Otto: or up with dead people

Autres titres: Otto
Réal: Bruce LaBruce
Année: 2008
Origine: USA
Genre: Horreur
Durée: 94mn
Acteurs: Jey Crisfar, Katarina Klewinghaus, Susanne SachBse, Marcel Schlutt, Gio Black Peter, Mo, Christophe Chemin, Guido Sommer...
Résumé: Otto est un adolescent mort depuis quelques années. Il erre de villes en villes et se retrouve à Berlin. S'il présente des troubles de l'alimentation puisqu'il a une aversion pour la chair humaine à laquelle il préfère la viande animale, il est sujet aussi à des troubles de la mémoire. Il ne se souvient aucunement de son passé. Il est en quête de son identité et au fil de ses errances et rencontres hasardeuses il rencontre une cinéaste lesbienne, Medea, meneuse d'un groupe d'activistes homosexuels. Medea réalise un film sur les zombis intitulé Up with the zombis mais elle désire également faire un film sur Otto. Ce film donnera à l'adolescent la chance de comprendre ce qui lui est arrivé...
Bruce LaBruce, cinéaste canadien transgressif digne descendant de noms tels que Richard Kern, a tout au long de sa carrière toujours désiré surprendre et choquer le public au travers d'oeuvres souvent subversives, dérangeantes mais qui ne sont jamais qu'un reflet et une réflexion sur notre monde et ses tabous.
Son nouveau film n'échappe pas à cette règle. Avec Otto c'est au film de zombis qu'il s'attaque cette fois en utilisant les codes traditionnels au genre dont il se sert pour mieux les désamorcer voire les détruire.
Otto est un film à la structure complexe qui se rapproche beaucoup du cinéma expérimental. C'est une sorte de quête identitaire d'un adolescent paumé, un zombi différent des autres puisqu'il parle et pense et c'est par le biais de son subconscient qu'on suit ses reflexions que LaBruce fait intervenir comme un personnage à part entière de l'histoire. Otto pourrait ainsi et à juste raison se rapprocher d'oeuvres telles que Moi Zombi chroniques de la douleur de Andrew Parkinson.
LaBruce y mêle subversion et pornographie gay où l'esthétisme joue un rôle prépondérant. Il offre une réflexion sur notre société capitaliste, notre mode de vie consumériste où le zombi n'est jamais que l'image de ces différences qu'on rejette car elles font peur, l'image même de notre société où les plus faibles sont le plus souvent effacés lorsqu'ils ne sont pas exclus.
Il offre une satire acide sur le matérialisme caractérisé par la chair. En refusant de manger de la chair, Otto refuse donc ce matérialisme. Mais la chair c'est aussi la symbolisation du sexe. L'être humain, l'Homme n'est rien d'autre que de la chair sexuelle qu'on consomme, une quête éternelle aux bas plaisirs de la chair. On le possède, on l'exploite d'autant plus dans le monde homosexuel où tout se concentre sur le désir sexuel, où l'homme n'est qu'une proie qu'on chasse pour mieux en user et en abuser, fier de le posséder.
La jeune cinéaste lesbienne résume très bien cela lorsqu'elle crie que "Tout est viande, tu es viande, je suis viande, le monde est viande tu dois penser viande". Le vice régit notre monde dans lequel l'Homme est un carnassier.
LaBruce nous entraine dans un univers de débauche et de dépravation sanguinolente, triste reflet d'une réalité brutale où tout n'est que consumérisme, une vie assassine où personne n'est à l'abri. C'est comme un virus, un fléau, une infection qui tôt au tard s'abattra sur l'innocent. Nous sommes tous destinés à devenir des zombis, des cobayes potentiels si on ne l'est pas déjà.
Otto se veut également une éeflexion sur le sida, sur le monde homosexuel qui dans cette quête de sexe et de plaisirs ont jeté l'idée de protection. Ce n'est pas un hasard si LaBruce nous entraine lors d'une si jouissive et malsaine séquence dans un cimetière pour homosexuels morts du Sida. La maladie met à l'écart, isole. On banni les malades, on les tue, on les brule, terrible métaphore sur la différence. On rejette cette différence, la marginalité dans notre société capitaliste de plus en plus restrictive. C'est là un plaidoyer contre l'homophobie et le racisme.
Film foncièrement pessimiste, Otto est une sorte d'assemblement de tableaux, de peintures qui alternent le N/B et les couleurs chatoyantes, une oeuvre d'art où la musique joue un rôle essentiel. Composée de chansons new wave très années 80 et de distorsions sonores et autres bruits étranges, elle aide à créer un climat lourd, presque étouffant par instant, accentué par les mouvements frénétiques de caméra.
LaBruce nous plonge dans un univers toujours plus gore, plus sale, qui renforce là encore le malaise. Il donne dans l'outrance notamment lors d'une pénétration dans les entrailles d'un homme fraichement décédé aprés que le zombi fornicateur lui ai dévoré à pleines dents les boyaux. On songe ici à la pénétration de Chair pour Frankenstein. Jamais vulgaires, maquillages et effets sont ici tous très beaux et soignés et trouvent leur apothéose et paroxysme dans la scène de partouze entre zombis gays où la chair, la viande animale, le sang, le sperme, se mêlent en un N/B magnifique.
Les scènes de sexe demeurent assez soft ici et sont toujours très belles. Il faut savoir que la plupart des séquences pornographiques ont été coupées afin que le film puisse être distribué sans problème dans les salles de cinéma et vendu par la suite aux chaines télé. En ce sens, Otto est sûrement l'oeuvre la moins extrême du réalisateur.
L'interprétation est tout en justesse menée par le jeune belge d'origine bruxelloise Jey Crisfar qui interprète Otto. A ses cotés, Katarina Klewinghause et Susanne SaschBe grimée en Louise Brooks, à travers de laquelle LaBruce rend hommage au cinéma muet des années 30. Elle est aussi un clin d'oeil au film précédent du réalisateur. Elle est une sorte d'hologramme hors du temps, témoin des errances d'Otto dont le jeune amant est incarné par Giovanni Andrade devenu désormais Gio Peter Black. On l'avait découvert il y a 8 ans à tout juste 16 ans dans l'émouvant Eban and Charley, une histoire pédo-homosexuelle entre un adolescent et un adulte dans une societé fermée à la différence.
Film fantastique arty et expérimental, Otto: or up with dead people plaira beaucoup à un public avide de plaisirs homosexuels et de cinéma autre et ne laissera pas indifférent le spectateur lambda s'il rentre un tant soit peu dans le film.
Dans le cas contraire, il pourra paraître ennuyeux surtout aux yeux de ceux habitués aux outrances gay des précédents films du réalisateur.