Camionero
Autres titres: Truck driver
Real: Sebastian Milo
Année: 2012
Origine: Cuba
Genre: Drame
Durée: 28mn
Acteurs: Reinier Diaz, Hector Medina, Antonio Alonso, Osvaldo Doimeadios, Broselianda Hernandez...
Résumé: Dans un internat cubain du début des années 70, un étudiant est le souffre douleur de ses camarades. Violences, maltraitances, humiliations, abus en tout genre, c'est ce qu'il doit régulièrement subir sous le regard d'un de ses compagnons, Raidel, qui un jour va oser prendre sa défense...
Second court-métrage du jeune réalisateur cubain Sebastian Milo, Camionero prouve une fois de plus l'intensité du cinéma gay latino et sud américain. Présenté aux Reflets du cinéma ibérique et latino-américain de Villeurbanne afin d'en présenter les différentes saveurs mais également à de nombreux autres festivals à travers le monde, Camionero est un véritable coup de poing au visage du spectateur, un uppercut violent qui risque fort de lui laisser un goût profondément amer au fond de la gorge une fois le mot fin tombé.
L'histoire se situe dans le Cuba des années 70. Le système éducatif venait de mettre en
place des écoles dans lesquelles les étudiants pré-universitaires partageaient leur temps entre les cours académiques et le travail des champs afin de leur assurer un avenir confortable. Un camion les y emmenait chaque jour et les ramenait le soir. C'est dans une de ces internats que Randy est le souffre douleur de ces camarades. Le film relate les humiliations, les violences souvent inhumaines et les abus dont il est régulièrement victime sous l'oeil impuissant d'un des étudiants, Raidel. Ecoeuré par les traitements qu'il subit et l'indifférence de surveillants et directeurs austères, Raidel décide de se dresser contre les bourreaux de son compagnon de chambrée et de prendre sa défense. Ce geste va se
retourner contre lui. Les étudiants menés par Yerandi, leur leader, décident une nuit de le punir, un geste qui se terminera dans un effroyable bain de sang, un incroyable tourbillon de folie meurtrière.
Inauguré par Fidel Castro en 1967, ces écoles où les jeunes pouvaient allier études et travail étaient destinées à faire des enfants des adultes supérieurs, élevés de manière à ce qu'ils travaillent le plus tôt possible, qu'ils connaissent le labeur tout en étudiant dans un contexte qui leur ferait découvrir d'autres valeurs notamment l'amitié et la camaraderie tout en créant une sorte de famille collective. Mais derrière cette image quasi parfaite se cachait cependant
une autre réalité, bien plus sombre, celle de la violence et des abus qu'elle dissimulait derrière ses murs dont directeurs et enseignants semblaient en ignorer l'existence du moins en apparence. Camionero à travers l'histoire de Randy témoigne de ces violences qui régnaient dans ces écoles qui n'étaient en fait rien d'autre que des camps disciplinaires déguisés.
Terriblement réaliste et cruel, ce premier court de Milo est une illustration sans détour, cinglante, douloureuse, de ce beaucoup d'étudiants ont du subir en ces années au nez et à la barbe des proviseurs et du personnel enseignant qui parallèlement inondaient leurs
classes de jolis discours politiques et académiques. Rejeté par une partie de ses camarades Randy est une victime aux mains de ses bourreaux, Yerandi et ses amis, qui le torturent sous le l'oeil consentant des autres élèves de l'internat. Dés les premières minutes, Milo instaure une atmosphère aussi glaciale que le carrelage des douches et toilettes communes où il est régulièrement humilié, violé, abusé, battu. Incapable de se défendre, chaque jour un peu plus affaibli, vidé de toute humanité, il envisage le suicide, une envie de plus en plus forte que même le faible soutient de Raidel, témoin muet de tous ses actes abominables, ne pourra faire disparaitre.
La violence, dégradante, animale, est ici filmée avec un esthétisme rare, aidé par le soin apporté à la photographie et la mise en scène, incisive, directe, implacable. Cet esthétisme ne fait que rendre plus touchante cette effroyable histoire qui témoigne de la cruauté et la bestialité dont peuvent faire preuve des adolescents face aux plus faibles, d'autant plus touchante qu'on a eu tous connu à l'école ou ailleurs un souffre-douleur, si jamais nous ne l'avons pas nous mêmes été.
En l'espace de 30 petites minutes, Milo étale tout un éventail de brutalités et d'humiliations qui frappent en plein coeur: coups, orteils brulés, visage recouvert de crachats, douche dorée (Yerandi urine dans la bouche de Randy), excréments
déposés dans les chaussures, viol dans les douches (un viol qui bien ironiquement se déroule en même temps que l'un des surveillants fornique avec sa copine)... un lot de réjouissances qui conduiront Raidel à prendre la défense du garçon mais surtout à exalter cette haine envers ces camarades qui n'a fait que croitre. Cette haie explosera la nuit où ils s'en prendront à lui pour le punir, l'occasion pour Milo de filmer un véritable carnage d'une sauvagerie surprenante qui conduira au final, dramatique, l'arrestation de Raidel, hébété, en larmes, par la police sous l'oeil du personnel effondré tandis que git le corps de Randy dans son propre sang.
Derrière la dénonciation de ce système pédagogique, Camionero qui rappellera l'excellent To play or to die de Frank Krom développe également une forte thématique gay dans l'imagerie qu'il utilise. Si les filles sont présente, Milo décrit essentiellement un univers de garçons avec tout ce que cela comporte: dortoirs, douches communes et toilettes, fraternité... tout en mettant en avant une certaine imagerie homo-érotique propre à une certaine fantasmatique. Il filme en effet souvent ces étudiants en slip, torse nu, de manière assez sexuelle et suggestive tout en utilisant quelques déviances "dominant-dominé" qui tendent vers un certain sadomasochisme hyper viril: crachat, insultes, pisse... qui devraient sans aucun doute réveiller
quelques sentiments interdits fort agréables chez quelques uns d'entre nous.
On mentionnera l'interprétation exceptionnelle de tous les jeunes acteurs, plus particulièrement Hector Medina, tout simplement bouleversant tant il vit son rôle de victime et s'y investit, et le séduisant Reinier Diaz, dix sept ans alors, implacable bourreau, qui l'année suivante éblouira les écrans dans le puissant La partida, une difficile histoire d'amour gay sur fond de misère cubaine.
Magnifique exemple d'un cinéma alternatif cubain, Camionero est un court-métrage choc, un véritable coup de poing qui ne laissera personne indifférent et de surcroit plaira aux amateurs d'oeuvres à connotation gay..