Mania
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Réal: Renato Polselli
Année: 1974
Origine: Italie
Genre: Thriller / Horreur
Durée: 82mn
Acteurs: Eva Spadaro, Brad Euston, Mirella Rossi, Isarco Ravaioli, Ivana Giordan, Max Dorian, Filomena Desiato...
Résumé: Délaissée par son époux, le professeur Brecht, Lisa le trompe avec son frère jumeau Germano. Lorsqu'il découvre l'adultère Brecht a une violente altercation avec son frère dans son laboratoire. Elle vire au drame lorsque le laboratoire prend feu. Prisonniers des flammes Brecht meurt carbonisé, Germano, gravement brulé, sera amputé des deux jambes et défiguré. Lisa a refait sa vie avec Lailo mais elle est depuis la tragédie rongée par la culpabilité et reste persuadée que Brecht cherche à se venger par delà la mort. Afin d'exorciser ses peurs elle retourne à la villa du drame en compagnie de Lailo. Elle va rapidement être emportée dans un tourbillon de folie incontrôlable...
Renato Polselli est très certainement un des réalisateurs si ce n'est le réalisateur le plus singulier que le cinéma de genre italien ait connu. Visionner un de ses films est à chaque fois une véritable expérience, quelque chose d'unique, d'étrange, qu'on aime ou qu'on déteste. Avec Polselli il n'y a pas vraiment de juste milieu. Tout au long de sa carrière il a crée un univers de bizarrerie qui lui est propre, l'univers polsellien, dans lequel il plonge le public à chacun de ses films. Certains voient en lui un véritable génie, d'autres le voient comme un metteur en scène prétentieux, pompeux, qui n'a rien à dire et cache le néant de sa réflexion derrière des propos pseudo intellectuels vides de sens.
Tourné en 1974 juste après ses trois films les plus connus Oscenita, Delirio caldo et Rivilazioni di una psichiatra sul mondo perverso del sesso Mania ne déroge pas à la règle et reste très surement le film le plus étrange, le plus délirant de son auteur.
Lisa et son fiancé Lailo roulent de nuit sur une route isolée. Lisa est terrifiée. Elle est persuadée que son défunt époux, le professeur Brecht, la persécute par delà la mort. Très investi dans ses recherches Brecht qui venait de mettre au point une incroyable machine capable de radio commander les êtres vivants en avait oublié sa vie de couple. Frustrée Lisa s'est réfugiée dans les bras de Germano, le frère jumeau de Brecht. Ce dernier les a
surpris. Fou de rage Brecht s'en est violemment pris à son frère. Ils en vinrent aux mains dans le laboratoire qui prend feu. Prisonniers des flammes les deux hommes ont tout tenté pour s'extirper du brasier sous les yeux terrifiés de Lisa. Si Germano s'en est sorti il reste cependant défiguré et a du être amputé des deux jambes. Brecht quant à lui est mort carbonisé. Lisa se sent depuis coupable du drame. Si elle a refait sa vie avec Lailo, l'ancien assistant de Brecht, elle est certaine que Brecht veut se venger malgré les tentatives de raisonnement de Lailo. C'est la raison pour laquelle elle a décidé de se retourner sur les lieux du drame afin d'exorciser ses peurs et obsessions. Sur le chemin c'est déjà une
voiture sans chauffeur qui les poursuit et tente de les précipiter dans un ravin. Arrivés dans la villa désormais habitée par Germano, sa fidèle domestique Katia et Erina, une élève de Brecht qui logeait chez lui devenue muette suite au drame, Lisa est en proie à de terribles visions tandis que la tension monte entre Lailo et Germano. La peur s'empare de plus en plus de Lisa prise dans un tourbillon de folie incontrôlable. Mais la jeune femme est-elle folle, est-elle victime d'une vengeance d'outre tombe ou tout simplement victime d'une terrible machination?
Avec Mania Polselli a réussi le tour de force de mélanger dans un même film un nombre
assez stupéfiant de genres. Difficile donc de le classer dans une catégorie bien spécifique puisque ce patchwork pelliculaire mêle allégrement la science-fiction (la machine qui radiocommande les être vivants, à savoir une bétonnière bêtement peinte en rouge), l'horreur teintée de quelques touches gore, l'épouvante gothique, le film de fantômes, la sexploitation, le film de savant fou (qui comme le veut la tradition sera brûlé vivant dans son laboratoire en feu) et le giallo tendance fantastique. On y ajoute quelques clins d'oeil comme celui à Duel (la voiture sans conducteur qui poursuit le couple) et ceux qui se réfèrent directement à ses propres oeuvres (la porte de verre de Rivilazioni..., le sac en plastique de
Delirio caldo), l'ensemble baignant dans une constante atmosphère de folie malsaine, d'improbabilité typiquement polsellienne. On secoue bien le tout et on obtient Mania qui peut se scinder en deux parties distinctes.
La première est surement la plus plausible, la plus logique si toutefois on peut employer ce terme en parlant de Polselli. Le film s'ouvre sur cette phrase aussi incroyable que prometteuse: "Lorsque les ombres de la nuit obscurcissent notre vision du monde l'abysse mystérieuse du subconscient déchainera les forces incontrôlables de l'inconscient. Plus personne ne saura alors quand prend fin la réalité". Puis il plante son décor, inquiétant,
digne des meilleures oeuvres gothiques d'antan, des silhouettes d'arbres menaçantes qui se découpent dans le crépuscule (à moins qu'il ne s'agisse de l'aube, il n'y a aucun repère espace-temps) et bougent lentement au gré du vent. Puis il nous projette à l'intérieur de la voiture du couple Lailo-Lisa qui roule quelque part sur une route isolée. Lisa est nerveuse, terrorisée, elle conduit. Lailo tente de la rassurer. Par l'intermédiaire de flashbacks on en comprend vite les raisons. Se sentant coupable de la mort horrible de son mari qu'elle a trompé avec son frère jumeau elle est désormais persuadée que l'époux éconduit veut se venger d'elle et cherche à la tuer par delà la mort. Retourner à la villa du drame est donc
pour elle une forme d'exorcisme, elle veut vaincre sa peur et non pas sa folie car entre ses peurs et la folie cette dernière est plus facile à vaincre dixit Polselli. A partir de ce point de départ on aurait pu s'attendre à un film d'horreur plutôt classique, voire un thriller horrifique tendance gothique. Mais avec Polselli rien n'est simple. On bascule assez rapidement dans l'irrationnel avec cette voiture sans conducteur qui cherche à tuer le couple. On n'en saura pas plus. Peu importe, chacun trouvera son explication. C'est ainsi que s'achève ce voyage nocturne puisque nous voila arrivés à la villa maudite aujourd'hui habités par trois personnages qui tous ont des peurs secrètes qui leur sont propre, Germano, le cul de jatte
défiguré, Erina la jeune élève de Brecht devenue muette après qu'il ait voulu l'asphyxier le jour où il a découvert l'adultère, Katia la fidèle domestique... et le spectre ricanant de Brecht. Commence alors la seconde moitié du film et les choses se corsent.
Force est de constater que plus rien n'a vraiment de sens dés lors que Lisa et Lailo s'installent à la villa. Mania devient un grand n'importe quoi. Il n'y a plus aucune règle, aucune logique. Polselli, déchainé, n'a plus qu'un seul but en tête semble t-il, multiplier les visions, les plans horrifiques et les scènes de nu totalement gratuites. Lisa passe son temps à courir, hurler et rouler des yeux de merlans frits alors que le méphistophélique
Brecht ne cesse de lui apparaitre. Germano cloué dans son fauteuil roulant lorsqu'il ne s'emporte pas ou ne joue pas les hystériques n'a de cesse de torturer sans raison la pauvre Erina qui durant tout le métrage n'est vêtue que d'une chemise rouge sous laquelle elle ne porte étrangement aucune culotte. Il tente même de la violer avec les roues de son fauteuil, un moment lunaire complètement délirant tout comme l'est la scène où il tente vainement d'abuser de Katia dans sa chaise roulante. Quant à Katia la taciturne elle crie, elle pleure, elle déteste sans raison apparente Erina (ce qui nous vaut un cat fight) mais semble être très attirée par Lisa. De quoi donner à Polselli l'occasion de quelques scènes saphiques à
deux ou à trois aucunement justifiées dans l'intrigue comme bien souvent n'est pas justifiée l'attitude de Katia dont le rôle part avouons le tout azimut. Que dire de Lailo qui semble avoir le don d'ubiquité? Il est un peu partout dans la villa même lorsqu'il n'y ait pas (!) et doit également avoir un crâne extraordinairement solide puisqu'après que Lisa le lui ait fracassé à coups de chandelier il se relève comme si de rien n'était, pas une seule petite goutte de sang ni même un bon mal de tête! A tout cela se rajoutent des séquences qui ne se rattachent à aucune autre ou ne trouvent aucune réelle explication (l'apparition des anguilles qui attaquent Lisa), un montage parfois aléatoire (des personnages censés être enfermés
réapparaissent soudainement à l'écran), des dialogues pseudo-intellectuels comme seul Polselli en a le secret qui frisent l'absurde et une bande son qui mêle un peu tout et n'importe quoi (violons sinistres, rock progressif, bruits futuristes...).
Seul le final soit les dix dernières minutes vient se rattacher de façon un tant soit peu cohérente au début du film mais il ne fallait pas être particulièrement intelligent pour comprendre le pourquoi du comment. Personne ne sera vraiment étonné de cette conclusion qui rattache naturellement Mania à la veine du thriller. Tout le monde le sait: les fantômes n'existent pas.
Chose habituelle chez Polselli il tente de nouveau de sonder les tréfonds de l'âme, la psyché humaine, d'allier psychologie, horreur et hallucinations (la base de son cinéma) le tout saupoudré d'un zeste de surréalisme, de donner sa vision de ce qui pour lui sépare la raison de la folie. Avec Mania il a voulu entrainer le spectateur dans un tourbillon de folie tout en créant un climat de tension paroxysmique et de peur extrême. L'idée comme l'intention étaient louables mais malheureusement Polselli échoue sur toute la ligne. A force d'entendre son héroïne (et les autres protagonistes féminines) hurler, crier quasiment non stop, la (les) voir sans cesse courir et feindre la peur en grimaçant, en se crispant et en
écarquillant grand les yeux le film devient plus irritant qu'effrayant. On a juste envie de couper le son pour la (les) faire taire. Germano, hystérique dans son fauteuil, donne dans la surenchère et n'arrive jamais à être véritablement crédible, vite ridicule. Les apparitions de Brecht, vieillottes, pas très réussies et surtout tellement répétitives ne fonctionnent plus au bout d'un moment. Quant à l'interprétation, exaltée, surjouée, elle dessert le film. A l'affiche on retrouve les acteurs fétiches de Polselli, Brad Euston, diaboliquement survolté, Isarco Ravaioli, totalement passif, Ivana Giordan et surtout Mirella Rossi vite insupportable à force de jouer les muette terrorisée soumise qui toutes deux nous offrent notre quota de nudité.
C'est la statuesque mais trop amidonnée Eva Spadaro dont ce fut l'unique film qui incarne Lisa. Qu'on la préfère au naturel version cheveux courts ou sophistiquée sous une incroyable perruque couleur neige digne d'une drag queen Eva semble en tout cas s'être volatilisée dès la fin du tournage, introuvable depuis malgré des recherches lancées en 2002.
Malgré cela Mania a son charme et se laisse visionner avec un certain plaisir et un brin de curiosité comme beaucoup des Polselli, cette curiosité qui nous fait nous demander ce que le cinéaste va encore pouvoir inventer de tordu, de bizarre. Outre son ouverture, sa première
partie, on appréciera cette fausse ambiance gothique très réussie, les magnifiques jeux de lumière et d'images dont use Polselli, son style unique et si personnel et ses délires souvent excessifs, les touches de psychédélisme, une recherche esthétique évidente et les quelques effets sanglants.
Aussi confus, bordélique, incohérent (des adjectifs récurrents à l'oeuvre polsellienne en général) soit-il, Mania est un magnifique exemple du cinéma "weird" de son auteur, un kaléidoscope délirant qu'il est difficile de juger. On aimera (adorera?) ou on détestera mais
un Polselli laisse rarement indifférent. Celui ci a cependant des qualités qui font oublier tout le reste. Plus réussi que Delirio caldo mais plus faible que La verita secondo Satana avec qui il a pas mal de points communs, Mania est une expérience à tenter et un bon moyen de découvrir l'univers de Polselli pour ceux qui ne le connaissent pas encore puisque moins rébarbatif que la plupart de ses autres travaux.
A sa sortie le film donna bien des hauts le coeur à la censure d'alors qui le jugea aussi obscène que malsain et le séquestra jusqu'au jour où il obtient enfin son visa de sortie.
Mais maudit il disparut très rapidement et fut durant des décennies considéré comme perdu. Polselli avoua lors d'une interview qu'il en possédait une copie sur une vieille vidéo ce qui alors redonna espoir aux fans qui rêvaient de le voir. Il fallut pourtant attendre 2007 pour qu'une copie 35mm du film soit retrouvée à la cinéthèque de Rome redonnant vie à cette pellicule invisible depuis presque quarante ans et toujours inédite à ce jour sur support vidéo ou numérique.