Head on
Autres titres: De plein fouet
Real: Ana Kokkinos
Année: 1997
Origine: Australie
Genre: Drame
Durée: 100mn
Acteurs: Alex Dimitriades, Paul Kapsis, Julian Gardner, Damien Fotiou, Elena Mandalis, Chris Kaglaros, Alex papps, William Zappa, Eugenia Fragos, Tony Nikolakopoulos, Dora Kaskaris, Anthony Lyritzis...
Résumé: Fils d'immigrés grecs, Ari vit dans un quartier défavorisé de Melbourne. Mal dans sa peau, mal dans sa vie, Ari est en constante rébellion. Il ne supporte pas l'hypocrisie de ses parents, de son frère, de ses amis. Homosexuel, il recherche la virilité dans ses relations mais il est incapable de vivre une véritable relation amoureuse dans cette vie faite de rencontres aussi éphémères que sauvages. Ari se perd dans la drogue, les boites, fonce tête baissée dans une vie où il ne se trouve pas. Lorsqu'il trouvera enfin l'amour, il sera incapable d'assumer cette relation...
Adapté du roman de Christos Tsolkias, Loaded, Head on est le premier long métrage de la réalisatrice australienne Ana Kokkinos. Pour ce premier essai, Ana frappe fort avec cette histoire fracassante qui nous plonge au coeur des quartiers défavorisés de Melbourne dont est issu son jeune héros, Ari.
20 ans, fils d'immigrés grecs nationalistes et activistes, homosexuel, Ari erre dans cette vie sans réel but mais avec un entrain remarquable mêlé de colère. En total décalage avec les traditions culturelles, ses racines et le racisme que lui et la communauté grecque subissent au quotidien, Ari vit sa vie à 100 à l'heure, se perd dans le tourbillon de la drogue, des boites gay et des rencontres sexuelles furtives, violentes, déchainées, seul échappatoire à ce mal de vivre et cette colère qui plus les jours passent plus l'envahissent. Head on se veut une sorte de quête d'identité de toute une génération faite de jeunes immigrés qui sont en conflit permanent avec leurs traditions, leurs coutumes, qui refusent les modèles parentaux tout en tentant vainement de s'adapter à la société moderne et surtout rester eux mêmes. Etre lui même c'est pour Ari pouvoir vivre pleinement son homosexualité, sans équivoque, mais dans un milieu culturel où on doit se marier et avoir des enfants, c'est un chemin de croix au quotidien, c'est faire semblant ou être rejeté.
Ari de son coté revendique haut et fort sa masculinité et une homosexualité virile (Je suis un homme et je la prend dans le cul) mais il est coincé entre la communauté grecque pour qui il n'est qu'un "pédé pervers" et les australiens pour qui il n'est qu'un "sale métèque". Prisonnier, il n'arrive pas à trouver un juste équilibre et s'enfonce jour après jour dans cette rage sourde qui l'étouffe, le domine. Même s'il vit avec un certain humour, une certaine ironie son homosexualité, il doit se libérer de ses pulsions en suivant son instinct animal, n'écoutant que sa libido pour satisfaire ses besoins lors de plans sur le pouce, brutaux, sauvages, violents avec qui se présente sur l'instant.
Nerveux, constamment sur le fil du rasoir, trop apeuré pour s'auto-analyser, il fonce tête baissée sans réfléchir tel un fauve, frénétique. Il serre les poings, tambourine aux portes, court, ses écouteurs sur les oreilles comme pour se couper d'une réalité trop brute et trop souvent les instant de calme ou d'harmonie se terminent en empoignades.
A ses cotés, Joe/Toula, une étrange drag queen, seul personnage du film à réellement assumer sa sexualité envers et contre tous, seul personnage, plein de philosophie, sincèrement révolté à clamer sa différence et son droit de vivre libre au grand jour. Réunis lors d'une soirée, un malheureux incident les conduira au poste de police pour une des scènes les plus marquantes du film, la confrontation entre eux et deux policiers, un australien et son assistant grec, homophobes et racistes. Seuls dans une pièce, nus, ils seront battus et humiliés d'abord par l'agent australien puis le jeune grec, qui dans un premier temps mortifié par l'attitude de son chef laissera ensuite exploser toute son aversion. Si Toula en sortira tête haute, toujours aussi déterminée, Ari profondément choqué par cette
homophobie notamment de la part d'un des siens s'enfermera encore plus dans ce monde inextricable dont il semble prisonnier mais cette fois résolu. "Je suis une pute, un chien une salope. Les insultes de mon père m'endurcissent. Je sombre vers l'égout, je ne lutte pas, je sens l'odeur de la merde, je continue de respirer. Je vais vivre ma vie".
Incapable de vivre une véritable histoire d'amour, lorsque celle ci se présentera enfin à lui en la personne d'un bel australien, il ruinera cette relation en rejetant violemment son amant lors d'ébats passionnés. Point de happy end cette fois, Head on se conclura sur un plan de Ari, seul sur le port, récitant ce qu'est sa vie comme celle de la plupart de cette jeune génération écrasée par le poids d'un passé auquel ils ne peuvent se soustraire illustré à travers des images d'archives d'immigrants grecs débarquant en Australie.
La réalisation du film est à l'image de son histoire, nerveuse, frénétique, étourdissante. Filmé quasiment caméra à la main, Head on est un saisissant voyage au coeur même des doutes et peurs d'un jeune garçon perdu, déraciné. Rythmé par le martèlement de sons technos ou d'envoûtants airs de Dub entrecoupés de musiques grecques traditionnelles, Head on est un véritable coup de poing qu'assène la réalisatrice à son public dés les premières images. Les scènes de sexe, viriles, enflammées, sont filmées le plus souvent de façon fort explicite, terrassantes à l'image des désirs de Ari. Backroom, entrepôt, arrière-cour ou toilettes publiques Ari se soulage là ou ses pulsions le guident. Brutales mais toujours belles même dans l'obscénité, on retiendra parmi ses séquences celle entre Ari et le vieux marin barbu durant laquelle les bruits de succion sont amplifiés à l'extrême et la masturbation particulièrement nerveuse de Ari en début de film, égaré dans un rêve interdit où il se donne à un étranger dans des toilettes délabrées, ce qui valut au film un léger parfum de scandale lors de sa présentation au Festival de Cannes.
Head on doit également beaucoup à son interprète, le très séduisant acteur gay Alex Dimitriades, découvert jadis dans la série Hartley coeur à vifs. D'une étonnante subtilité, il est à l'image de son personnage, fragile, à fleur de peau, toujours juste, vivant de plein fouet ce difficile rôle à qui il donne beaucoup de lui même. Alex dont on tombera facilement sous le charme est tout simplement remarquable. On soulignera également la prestation de Paul Kapsis dans la peau de Toula, émouvant, et surtout intelligemment utilisé ici.
Plus qu'un film gay, Head on est une peinture sombre du mal de vivre d'une jeunesse sans repère, un film intense et universel, plein de sensibilité, qui par bien des aspects ressemble au film de Constantinos Giannaris Garçons d'Athènes / From the edge of the city.
Alternant de très beaux et émouvants moments filmés par instant en un discret ralenti, les danses traditionnelles en famille, et des passages coup de poing filmés cette fois de façon cataclysmique, zébrés d'éclairs foudroyants à l'image des accès de révolte et des pulsions sexuelles de Ari, Head on ne laissera personne indifférent. Ana Kokkinos a réussi à offrir à son public comme elle le disait alors elle même lors d'une interview un film qui retrace sans détour une "expérience vécue de plein de fouet". Une véritable réussite.