La cité des 9 portes
Autres titres: La cité des neuf portes / The city of the nine gates / The city of the nine doors
Réal: Stéphane Marti
Année: 1977
Origine: France
Genre: Erotique / Expérimental
Durée: 69mn
Acteurs: Aloual, François Denis, Bernard Faucon, Gérard Gérard, Nuyen Lee, Marianna Gordonova, Tuya La Doll, Pipe Line, Sébastien, Laurent, Bruno, Robert Star, Lucie Pierre
Résumé: A travers toute une série de clichés, d'images, de diapositives mise en scène comme une chorégraphie le cinéaste sublime le corps masculin dans ce qui semble être une célébration, celles de noces ou d'un simple rendez-vous entre deux futurs amants...
Cinéaste, plasticien, enseignant mais aussi peintre et photographe le nom de Stéphane Marti est à jamais associé à un certain forme de cinéma expérimental, un art, une passion dont il s'est fait au fil des décennie une spécialité à travers laquelle il exprime sa fascination pour les corps, le désir, l'identité sexuelle et le sacré. Amoureux inconditionnel du Super 8, un support sur lequel il travaille exclusivement aujourd'hui encore, Marti met en scène des oeuvres baroques particulièrement visuelles et intimes comme on met en scène une pièce
de théâtre. Etonnants, flamboyants, étranges, allant totalement à contre culture ses films sont autant de curiosités qui souvent semblent impénétrables mais qui telle une toile peuvent être interprétées de mille façons par le spectateur dérouté. Réalisé en 1977 La cité des 9 portes (Grand prix du cinéma différent et prix de la critique au festival d’Hyères cette même année) en est une preuve criante devenue au fil du temps un film culte, un travail essentiel dans l'univers du cinéma gay et LGBT.
Difficile de résumer voire de parler de La cité des 9 portes tant il s'agit d'une oeuvre visuelle
que chacun pourra interpréter à sa façon, y voir ce qu'il veut y voir... ou pas. Il pourrait s'agir d'une célébration, celles de noces par exemple, ou d'un simple rendez-vous dont nous assistons aux longs préparatifs qui exaltent le désir, la tension sexuelle. Le film est scindé en plus ou moins trois parties. Voilà bien le seul point sur lequel tout le monde sera d'accord.
La première partie, la plus longue, s'attarde justement sur ces préparatifs présentés sous forme d'une interminable série de tableaux ou plutôt de clichés, de diapositives où se
mélangent les couleurs avec une prédilection pour les rouges et les ors, le blanc et le bleu. Véritable ode à l'androgynie le film joue sans cesse sur l'identité sexuelle. Sont-ce des hommes, sont-ce des femmes derrière ces maquillages, ces apparats multicolores, ces corps et ces visages et ces corps ambigus dissimulés sous cette peinture étincelante et ses bijoux chatoyants? Peu importe seule la fête compte, cette célébration du désir durant laquelle Stéphane Marti semble indiquer certains de ses fantasmes qu'il met en scène de manière aussi étrange qu'éblouissante comme ses innombrables plans sur de jolies
chaussures, des pieds qu'on habille, déshabille, expose et vernit avant de se faire plus intime lorsqu'ils se glissent entre les cuisses de ses protagonistes dévoilant ça et là un slip, de la lingerie masculine ou féminine tandis que les images sautent, dansent, virevoltent de façon fébrile au rythme d'une musique lancinante, obsédante par instant effrayante où se mêlent sons et bruits inquiétants, souffles et râles puis mixée avec une version sourde, étouffée du fameux "Mon truc en plumes" . C'est là encore un élément important du cinéma de Marti, tout semble être chorégraphié. On a l'impression d'assister à un ballet orgiaque,
une fête tribale où tout est filmé au son des musiques employées. Les images se mettent alors à danser atteintes d'une sorte de frénésie qui illustrent la montée de plus en plus forte du désir, de la fièvre. Changement de ton. Place au disco et son célèbre tube "Don't leave me this way" de Thelma Houston, un de ces éternels hymnes gay. C'est la fin des préparatifs semble t-il, la rencontre est imminente. On peut y voir une seconde partie, bien plus (homo)sexuelle cette fois.
Deux corps masculins attirés de manière électrique. Ils se cherchent, s'attirent du regard,
se rejettent en une sorte de parade amoureuse à laquelle s'ajoute une part de fantasme phallique symbolisée par ces plans rapides sur l'entrejambe d'un des garçons, le plus masculin, et de son sexe moulé dans un jean qui lentement s'entrouvre. Le disco a fait place à des airs d'opéra tragiques, des chants lyriques semi-religieux. Finalement les deux garçons se déshabillent, les sexes se libèrent. Chacun laisse exploser sa libido dans des corps à corps fébriles, virils, par instant violents, parfois décadents durant lesquels le sang semblent omniprésent sous forme dans un premier temps de peinture, de maquillages
ruisselants lentement sur les visages puis le long des torses avant de maculer entièrement les corps, les vêtements. On pourrait y voir la perte de la virginité, le sang virginal, la perte du pucelage qu'on scelle par un baiser, un sourire, un regard complice après ces moments de plaisirs douloureux. La douleur ne serait-elle pas retranscrite par ces longs plans sur les garçons se roulant à terre, nus ou habillés, comme pris d'épilepsie? Le rouge fait place au blanc. Combinaison blanche, corps recouverts d'une texture blanche. S'agit-il de sperme? de lait? Un des garçons, le plus androgyne, s'occupe d'un bébé, un horrible poupon dans un
berceau. La bande musicale se transforme en un patchwork de sons où se croisent dans le désordre Lou Reed, le thème de Midnight express, Marylin Monroe, des musiques tribales, des notes disco incertaines... . On danse jusqu'à bout de souffle, on parade face caméra comme si on célébrait un évènement. Les images ne sont plus qu'un immense et vertigineux kaléidoscope névrotique d'où il devient difficile d'entrapercevoir quoique ce soit. Toutes cette partie, soit les dix dernières minutes, peuvent être considérées comme l'ultime section du film où on assiste également à une partie de cache-cache entre deux jeunes
hommes derrière ce qui semble être les arcades de la place des Vosges à Paris, une tentative joyeuse de drague.
Indescriptible, La cité des neuf portes, quatrième film de Stéphane Marti, est une véritable expérience à laquelle on accroche ou pas. Ode flamboyante au corps masculin, travesti ou non, voilà une oeuvre rythmée filmée comme un concerto, un ballet délirant pour hommes pas forcément évident au premier ni même aux suivants mais qui cependant fascine par la manière dont le cinéaste joue avec les images comme moyen d'expression. Mis en scène
comme une lutte, une bataille aussi sensorielle que sensuelle La cité des neuf portes reflète tout l'art de son auteur. On aime ou on n'aime pas mais une vision s'impose ne serait-ce que pour la beauté et l'étrangeté, la singularité du film.
Quant aux jeunes acteurs tous plus ambigus et séduisants les uns que les autres derrière leurs attributs on retiendra avant tout le nom de Aloual, le principal protagoniste, le plus masculin, qu'on reverra par la suite dans quelques oeuvres du metteur en scène.