression tant dans les séances photo que dans leur relation ambigüe qui débouchera sur une explosion de haine libératrice foudroyante.
Malgré sa violence, Sin destino n'est pourtant pas exempt de sensualité et de poésie. Les séquences oniriques sont souvent très belles, presque irréelles, et représentent peut être les moments les plus réussis du film tandis que Laborde filme ses jeunes acteurs comme le ferait Larry Clark auquel le film fait parfois penser. A l'instar du cinéaste américain, il filme avec plaisir et sensualité les corps nus des comédiens, totalement à l'aise face à la caméra, capte leur regard, la beauté de leur visage et de leur corps pour notre plus grand plaisir d'autant plus que leur charme ne laisse guère indifférent. Les deux principaux protagonistes pourraient d'ailleurs être sans aucun mal issus de Wassup rockers.
Pourquoi alors Sin destino ne fonctionne qu'au trois quart? Si on frémit, si parfois on frissonne, si parfois on ressent un certain malaise, si on est pris par la beauté des comédiens, il est par contre parfois difficile de rentrer totalement dans cet univers nauséabond, poisseux pour la simple et bonne raison que malgré tout l'éventail "coup de poing" que déploie Laborde, il n'arrive pas vraiment à créer un réel climat, à retranscrire cet univers de cauchemar dans lequel Francisco plonge inexorablement. Trop maladroit par instant, Sin destino souffre également d'un certain déséquilibre narratif parfois gênant. Volontairement ou non mais si on en croit le réalisateur, c'est un choix personnel, le scénario présente des blancs, des ellipses qui pourront en gêner certains. Ainsi, le personnage de Sebastian s'il apparait comme un simple pervers pédophile au début du film se transforme à son retour en un vieillard plus complexe puisque Laborde sous-entend que Francisco et lui ont entretenu une relation intime durant quelques temps par la suite.
Il est un peu difficile donc de cerner le lien qui les unissait et par conséquent de réellement comprendre ce qui existe entre eux. On regrettera également une surenchère dans le glauque notamment lors du final hallucinant, si énorme qu'il en devient non seulement peu plausible mais totalement ridicule. Comment en effet croire que nos deux adolescents puissent trouver 800 dollars américains en quelques minutes alors qu'ils ont un mal fou à se faire quelques pesetas? Comment imaginer qu'avec l'aide de deux complices ils aient pu couper en morceaux, brûler et cacher les corps de leurs victimes dans des sacs poubelle qu'ils déposent en plein jour au vu de tous dans le terrain vague où sont sommairement enterrés tous les homosexuels et petits tapins morts du sida? Dommage que Laborde ait cru bon de donner dans le grotesque pour clore ce voyage au bout de l'enfer de Francisco, 15 ans drogué, abusé, prostitué.
Mal accueilli par la critique et le public homosexuel, montré du doigt au Mexique car il montre sous un bien mauvais jour le pays, Sin destino fait également un dangereux amalgame puisqu'il associe homosexualité et pédophilie. Laborde démontre en effet clairement que son héros est devenu homosexuel car il a été violé. Sans aucun bémol, cette démonstration pourra donc heurter et faire de Sin destino une oeuvre anti homosexuelle. Plus en filigrane est le fait que Laborde sous entendrait que si la prostitution est le seul moyen de survie pour tous les adolescents paumés de Mexico c'est surtout l'étranger qui le corrompt et le débauche. Ceci est d'autant plus embarrassant qu'il laisse planer l'ombre du doute sans jamais réellement apporter une réponse.
En l'état, Sin destino est définitivement un film choc, difficile, une oeuvre tragique et violente, sans concession, typique d'un certain cinéma gay underground particulièrement sordide et malsain qui plaira sans aucun doute à tous ceux qui se lovent dans les univers où la beauté des corps et des visages se mêle à la déliquescence de l'être humain.
On appréciera le jeu quasi parfait des jeunes acteurs, d'un naturel étonnant, tous amateurs, qui donne par instant un coté documentaire au film tout comme on sera séduit par leur beauté et leur photogénisme. Francisco Rey, de son vrai nom Francisco Ruiz, crève littéralement l'écran aux cotés de David Vasquez. Ce fut là leur ultime expérience cinématographique après une apparition dans deux courts-métrages. Roberto Cobo qui incarne Sebastian fut justement jadis à l'affiche de Los Olivados. Il retrouva Laborde à l'occasion de ses deux films suivants.