Col cuore in gola
Autres titres: En cinquième vitesse / Le coeur aux lèvres / Dead stop / Deadly sweet / I am what I am / Con el corazone en la garganta
Réal: Tinto Brass
Année: 1967
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 100mn
Acteurs: Jean-Louis Trintignant, Ewa Aulin, Roberto Bisacco, Charles Kohler, Luigi Bellini, Monique Scoazec, Enzo Consoli, Vira Silenti, Skip Martin, David Prowse, Janet Street-Porter...
Résumé: Bernard, un acteur français en déplacement à Londres tombe sous le charme de Jane alors qu'elle danse sur la piste d'une boite. Quelques minutes plus tard il la retrouve à coté du cadavre de Prescott, le propriétaire des lieux. Elle jure qu'elle n'a pas tué cet homme qui faisait chanter son père récemment décédé dans un accident. Bernard décide de l'aider et de trouver qui est l'assassin. Très vite Jane et Bernard sont traqués par les hommes de Prescott, certains que Bernard l'a tué...
Tinto Brass est surtout connu pour être le pape du cinéma érotique, un genre qui le fascine et va le conduire à réaliser des oeuvres très personnelles aussi provocatrices qu'esthétiques dés la fin des années 70 jusqu'aux années 90. Si c'est ce qu'on retient le plus souvent de Brass on oublie qu'il développa dès la fin des années 60 et lors de la décennie suivante un style tout aussi personnel mais avant tout avant-gardiste avec des films moins connus du grand public. Après s'être essayé à la science-fiction (La soucoupe volante) et le western (Yankee), Tinto Brass fait en 1967 une incursion dans le thriller pop
arty avec Col cuore in gola, le premier film qu'il tourna à Londres avant Nerosubianco et Drop out.
Bernard, un acteur français, est à Londres pour le travail. Dans une boite de nuit il repère une superbe jeune fille, Jane Burroughs. Lorsqu'il la voit quitter le club il la suit et la retrouve dans le bureau de Prescott, le propriétaire de la boite. Hébétée elle se tient debout face au cadavre de l'homme. Elle jure qu'elle n'est pour rien dans ce meurtre. Bernard la croit. Elle lui explique que cet homme faisait chanter son père mort quelques jours plus tôt dans dans un accident de voiture. Il détenait toujours selon elle des photos compromettantes qui
auraient pu mettre en danger son mariage, sa seconde épouse, Martha, le trompant régulièrement avec notamment un dénommé Leris. Amoureux de Jane Bernard décide de mener l'enquête à ses risques et périls. Les hommes de main de Prescott, un géant noir et un nain, pensent que Bernard a tué leur chef sur ordre de Jane. Quant à Bernard il soupçonne Jérome, le frère de Jane. La jeune fille est enlevée sous les yeux de Bernard. Après avoir eu la preuve que Jérome n'est pour rien dans cet assassinat Bernard lui demande de l'aider à délivrer sa soeur. Ils réussissent à se débarrasser des deux malfrats. Ils retrouvent Jane et fuient. Mais Jane et Bernard sont loin d'en avoir fini. Des hommes sont
à leurs trousses. En se réfugiant chez Leris ils découvrent le corps de l'homme dans la baignoire. Bernard a des doutes sur Martha, un collier de femme trainait en effet près du cadavre. Il retrouve la femme dans une boite branchée. Elle reconnait alors le collier de Jane. La jeune fille est bel et bien l'assassin. Bernard la rejoint la pensant incapable de tirer sur lui. L'amour sera t-il plus fort que la folie?
Librement inspiré du roman de Sergio Donati, "Il sepolcro di carta", Col cuore in gola lorgne de toute évidence du coté du Blow up de Antonioni dont on peut trouver quelques clins d'oeil dont l'affiche disséminés ça et là tout au long du film. Mais hormis le fait que l'intrigue se
déroule dans le Swinging London les deux films n'ont guère d'autres points communs. Col cuore nel gola démarre comme un giallo dans les règles de l'art. Une jeune fille dont le père récemment décédé était victime d'un maitre chanteur se tient devant le corps de l'homme qui selon elle le faisait chanter. Un acteur français à Londres pour son travail la surprend et, épris d'elle, décide de mener ses propres investigations quant à savoir qui est l'assassin, une décision lourde de conséquence puisqu'ils vont très vite poursuivis par des malfrats qui cherchent à se débarrasser d'eux. L'histoire est très simple, classique et ne sera guère plus détaillée. Le film part assez vite tout azimut et n'est finalement qu'un parfait prétexte pour
donner vie à une oeuvre délirante totalement avant-gardiste, une extravagance qui très souvent ressemble à une bande dessinée. Brass en reprend d'ailleurs certains codes telle l'utilisation de vignettes et d'onomatopées insérées dans l'image. Il faut dire que cet esprit très "fumetti" n'est pas étranger à la présence aux crédits de Guido Crepax, le célèbre auteur de B.D italien, qui d'ailleurs dessina pour les besoins du film plus quarante storyboards. Il ne faut pas vraiment chercher de logique au film ni une très grande cohérence du récit. Celui ci prend l'eau de toutes parts mais Brass n'en a visiblement rien à faire, trop occupé (et c'est clairement son objectif premier) à multiplier les inventions, trouvailles et autres délires
visuels avant de nous faire visiter en long en large et en travers le Swinging London de cette fin d'années 60. A ce niveau Col cuore in gola est une pure réussite qui enchantera tous les amoureux d'oeuvres pop arty, psychédéliques et de manière plus générale tous les adorateurs de cette période magique que fut la fin des années 60 et la première moitié de la décennie suivante. Le thriller de Tinto Brass est un petit joyau d'esthétisme, un diamant visuel, une folie filmée à cent à l'heure, au montage et à la mise en scène furieuse. Brass sous acides enchaine les scènes grotesques (il faut voir Trintignant déguisé en Tarzan rejoindre Jane nue en se jetant sur elle au bout d'une liane), les effets sonores et optiques
étourdissants, les kaléidoscopes, les split screen (à deux, trois et même quatre images), les superpositions, les zooms déformants et grand angle vertigineux, alterne sans raison le noir et blanc et la couleur tout comme les dialogues récités aussi bien en français, en italien qu'en anglais. Très drôle. On en oublie presque l'intrigue (comme les personnages d'ailleurs) tant l'esprit se concentre sur toutes ces folies et la visite touristique des quartiers les plus branchés de Londres qui trouvera son apogée lors des dix longues dernières minutes qui se déroulent à l'intérieur de l'Alexandra Palace, lieu iconique du Londres branché, véritable miroir de la culture underground d'alors. Cette visite du club, visiblement
gratuite, donne un coté documentaire au film, ou plutôt renforce cet aspect documentaire (à la Antonioni là encore) qu'on retrouve tout au long du métrage et qui prend le pas sur le récit sur lui même. Pour la petite information la séquence fut tournée en direct dans la nuit du 29 au 30 avril 1967, celle qui vit Pink Floyd, celui de Syd Barrett, se produire sur la scène du club pour la plus grande joie de cette jeunesse extravagante sous acides que la caméra de Brass capte dans toute sa splendeur. C'est dans ce contexte que défilent les ultimes images du film, celle qui témoignent de la folie, du désespoir de Jane. Rien d'extraordinaire puisque ce final sans surprise et plutôt mal agencé, pas crédible du tout, aussi prenant
peut-il être, est quelque peu effacé par cette longue traversée du temple de l'Underground.
En tête d'affiche on retrouve le couple que formaient Jean-Louis Trintignant et Ewa Aulin dans le tout aussi psychédélique La mort a pondu un oeuf à la différence près que Trintignant, aussi bon soit-il, a un peu de mal à être crédible ici, pris dans ce tourbillon de psychédélisme mais il court beaucoup. Ewa Aulin est simplement divine avec sa moue à la Brigitte Bardot. Elle illumine la pellicule et nous offre surtout à tout juste 17 ans un strip-tease tout en ombres chinoises et ses premiers nus à l'écran, certes brefs, mais cela suffit à interdire autrefois le film aux moins de 18 ans. Impossible de ne pas remarquer le fort séduisant Charles Kolher (Jérome), énigmatique acteur au visage angélique dont ce fut malheureusement l'unique prestation à l'écran. Non crédité mais bel et bien présent le futur Dark Vador, David Prowse, fait une apparition (l'homme en chemisette rouge tué par Trintignant) tandis que Skip Martin joue comme toujours le nain.
Porté par une musique à l'avenant et une superbe chanson-thème "Love girl" chantée en anglais dans le film par le play-boy star des romans-photos Mal (le Mal des Primitives
évidemment), en italien par Gianni Davoli, Le coeur aux lèvres connu sous divers titres en France dont En cinquième vitesse est une extravagance acidulée, un thriller pop délirant magnifiquement visuel qui narrativement parlant tombe à l'eau mais reste une sorte de giallo documentaire sur toute une époque, celle du Londres de cette fin d'années 60, ce Swinging London fascinant dont on se lasse pas. En ce sens Col cuore in gola est un véritable petit bijou qui enchantera tous les amoureux de cette époque à jamais révolue.