Il gatto dagli occhi di giada
Autres titres: Le chat aux yeux de jade / Watch me when I kill / The cat's victims / The cat with jade eyes
Réal: Antonio Bido
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 106mn
Acteurs: Corrado Pani, Paola Tedesco, Franco Citti, Fernando Cerulli, Giuseppe Addobbati, Gianfranco Bullo, Jill Pratt, Bianca Toccafondi, Inna Alexeievna, Paolo Malco, Cristina Piras, Roberto Antonelli, Gaetano Rampin, Giuseppe Pennese, Giovanni Vannini, Camillo Besenzon, Antonio Bido...
Résumé: Un pharmacien est assassiné dans sa pharmacie. Mara, une jeune artiste, a vu l'assassin s'échapper. La nuit même elle est agressée chez elle. Elle en informe Lukas, son ex-fiancé, qui s'improvise alors détective. Ses premières investigations le mènent à Padoue. Bozzi, un de ses voisins, est victime d'appels anonymes étranges. Il demande à Lukas de tenter de découvrir quels sont les bruits qu'on entend derrière la voix du harceleur. Il découvre qu'il pourrait s'agir d'aboiements de dobermans, de bruits de bottes allemandes et d'incinérateurs. Bozzi et une amie sont à leur tour assassinés. Tout deux semblaient être de près ou de loin mêlés au meurtre du pharmacien. Alors qu'il poursuit son enquête en compagnie de Mara Lukas pense que le tueur agit par vengeance, une vengeance qui remonterait à bien des années en arrière, à la seconde guerre mondiale plus exactement et la persécution des juifs...
De son passage éclair dans la réalisation Antonio Bido nous aura laissé comme témoignage deux étonnants giallis malheureusement méconnus, deux petites réussites au sujet délicat à une époque où le genre s'enlisait doucement dans le déjà vu, ne parvenant plus vraiment à trouver un sang neuf. Très inspirés par Dario Argento Solamente nero / Terreur sur la lagune nous plongeait dans le monde obscur des secrets inavouables de l'Eglise portés par un prêtre trouble tandis que Il gatto dagli occhi di giada, le premier de ces deux giallis, prenait pour base scénaristique la seconde guerre mondiale, la persécution des juifs et les camps de la mort.
Une nuit un pharmacien, Mr Dezzan, est assassiné par une mystérieuse silhouette gantée de noire. Au même instant Mara, une jeune danseuse de cabaret, souhaite acheter de l'aspirine. Elle tente d'ouvrir la porte de la pharmacie mais le tueur refuse de la laisser entrer prétextant que la pharmacie est fermée. Alors qu'elle repart une femme découvre le corps du pharmacien. Mara a juste le temps d'entrapercevoir le tueur qui fuit. Cette même nuit quelqu'un s'introduit chez la jeune femme pour la tuer. Elle échappe à la mort in extremis grâce au chien de ceux ses voisins. Elle parle de son agression à son ex-petit ami Lukas
Karman, un ingénieur qui décide de jouer les apprentis détectives. Ses premières investigations le mènent à Padoue. Il s'y rend avec Mara. A peine sont-ils arrivés que leur voisin, Giovanni Bozzi, est attaqué par le tueur avant de trouver sur son répondeur un inquiétant appel téléphonique. Au bout du fil il n'y a que des bruits difficilement identifiables. Bozzi et une amie, Esmeralda, semblent être au courant de choses terrifiantes dont ils ne souhaitent guère parler mais qui pourraient avoir un rapport avec la mort de Dezzan. Bozzi finit par demander à Lukas d'essayer de découvrir quels sont ces étranges sons qu'il entendait au téléphone. Ils finissent par découvrir qu'il s'agit d'aboiements de chiens mêlés
à des bruits qui pourraient bien être ceux d'un incinérateur er bottes allemandes martelant le sol. Peu de temps après Bozzi est étranglé dans sa baignoire. Esmeralda après avoir reçu une photo d'elle jeune est quant à elle horriblement brulée par l'assassin. Lukas interroge les proches des victimes et découvre qu'elles ont toutes un point commun. Durant la seconde guerre mondiale elles ont dénoncé aux allemands toute la famille d'un juge d'origine juive. Après vingt ans de traque le juge parvint à les retrouver et réussit à les rassembler en tant que jury lors d'un procès, celui de Pasquale Ferrante, condamné pour meurtre. Désormais à sa merci le juge n'avait plus qu'à les éliminer un à un pour leur faire
payer l'horrible fin que connut sa famille dans les camps nazis. Entre temps Ferrante s'est échappé de prison. Carlo, le fils du juge, eut alors l'idée de lui faire endosser les crimes afin que son père n'ait rien à craindre. Pour la police ce serait la vengeance d'un évadé contre ceux qui l'ont condamné. Lukas parvient à mettre à jour les plans de Carlo et du juge. Mara, Lukas, le juge et son fils se retrouvent au studio du juge pour un ultime affrontement particulièrement tragique.
Considéré par beaucoup comme un des meilleurs gialli engendrés par le succès des thrillers de Dario Argento le premier film de Antonio Bido, âgé alors de tout juste 28 ans, est en effet une véritable pépite. Voilà un film fascinant sur bien des points dans lequel on
retrouve une grande part des éléments argentesques à commencer par ce titre animalier qui fait référence aux premiers gialli de Argento. Point de chat encore moins aux yeux couleur jade à proprement parler si ce n'est pas cette étrange image presque subliminale représentant des yeux de matous jaunes apparaissant à l'écran à chaque meurtre. Le chat du titre fait simplement référence à une peluche d'enfant qu'on découvrira lors des ultimes images. Le tueur revêt la traditionnelle panoplie de l'assassin si cher au genre, une silhouette toute de noire vêtue, gantée, chapeautée, un meurtrier énigmatique, cruel qui tue à l'arme blanche (un couteau) mais emprunte aussi à Profondo rosso la scène où
Esmeralda est ébouillantée par de l'huile, la tête plongée dans le four où mijote son repas, Bido remplaçant simplement l'eau de Argento par de l'huile. Une telle séquence sera reprise notamment par Joe D'Amato (Annie Belle la tête brulée dans le four dans Horrible) et Lucio Fulci dans Quando Alice ruppe lo specchio. Autre référence au cinéma de Argento le couple que forment Lukas et Mara qui rappelle celui de L'oiseau au plumage de cristal sans oublier la musique, extraordinaire, qui fait définitivement penser à celle des Goblins. Elle est ici composée par Trans-Europa Express (un duo composé par Mauro Lusini e Coletta) et aide à instaurer un véritable climat de terreur dés qu'en résonnent les notes obsédantes.
A tous ces éléments référentiels s'ajoute au crédit de Il gatto dagli occhi di giada une intrigue solide, intelligente, rondement menée, qui débouchera sur un final inattendu tout empreint de mélancolie, aussi original que tragique, adroitement amené, qui change des traditionnels traumatismes qui motivent trop souvent les assassins dans ce genre soigneusement codé. C'est en effet au coeur de la seconde guerre mondiale que se trouvent les raisons de cette terrible vengeance puisqu'il s'agit bel et bien ici de la vengeance d'un homme d'origine juive qui a vu toute sa famille être déportée suite à une dénonciation. Le sujet est grave, sérieux comme le sera celui de Terreur sur la lagune. Bido
le traite avec style et brio, entretenant un agréable suspens du début à la fin tout en instaurant une atmosphère souvent inquiétante qu'il teinte par instant d'une touche de poésie macabre particulièrement appréciable. Ainsi la scène où Lukas pénètre dans la demeure de la vieille femme au grampohone (Inna Alexievna, 100 ans lors du tournage) est purement fascinante, visuellement splendide, un moment de pure beauté surréaliste où se mêlent démence et sénilité. On pourrait en dire autant de la scène où la cantatrice chante devant un public de vieillards à demi assoupis, comme morts, figés par le temps. Bido est parvenu à créer une véritable atmosphère d'angoisse, sinistre, sombre notamment lors de
toute la partie du film qui se déroule à Padoue, la ville natale du réalisateur dont il a su faire resurgir toute la noirceur et le mystère. On pourrait même parler par instant de giallo gothique.
L'interprétation est à la hauteur des ambitions de Bido avec en tête Corrado Pani, moustachu, teint en brun, dans le rôle de Lukas. Méconnaissable ainsi transformé, moins séduisant que d'accoutumée, Corrado, tout en justesse et retenue, est tout à fait crédible dans la peau de cet ex-fiancé devenu détective de son plein gré pour l'occasion. Ce sera son dernier film pour le cinéma avant qu'il ne se tourne définitivement vers le petit écran jusqu'à sa mort en 2002. Les personnages secondaires sont tout aussi bons, de Fernando Cerulli
(Bozzi) à Bianca Toccafondi (Esmeralda) en passant par le toujours excellent Franco Citti (Pasquale), Giuseppe Addobatti (le juge) et un tout jeune Paolo Malco (Carlo). Quant à Paola Tedesco dont la ressemblance avec Daria Nicolodi est frappante elle est belle, fragile, mais elle est un peu le point faible de la distribution, peut être pas assez forte pour endosser le rôle de Mara. Son jeu manque parfois de conviction et rend peu vraisemblable certaines de ses réactions.
Pour son premier film Antonio Bido signe un giallo franchement efficace, solide et surtout convaincant, un petit bijou d'angoisse diffuse pas très sanglant certes mais dont on
retiendra deux morts réellement brutales, le visage ébouillantée de Esmeralda et la mort de Bozzi dans la baignoire. Il se hisse facilement parmi les meilleurs thrillers italiens de cette fin de décennie, peut être même parmi les meilleurs tout court. En copiant Dario Argento Bido aurait peut être même réussi à dépasser son modèle en se montrant par moment plus professionnel, plus maitrisé.
Il récidivera l'année suivante avec Terreur sur la lagune, un second giallo tout aussi bon et sombre qui pour beaucoup est encore bien supérieur à ce Chat aux yeux de jade. Quoiqu'il en soit en l'espace de deux petites pellicules Bido a réussi à s'élever au rang de maitre du giallo.