Mandragora
Autres titres:
Real: Wiktor Grodecki
Année: 1997
Origine: République tchèque
Genre: Drame
Durée: 126mn
Acteurs: Miroslav Caslavka, David Svec, Pavel Skripal, Kostas Zerdolaglu, Miroslav Breu, Jiri Kodes, Karel Polisenski, Richard Toth, Jiri Pachman, Pavel Koci, Kitka Smutna, Jiri Kaftan, Tomas Petrak...
Résumé: Marek a 15 ans. Il déteste la ville où il vit, n'aime pas l'école et ne supporte plus son père qui passe son temps dans les bars au lieu de trouver du travail et à le réprimander. Marek traine à longueur de journée dans les halls de gare et les salles de jeux. Il est vite repéré par les proxénètes, les dealers et les touristes d'âge mûr qui voient en lui une proie facile. Après avoir été giflé une fois de trop par son père, Marek fugue, commence à se prostituer afin de gagner de l'argent et tenter de quitter cette vie triste et morne. Ce sera malheureusement une longue descente aux enfers pour le jeune garçon. David, un jeune prostitué paumé, l'initie aux drogues de plus en dures et à la prostitution sauvage. Devenu dépendant à l'héroïne, Marek finira dans les griffes de réalisateurs de films porno gays clandestins sado-masochistes. Son ultime tentative pour s'en sortir sera vaine...
Délicat sujet que le réalisateur polonais Wiktor Grodecki mit en scène en 1997. Déjà auteur de deux douloureux documentaires sur la prostitution adolescente à Prague, Body without soul et Angels we're not angels, Grodecki poursuit son chemin et donne une nouvelle vision sordide et désespérée de la jeunesse perdue de la ville mystère.
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Si Prague a beaucoup évolué durant toutes ces dernières années, la ville est surtout devenue un immense centre où drogues et prostitution sont les principales mamelles d'une jeunesse qui n'a pas résisté à cet essor urbain. Beaucoup ont su tirer fortune de cette misère au détriment de tous ces adolescents victimes transformés en poupées de chair.
Marek a quinze ans, il n'aime pas sa ville, il n'aime pas l'école et ne s'entend guère avec son père, un chômeur qui passe son temps à trainer les bars au lieu de trouver du travail lorsqu'il ne le réprimande pas. Marek traine dans les halls de gare, les salles de jeux. Il est une de ces proies faciles que recherchent dealers et autres proxénètes. L'un d'eux le repère vite, l'entraine chez un pervers qui après l'avoir drogué le viole à demi conscient. Marek va ainsi faire son entrée dans le cercle très fermé de la prostitution. Il découvre les maisons closes pour adolescents, véritables fauves qui se battent pour un moment de plaisir rémunéré à la sueur de leur corps. Marek va y faire ses premières armes, un parcours initiatique fait de passages à tabac et autres épreuves de force afin d'y trouver sa place. Il devient un expert, le jouet sexuel de touristes d'âge mûr en quête de chair fraiche. Si au début il refuse de toucher à l'alcool et aux drogues, il y viendra lentement suite aux désillusions de cette vie nouvelle. S'il pensait faire fortune et réussir ainsi, c'est une suite d'échecs et de rêves brisés qui l'attendent dans ce milieu impitoyable.
Rythmé par les éclairs étourdissants des spot lights multicolores et une musique techno qui martèle le cerveau, Mandragora prend très vite des allures d'un cauchemar urbain. Un jeune prostitué, David, prend Marek sous son aile. S'il est son meilleur ami et protecteur, David est aussi celui qui sera à l'origine de sa lente destruction en l'initiant à la prostitution sauvage et aux drogues dures qui permettent encore à ces jeunes de rêver un peu.
La dernière partie du film, la plus réussie, est aussi la plus sordide. On assiste à la déchéance progressive de Marek, sa lutte, ses cauchemars, ses hantises, ses peurs décuplées par les drogues avant qu'il n'atteigne le point de non-retour.
Marek découvre l'univers clandestin des tournages de films porno gay sado-masochistes tournés dans des maisons minables tenues par des propriétaires libidineux et sans scrupule dont les maîtres mots sont soumission, obéissance et peur. Si David n'est plus apte à comprendre, il reste à Marek encore un peu lucidité pour échapper à cet univers où on ne doit jamais rien refuser. Après avoir été obligé de sodomiser David et de subir les pires humiliations pour les besoins du film, Marek, héroïnomane atteint du Sida, aura la force de s'échapper pour avertir la police. Il sera malheureusement trop tard pour lui. Le retournement de situation final est l'un des plus ironiques et des plus cruels qu'on ait pu imaginer. Il demeurera un véritable choc pour le spectateur désemparé par un tel coup du sort.
Film choc, film témoignage, Mandragora, nom d'une plante qui pousse sous les potences à partir du sperme des pendus, est un voyage au bout de la nuit formé par toute une série de scènes obscènes et révoltantes. Grodecki offre une vision sans concession de la vie nocturne et interdite de Prague. Véritable cauchemar urbain, Mandragora repousse les limites de ce qu'on avait pu voir auparavant à l'écran du moins dans le contexte du cinéma tchèque. Basé sur des faits réels déjà relatés dans ses deux précédents documentaires, Mandragora est un vibrant constat qui ne recule devant aucune que ce soit dans les dialogues particulièrement crus des jeunes et dans les scènes de sexe ou de prostitution. Le réalisateur accumule sur plus de deux heures les visions les plus sordides, créant un effet choc comme pour mieux traumatiser le spectateur en lui faisant prendre conscience de l'horreur de la vie de tous ces jeunes.
Certains n'y verront qu'un simple film d'exploitation, malsain et complaisant, d'autant plus que la mise en scène est assez conventionnelle et ne brille guère par son originalité. Ce manque pourraient dire les détracteurs du film, Grodecki le comble par cette surabondance d'images choc d'où toute sentimentalité est absente. Mais la sentimentalité n'était pas le but du réalisateur qui souhaitait violemment dépeindre l'enfer quotidien de tous ces adolescents sans qu'on s'apitoie sur leur sort. Grodecki nous propose non pas un film moralisateur mais plutôt un film sur la morale qui régit les lois de ce monde interdit et bien caché.
Toute conventionnelle soit elle, il faut reconnaître une certaine élégance à la mise en scène qui met parfaitement en évidence le parcours initiatique/destructeur de Marek. La photographie est à l'image de la réalisation, tout en contraste, jour/nuit, campagne/ville en accord avec la beauté juvénile de ses acteurs. Il évite l'aspect exploitation dans lequel il aurait été facile de tomber. Si certains pourrait justement reprocher à Mandragora un certain coté exploitatif, le film n'est pourtant jamais racoleur. Contrairement à son violent propos, il reste assez sage dans ses séquences de sexe même si certaines séquences sont particulièrement dures et choquantes comme l'orgie clandestine sadomasochiste.
Dans sa démarche, Grodecki cherche à restituer une certaine véracité, retranscrire tout simplement un parfum de vécu. Mandragora ne se complait jamais à contempler béatement ces jeunes paumés ou exposer gratuitement leur nudité pour se nourrir de leur malheur et satisfaire la soif de voyeurisme du spectateur. Tout s'inscrit ici dans une implacable réalité. Le film n'a rien de romantique. Il n'est qu'un témoignage détaché, impitoyable, présentant un parcours significatif dans ce qu'il symbolise, amerement teinté de fatalité sociologique, la tragique et douloureuse vie de ces jeunes de l'Est, victimes d'une certaine société.
Oeuvre trauma magnifiquement interprétée par un casting de jeunes acteurs tous aussi excellents les uns que les autres, Miroslva Caslavka en tête, Mandragora reste un film dérangeant, une tragédie moderne qui remporta de nombreux prix à travers l'Europe lors de festivals dont le prix du public au festival de Palm strings.