La donna a una dimensione
Autres titres: La donna a 1 dimensione / La marcusiana
Real: Bruno Baratti
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 94mn
Acteurs: Françoise Prévost, Massimo Farinelli, Gabriella Boccardo, Isa Miranda, Rate Furlan, Olga Linka, Roberto Mattei, Piero Morgi, Annamaria Caldarelli, Antonietta Fiorito...
Résumé: Paola, une bourgeoise encore jeune et belle mariée à un riche industriel en permanent déplacement, fait revenir ses deux enfants, Prando et Afdera, à la villa familiale. Afin de tuer le temps elle se rapproche d'un groupe d'étudiants activistes et souhaite que Prando et Afdera rejoignent le mouvement. Les choses dérapent et lentement les pulsions sadomasochistes de Paola refont surface. Ses deux enfants découvrent ses tendances perverses qui vont déteindre sur eux...
Unique réalisation du scénariste Bruno Baratti (I sette fratelli Cervi, L'homme qui trahit la mafia) La donna a una dimensione est une véritable petite curiosité post soixante-huitarde qui s'inscrit en droite ligne dans le riche filon du cinéma contestataire italien de cette fin d'années 60, début d'années 70.
Paola, une bourgeoise quadragénaire encore jeune et belle, vient de se séparer de son époux, un riche industriel trop peu présent. Elle fait revenir du collège où ils ont reçu une éducation traditionnelle assez strict ses deux enfants, Prando et sa soeur Afdera. afin qu'ils
viennent habiter avec elle dans la grande demeure familiale. Paola s'est rapprochée d'un groupe d'étudiants activistes dont elle découvre petit à petit les idées contestataires et le mode de vie qu'elle adopte lentement. Paola aimerait maintenant que ses deux enfants adhèrent eux aussi à leur idéologie mais contrairement à Afdera assez réceptive, Prando est réticent, ancré dans l'éducation qu'il a reçu. A travers ce mouvement Paola, épouse et femme frustrée, se libère lentement sur le plan sexuel. Elle laisse parler ses pulsions sadomasochistes auxquelles elle ne peut échapper. Lorsque Prando et Afdera découvrent leur mère entrain de se faire régulièrement fouetter et humilier la nuit par le jardinier tout
bascule. D'abord choqués les enfants vont éprouver une certaine fascination pour ses séances qui vont réveiller en eux leurs propres vices. Ils ignorent que leur mère les a vu entrain de l'espionner. Un jeu sournois se met alors en place entre la mère et les enfants qui reproduisent à leur manière ses moments de plaisir interdit pour la punir de son comportement immoral tout en se punissant eux mêmes. Ses jeux étranges vont lentement avoir raison de la santé mentale de Paola en proie à de fréquentes crises d'hallucinations. Paola meurt devant ses enfants, terrassée par une crise. A la morgue devant son lit de mort ils se déshabillent.
Le titre fait référence au roman de Herbert Marcuse "L'homme unidimensionnel", une critique philosophique des sociétés industrielles emportées par le communisme soviétique et le capitalisme sortie cinq ans avant la réalisation du film. Gros succès à sa parution en Italie en 1968 aidé en soi par les mouvements étudiants, l'essai de Marcuse est transposé dans l'Italie de l'après 68 et prend pour principale protagoniste cette fois une femme, une bourgeoise, l'archétype même de la bourgeoise délaissée par un mari richissime, un industriel constamment absent, sexuellement frustrée, rongée par l'ennui qui lentement va tromper le vide de sa vie en s'adonnant à une sexualité débridée, en se plongeant dans le
vice tout en y entrainant ses enfants, un thème qui sera dés les années 70 très à la mode dans tout un pan du cinéma italien. Cette subversion de l'ordre social est le premier des deux thèmes qu'aborde Barrati sans grande innovation ni démonstration. Plus appuyé est le deuxième sujet qu'il traite, celui de la femme, la femme comme principal moteur de cette révolution sociale, une femme incarnée par Paola recluse dans un premier temps dans sa luxueuse villa puis en quête de liberté mais surtout et avant tout d'une totale libération sexuelle dans un univers où l'homme dénué d'identité n'a quasi aucune place.
A partir de là Baratti signe un film érotico-intellectuel qui se veut violemment contestataire
mais qui en fait reste vraiment sage si on le compare à bon nombre d'autres pellicules de ce type. Le metteur en scène ne cherche guère à approfondir ses thèmes, ne propose aucune vraie réflexion, se contentant d'illustrer de manière souvent suggestive le propos, multipliant des parenthèses qui auraient pu être bien plus développées car très utiles dans le déroulement du scénario.
Tout l'aspect scabreux du film s'en trouve ainsi amoindri et ne risque guère de choquer. C'est d'autant plus dommage car La donna a una dimensione ne manque pas de moments intéressants propices à quelques jolis débordements. De quoi frustrer un public désireux de
satisfaire ses instincts voyeurs. L'odeur de soufre est bel et bien présente mais trop légère pour déranger ou marquer les esprits. Baratti suggère en effet plus qu'il ne montre mais se rattrape sur l'atmosphère qui règne dans cette superbe demeure tapissée de posters de Mao et de Ho Chi Minh perdus au milieu d'un décor flamboyant post psychédélique dans lesquels évolue Paola devenue révolutionnaire. Durant la première partie ce sont surtout les longs silences, les regards appuyés par une partition musicale aux tonalités graves, les observations de chacun, le chamboulement radical du quotidien et le changement des coutumes orchestrés par une Paola aujourd'hui désinhibée se faisant désormais appeler
par son prénom qui créent une ambiance étrange, curieuse, maudite qui doucement mais sûrement amène à la seconde partie du film moins lente, plus conséquente surtout où les rôles vont s'inverser.
Celle ci reprend à sa façon la fameuse loi du Talion, celle qui dit que si on trahit sa classe sociale on sera puni par celui qui nous est le plus cher. Ici c'est cette mère qui sera punie par ses enfants qu'elle a contaminé à sa manière, forcés à vivre dans une maison qu'ils ne reconnaissent plus aux cotés de leur génitrice dont ils découvrent les vices, une découverte qui à leur tour réveillent en eux leurs cotés obscurs. Nait entre eux une relation quasi
incestueuse, claire-obscure. A partir de cet instant c'est à un jeu d'échanges auquel ils vont s'adonner. Si Paola prenait plaisir à tenter d'éduquer ses enfants selon sa nouvelle idéologie, à les initier à la perversion, sournoisement dans un premier temps puis plus ouvertement, ceux ci se prennent au jeu et le retourne contre elle quand hors de contrôle Prando n'applique pas ces règles sur sa soeur. La dernière bobine soit environ les 15 dernières minutes est une succession de scènes d'hallucination issues de l'esprit malade de Paola jusqu'à sa mort, voulue ou non. Le flou plane comme plane une ombre de morbidité lors des ultimes et amères images. Venus à la morgue Prando et Afdera se
déshabillent devant le corps de leur mère et des nonnes présentes. Immoralité et hérésie. L'imagination du spectateur fera le reste. Une conclusion aussi pessimiste que subversive que la censure jadis taillada ou le triomphe une fois de plus du vice au coeur d'une bourgeoisie dépravée.
Trop superficiel dans sa démarche et son discours, un peu trop gentillet sur le plan érotique La donna a una dimensione n'en est pas moins une oeuvre méritante de par ses nombreux atouts. Outre son aspect bizarre on se laissera séduire par ses très jolis décors fortement estampillés fin années 60, bigarrés, étranges, entre psychédélisme et grandiloquence
superbement mis en valeur par une photographie très "pop", l'élégance des costumes, une belle musique aux accents inquiétants signée Riz Ortalani, un montage convulsif et une interprétation de haut niveau menée par la raffinée Françoise Prévost, excellente dans le rôle de Paola, un personnage qui s'apparente à celui de Carla Gravina dans Cuore di mamma de Samperi tourné la même année. A ses cotés on retrouve le séduisant jeune play-boy, futur modèle pour romans-photos, le prometteur Massimo Farinelli version cheveux longs puis cheveux courts dans la peau du réticent Prando et la blonde Gabriella Boccardo, la soeur de Delia, dans celle de la plus réceptive Afdera. La brève apparition de Isa Miranda et celle de
Lando Buzzanca par l'intermédiaire d'un poste de télévision apporte une petite touche d'humour.
Discrètement mis en scène par un Baratti qui ne cherche en aucun cas la virtuosité La donna a una dimensione est un drame bourgeois contestataire oublié des éditeurs. Devenu invisible depuis bien longtemps si ce n'est via une copie de travail d'honnête qualité, le film de Baratti est une agréable pièce de collection, une curiosité au ton morbide qui malgré ses défauts mérite toute l'attention des amateurs de cinéma contestataire un brin sulfureux, celui d'une époque aujourd'hui bien lointaine.