Piu buio di mezzanotte
Autres titres: Les nuits de Davide / Mezzanotte / Darker than midnight
Real: Sebastiano Riso
Année: 2014
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 94mn
Acteurs: Davide Capone, Vincenzo Amato, Lucia Sardo, Pippi Delbono, Carla Amadeo;, Sebastian Gimelli Morosini, Giovani Giulizia, Giovanni Mannino, Rosario Ranieri, Fabio Grosso, Davide Cordova, Micaela Ramazzotti, Maziar Timo Firosi Bandpey...
Résumé: Parce qu'il est différent des autres garçons, Davide, un adolescent de 13 ans aux allures particulièrement androgyne vivant en Catane, est le souffre douleur de son père, un homme inflexible et conservateur. Lorsque celui ci détruit son refuge, un grenier transformé en loge de cabaret homosexuel, Davide fuit le foyer parental et trouve abri à la villa Bellini, un parc où tous les jeunes marginaux de la ville se regroupent. Davide découvre l'univers glauque de l'homosexualité, de la transsexualité, de la prostitution, un monde dans lequel il va s'affirmer. Il s'éprend d'un jeune prostitué mais le souteneur du garçon veille. L'adolescent fait le difficile apprentissage de la rue jusqu'au jour où un de ses jeunes amis meurent. Le petit groupe explose. Davide se retrouve seul. Il décide d'aller voir le maquereau de son amant d'une nuit...
L'homosexualité a très rarement été traitée dans le cinéma italien si ce n'est par le biais de l'humour dans des comédies souvent grivoises. L'homosexuel y est toujours dépeint comme un personnage haut en couleur, un homme féminisé au possible s'il n'est pas tout simplement travesti. Peu d'auteurs l'ont mise en scène de manière sérieuse si on excepte quelques réalisateurs d'après-guerre dont le maitre Pasolini. Difficile d'en parler même au
cinéma dans une société aussi machiste que l'Italie. C'est donc sur les doigts de la main qu'on compte les oeuvres l'ayant pris comme principal sujet. Il faut se rendre à l'évidence, le cinéma gay est encore aujourd'hui quasi inexistant de l'autre coté des Alpes.
Les choses seraient elles entrain de changer avec le jeune cinéma italien. On serait tenter de le penser avec l'arrivée d'une nouvelle génération de metteurs en scène dont fait partie Sebastiano Riso qui en 2014 signe son tout premier long métrage Piu buio di mezzanotte / Les nuits de Davide, un film grave qui traite non seulement de l'homosexualité adolescente mais aussi de prostitution, de transsexualité et d'androgynie sur fond de pédophilie dans une
Sicile ultra conservatrice.
A tout juste 14 ans Davide, un jeune sicilien, prend doucement conscience de sa différence. Il doit surtout affronter son père qui ne peut accepter l'androgynie de son fils. L'adolescent étouffe au sein de ce foyer où il sent qu'il n'a pas sa place. Malheureux, régulièrement battu par son père qui hait l'image de ce garçon fille Davide tente d'exister en se réfugiant dans les bras de sa mère quasi aveugle, Il passe beaucoup de temps au grenier qu'il a transformé en une sorte de loge tapissée de posters de Ziggy Stardust où il entrepose des mannequins habillés en femme, admire ses idoles de cabaret et autres divas travesties. Le jour où son
père dans un accès de furie détruit cette antre Davide décide de fuir. il trouve refuge à la villa Bellini, un parc de Catane où vivent tous les marginaux de la ville. Travestis, transsexuels, prostitués vont devenir sa nouvelle famille. L'enfant trouve dans cette faune bigarrée une identité, son identité, une place dans la société. Il va devoir apprendre à survivre dans la rue. Meri le transsexuel, Rettore la folle, Wonder le PD, adolescents tous prostitués, le prennent sous leur aile, A travers eux Davide découvre sa sexualité. Il accepte de se prostituer. Il tombe une nuit sous le charme d'un jeune sicilien prostitué qui lui fera perdre sa virginité. Amoureux Davide aimerait rester avec lui mais le garçon lui fait comprendre qu'il ne peut pas. Son
souteneur le surveille. A la mort de Rettore tout se dégrade au sein du groupe. Davide se retrouve seul dans la rue. Il accepte de venir vivre chez le souteneur de son amant. En contre partie l'adolescent devra lui offrir son corps. Souillé Davide préfère partir. Abandonné il erre dans les rues lorsque son père l'aperçoit. Il parvient à le rattraper et le mettre dans sa voiture pour le ramener à la maison. Terrifié à l'idée de revenir vivre au foyer familial Davide préfère se trancher la gorge.
Avec Piu buio di mezzanotte Riso propose d'explorer la vie mais aussi les difficultés existentielles d'un très jeune adolescent dont l'apparence plus féminine que masculine
transforme en rebut de la société tant aux yeux de son père, incarnation du machisme et du conservatisme italien, que d'une société qui rejette la différence surtout sexuelle. C'est également l'histoire d'une quête, celle de son identité à un âge encore bien difficile ou plus exactement celle de son genre. Le film retrace la lutte de Davide au quotidien pour tenter d'exister coincé entre un père rigide, fermé et une mère soumise, désemparée, pleine d'amour qui lentement devient aveugle. L'adolescent s'est construit un monde de rêve, un refuge dans lequel il peut se sentir vivre, une antre faite de strass et de paillettes que son géniteur, pris de dégout, fera voler en éclats. C'est le point de départ d'une lente descente aux
enfers pour l'enfant qui fugue du foyer parental pour vivre parmi les marginaux des bas fonds de Catane avec lesquels il va recréer ce monde brisé par son père. Riso invite alors son spectateur à une longue visite des quartiers sombres et pauvres de la ville, un voyage malsain, désespéré de la marginalité, de la prostitution, de la transsexualité et de l'homosexualité dans ce qu'elle a de plus funeste, cette faune nocturne interlope qui le jour survit comme elle peut dans le parc où elle s'est regroupée. Et c'est là que Davide va s'affirmer entouré d'une bande d'amis prostitués qu'il finira par suivre sur le trottoir dans le but de survivre.
Pour un premier film Riso propose une intrigue particulièrement délicate, audacieuse qui porte en elle tous les éléments nécessaires pour en faire une oeuvre dure, déprimante, noire. Les références du metteur en scène sont nombreuses. on sent planer l'ombre de Almodovar mais aussi de Pasolini, de Fellini, de Risi, de Fassbinder notamment mais il est difficile d'égaler ses maitres. Malgré ses efforts, malgré un talent évident, un sens du tragique Riso échoue à faire de Piu buio di mezzanotte un film poignant. Au final on se retrouve face à une belle brochure sur le milieu homosexuel et de la prostitution masculine de Catane que feuillette consciencieusement le cinéaste sans lui donner de véritable âme
tout en effleurant certains thèmes qu'il laisse à l'état embryonnaire comme le désoeuvrement social tout juste évoqué par le biais du personnage de Rettore contraint de travailler sur un chantier.
Riso se contente de filmer ses protagonistes sans leur apporter de réelles dimensions d'où une certaine fadeur et surtout l'absence d'émotion, cette émotion indispensable à ce type de film. Il est clair que Riso n'a pas vraiment le sens du drame rendant ainsi son film trop imperméable pour réellement toucher, faire mouche. Difficile dans ces conditions d'apprécier, d'aimer, de trembler ou pleurer pour ces personnages perdus dans le sordide de
leur quotidien. Il est regrettable également que le metteur en scène ait délaissé les rôles secondaires plus particulièrement le père très peu présent alors qu'il est la clé des problèmes de Davide. Tout aussi dommage ces scènes qui parfois semblent arriver comme un cheveu sur la soupe comme celle de la visite chez le docteur. Longtemps l'homosexualité fut décrite comme une maladie qu'on pouvait soigner grâce à des traitements médicaux à base d'injections d'hormones et autres remèdes de charlatan. Le novice pourra donc se demander ce que sont ces piqures que le père inflige à Davide, une séquence coincée entre deux flashes-backs.
Ces maladresses sont d'autant plus regrettables que le film, inspiré de la vie de Davide Cordova devenu la célèbre drag-queen Fuxia qui fait d'ailleurs une apparition furtive dans la robe de Louvre, ne manque pas de bons moments encore moins de témérité. Riso sait comment filmer sa Catane natale comme en témoigne ce très beau plan séquence de ses ruelles comme il sait filmer toujours avec pudeur sa troupe de marginaux, leur flamboyance, leurs excès, leur désarroi. Le film se teinte par instant de touches néo-réalistes du meilleur aloi tout en adoptant de temps à autre un ton très années 80. La scène du concert clandestin donné sur un cargo où se produit la diva Louvres semble droit sortie de La lune dans le caniveau de Beinex mais rend aussi hommage à Querelle de Fassbinder. La chanson que chante la diva n'est autre que celle
que Jeanne Moreau y interprétait. On appréciera quelques notes surréalistes (la visite du grenier de Davide) mais on appréciera surtout le final, sombre, dur, abrupt, un des rares moments où Riso parvient à faire naitre une émotion, à réellement toucher son spectateur qui restera coi face à cette conclusion inattendue.
Il faut également saluer le courage du cinéaste pour avoir osé un tel scénario aujourd'hui. Prendre comme principal héros un adolescent de 14 ans pour parler d'homosexualité, de transsexualité, de prostitution était une gageure alors que la censure s'est faite depuis longtemps drastique. Riso n'a recours à aucun filtre, filme sans détour son jeune acteur qui a
l'âge de son personnage, évite caricatures et clichés en montrant l'homosexualité sous ses faces les plus obscures, les plus perverses, les plus ambigües. Il aborde même ouvertement la pédophilie lors de scènes qui pourront en déranger certains. Davide se prostitue et perdra sa virginité brutalement entre les bras d'un garçon pasolinien plus âgé lors d'une séquence de sodomie puissante, virile derrière la vitre d'une douche. Mais c'est bel et bien celle où consentant il doit faire l'amour au maquereau quinquagénaire en échange de sa protection qu'on retiendra ici. Même si Riso opte pour la suggestion, la scène filmée dans un silence pesant demeure suffocante, morbide, malsaine,
Un des plus gros atouts du film est son interprétation plus spécialement celle du petit Davide Capone d'un naturel sidérant. Sa troublante androgynie donne à Mezzanotte sa raison d'être. Rarement l'androgynie avait été aussi bien incarnée à l'écran. Elève d'une école de musique où il étudie le piano et le chant Davide fut choisi parmi 9000 postulants, un choix stupéfiant, criant de vérité puisque pour son premier rôle au cinéma l'adolescent de 14 ans témoigne d'une sincérité, d'une grâce, d'un naturel qui laissent béat d'admiration même si on pourra lui reprocher son impassibilité, un hermétisme qui empêche toute émotion de passer si on excepte le final. Riso le suit d'un bout à l'autre du métrage avec grande pudeur évitant tout
voyeurisme même lors des moments les plus scabreux. Il évite scrupuleusement les débordements qu'une telle histoire aurait pu engendrer.
A ses cotés tout un groupe de jeunes acteurs non professionnels qui jouent tout simplement avec conviction leur propre rôle, Sebastian Gimelli Morosini et Giovanni Giulizia en tête, respectivement l'extravagante trans Meri et La Rettore, sans oublier Giovanni Mannino dans le short lamé de la Wonder woman. Autour d'eux quelques jolis noms du cinéma italien dont Vincenzo Amato, l'émouvante Micaela Ramazzotti et Pippo Delbono.
Présenté à la semaine du film à Cannes en 2015 mais distribué dans très peu de salles en
France, est ce étonnant, Piu buio di mezzanotte est un film qui avec pudeur et sincérité a su traiter de problèmes délicats de manière forte, téméraire, directe. Riso offre l'image d'une Sicile rétrograde dans toute sa pauvreté à travers cette jeunesse marginale interlope comme l'avait fait 25 ans auparavant à sa façon Marco Risi avec son diptyque Mery per sempre / Ragazzi fuori auquel on songe à plusieurs reprises ne serait ce que par le nom d'un des personnages, Merilov dit Meri. Contrairement à Risi Sebasrtiano Riso n'est malheureusement pas parvenu à toucher la corde sensible du spectateur. Il maque à l'ensemble cette force émotive, cette puissance visuelle qui caractérisait Mery per sempre et sa séquelle.
Mezzanotte n'en est pas moins une première oeuvre belle, difficile, décisive dans un cinéma gay italien quasi inexistant. Espérons que Riso, réalisateur à suivre, ait ouvert une brèche. Espérons aussi revoir un jour le prometteur et troublant David Capone même si on a du mal à l'imaginer dans un autre rôle que le sien.