Vittima designata
Autres titres: Victime désignée / Designated victim / Der todesengel
Real: Maurizio Lucidi
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 90mn
Acteurs: Tomas Milian, Pierre Clementi, Katia Christine, Marisa Bartoli, Luigi Casellato, Ottavio Alessi, Alessandra Cardini...
Résumé: Publicitaire à la tête d'une entreprise lucrative, Stefano voit ses rêves s'effondrer quand sa femme, Louisa, décide de vendre la société. Il découvre qu'en fait la société est enregistrée au seul nom de Louisa. Stefano se console alors dans les bras de sa maîtresse. Alors qu'il séjournent tous deux à Venise, Stefano rencontre l'étrange et bien mystérieux comte Matteo Tiepolo, dandy manipulateur et décadent surgi de nulle part. Matteo lui offre son amitié avant de lui proposer un étrange marché. Brutalisé par son frère que Stefano ne verra jamais, il doit tuer cet homme afin que Matteo ne souffre plus. En retour Matteo tuera son épouse. Alors que leur relation devient de plus en plus ambigüe, Stefano fasciné par Matteo ne voit pas le piège se refermer sur lui. Quand son épouse est assassiné, Matteo disparait, laissant Stefano comme seul coupable. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Qui est réellement la victime?
Si Victime désignée dont on doit le scénario à Aldo Lado reprend la trame de L'inconnu de l'Orient-Express, Maurizio Lucidi transforme le film d'Alfred Hitchcock en un giallo psychologique, un giallo d'atmosphère qui lentement tend vers le fantastique jusqu'au final que chacun interprétera à sa façon.
Victime désignée est un film lent, fascinant qui du giallo réutilise certains des composants de base notamment lors de l'ouverture. Lucidi joue sur les regards, les apparences, les faux-semblants ainsi que sur la présence des miroirs, symboles du double qu'on retrouvera par la suite dans l'analyse des deux principaux protagonistes. Assez rapidement, Lucidi délaisse le genre pour progressivement glisser vers une étude psychologique de ses personnages, Stefano et Matteo. Toute l'intrigue repose alors sur cette tentative d'analyse, la manipulation de l'esprit, l'identité tout en reprenant à sa manière le thème du double. Voilà bien le point fort de ce film étrange et envoûtant d'un bout à l'autre.
Il y a d'une part Stefano, un être affaibli par la crise que traverse son couple puis le meurtre de son épouse, un homme crépusculaire et mélancolique particulièrement influençable. D'autre part il y a le comte Matteo Teppiolo, dandy décadent, ambigu et spectral et surtout diabolique. La trame de l'histoire se concentre sur le lien complexe qui unit ses deux personnages intelligemment et subtilement développés. C'est de loin ce rapport aussi mystérieux que fascinant qui fit de Victime désignée une réelle réussite.
Qui est donc matte, surgi un jour de la brume vénitienne, le long d'un canal, au bras d'une jeune aveugle? Est il un manipulateur génial et machiavélique, un schyzophrène souffrant d'un dédoublement de personnalité, l'incarnation perverse du double de Stefano ou celle du coté obscur de tout un chacun. Est il tout simplement le Diable lui même, hypothèse renforcée par les nombreuses références religieuses dont Lucidi agrémente le film: les peintures sacrées, les églises et cathédrales, les statues d'ange mais également le coté christique du comte, son omniprésence et omnipotence, sa ressemblance troublante avec le Christ.
Outre la singularité de leur rapport, il existe également entre les deux hommes une autre ambiguïté plus sexuelle cette fois. L'ombre de l'homosexualité plane en effet tout au long du film, latente, sournoise presque palpable, qui se traduit non seulement par l'étrange fascination qu'exerce Matteo sur Stefano mais également par les regards, les gestes, les sous-entendus dont joue Lucidi renforcé par le coté décadent et précieux de Matteo. Victime désignée peut donc se lire sur plusieurs niveaux, complexes et tortueux, que le spectateur, enchanté, choira selon son ressenti.
Si Venise a souvent été le théâtre de drames dans le cinéma transalpin rarement le tryptique Venise=amour-mort-décadence n'aura aussi bien été illustré. Et pour faire de Venise une ville propice à tous les mystères, Lucidi n'a pas son pareil. il fait de la célèbre ville un lieu lugubre, à la fois triste et élégant, où règne une atmosphère malsaine, pesante presque oppressante, magnifié par une très belle photographie et porté par une partition musicale de Bacalov à laquelle s'ajoute l'air plein de mélancolie chanté par Tomas Milian lui même, My shadow in the dark. La musique contribue énormément à l'atmosphère unique de ce film noir et désespéré dont la tension va crescendo jusqu'à l'éblouissante et palpitante scène finale qui surprendra (ou pas) mais laissera la porte ouverte à l'imagination du spectateur, troublé par cette conclusion aussi logique qu'implacable.
Victime désignée doit beaucoup aussi à ses deux principaux interprètes, Tomas Milian et Pierre Clementi. Tomas qui s'est lui même doublé cette fois, sobre et fragile est pourtant cette fois supplanté par la performance de Pierre Clementi, majestueux, plus théâtral et ambïgu que jamais, à la fois fort et vulnérable, tellement las de la vie que même respirer semble lui peser, poussant à l'extrême ce personnage qui l'a si souvent incarné.
Victime désignée, dénué de toute scène sanglante, est un film quasi unique dans le cinéma de genre italien, somptueux, une véritable perle de culture qui compense son manque d'originalité au niveau de son scénario par cette atmosphère saisissante, hypnotique et une lecture multi-directionnelle impressionnante.
Si certains points auraient certes pu être plus approfondis cela n'empêche nullement Victime désignée d'être proche du chef-d'oeuvre difficilement catalogable. A découvrir de toute urgence.
Pour l'anecdote, le tournage du film ne fut pas facilité par les écarts de conduite de Clementi, choisi par Milian lui même, qui menaça plusieurs fois de quitter le plateau. En plein délire christique, Pierre se prenait alors pour le Christ. Totalement sous l'emprise de l'héroïne, Lucidi dut lui fournir quelques doses de façon clandestine afin que l'acteur n'abandonne pas le tournage. En pleine crise, il se taillada réellement les bras à coups de lames de rasoir lors de la fameuse scène où il montre son corps mutilé à Milian. Malgré son amitié pour Pierre avec qui il avait déja tourné notamment Les cannibales Tomas eut également nombre de démêlés avec lui qui faillirent également lui faire abandonner le rôle.