Sérail
Autres titres: Surreal estate / The deception
Réal: Eduardo De Gregorio
Année: 1976
Origine: France
Genre: Fantastique
Durée: 83mn
Acteurs: Marie-France Pisier, Leslie caron, Bulle Ogier, Corin Redgrave, Pierre Baudry, Marylin Jones
Résumé: Un écrivain à succès est en quête d'une maison tranquille pour écrire son prochain roman. Il trouve une vieille bâtisse dans la campagne française que vendent trois mystérieuses femmes. Si les trois énigmatiques vendeuses qui l'habitent semblent au départ jouer un jeu avec lui la maison quant à elle semble cacher un secret que l'écrivain va tenter de percer. Au fil des jours les mystères s'épaississent ce qui déstabilise le romancier, incapable d'écrire son roman...
Professeur à la Sorbonne l'argentin Eduardo De Gregorio a consacré une partie de sa vie au cinéma notamment en tant que dialoguiste et scénariste. Entre 1976 et 2001, année où il se retira, il ne mit en scène que six films dont Sérail qui fut sa toute première réalisation.
Le romancier à succès anglais Eric Songe cherche une maison à acheter dans un endroit tranquille où il pourrait écrire son nouveau roman. Il en dégote une dressée au milieu d'un champ nu non loin d'un village quelque part dans une province française. L'immense bâtisse est délabrée mais elle est cependant à vendre. Une jeune femme blonde un brin
excentrique et provocante, Ariane, la lui fait visiter. La résidence, vieille et froide, se dresse sur plusieurs étages et renferme de nombreuses pièces plus ou moins vides ou abandonnées. L'écrivain est intéressé mais lorsqu'il s'apprête à donner ses conditions Ariane a disparu. Il revient le lendemain. Une gouvernante, Celeste, l'accueille et lui présente une jeune femme brune du nom d'Agathe aux faux airs de femme d'affaires. Celle ci lui jure ne connaitre aucune Ariane. Elle vivrait seule avec Celeste. Ariane serait-elle un fantôme? Intrigué mais déterminé à acheter la bâtisse Eric décide de s'y installer. Il découvre vite qu'Ariane existe bel et bien et pense à un jeu auquel se livrent les deux femmes avec la
complicité de Celeste qui entretient une relation étrange avec elles. L'idée d'avoir ses trois femmes peu farouches sous son toit pour lui seul lui plait mais il remarque très vite que des choses bien étranges et inexplicables s'y passent. Des portraits, des meubles apparaissent et disparaissent sans raison tandis que le nombre de miroirs se multiplie sans aucune réelle explication. S'il va d'ailleurs s'en inspirer pour écrire son roman tout cela le déstabilise. Il tente de percer le secret de cette maison, de découvrir qui sont ses trois femmes mais aucune réponse ne le satisfait. Alors que sa santé mentale commence à vaciller la maison, elle, semble de plus en plus resplendir. Agathe et Ariane disparaissent
un beau matin. Ne reste que Celeste, plus heureuse que jamais, s'évaporant au milieu de sa demeure qui se referme sur Eric...
Les tentatives d'incursion françaises dans l'univers du cinéma fantastique (ou de science-fiction) ont souvent été des échecs. Passées inaperçues, oubliées, disparues force est de constater qu'elles n'ont guère été chanceuses. Faute de trouver leur public? Trop cérébrales? Faute de moyens? Maladroites? Peut-être un peu tout à la fois. On trouve pourtant parmi elles quelques petits fleurons à ré-évaluer aujourd'hui, quelques pellicules étranges qu'il fait bon (re)découvrir comme justement Sérail sorti à la sauvette en novembre
1976 avant qu'il ne sombre dans l'oubli malgré sa présentation à Cannes dans la section "Perspectives du cinéma français". Pour son premier film De Gregorio prend pour thème ce qu'on pourrait appeler les demeures de l'impossible, la maison vampire, celle qui se nourrit de l'âme de ses occupants. Le sujet n'est pas nouveau. Il a été régulièrement abordé, un des plus bel exemple étant Burnt offerings de Dan Curtis duquel Sérail se rapproche beaucoup.
Dés les premières images De Gregorio plante son décor, son unique décor, une immense bâtisse délabrée qui dans la tristesse de l'hiver se dresse en plein milieu d'un champ nu
quelque part dans la campagne française. Tout va très vite. On fait dans la foulée connaissance avec les cinq principaux protagonistes, un écrivain qui veut acheter la maison, la gouvernante qui l'entretient et les deux mystérieuses jeunes femmes qui y habitent, la première joue les fantômes excentriques, la seconde les femmes d'affaires. Le cinquième personnage est la maison elle même, une entité qui vit et se transforme au fil des jours sous les yeux de l'écrivain et des nôtres. Rêve? Réalité? Jeu pervers de la part des trois femmes dont finalement on ne saura rien? De Gregorio s'amuse à brouiller les cartes, à jouer avec l'écrivain et le spectateur. Il ne se passe rien, du moins pas grand chose. Sérail
est un film avant tout d'atmosphère qui pour le peu qu'on accepte d'y entrer, de pénétrer dans cette bâtisse vient piquer notre curiosité sans jamais vraiment ennuyer. Tout est dans le détail, le non dit, le visuel. Un portrait qui disparait d'un mur ou change d'endroit, une pièce qui s'embellit ou s'éclaircit, une nouvelle porte qui s'ouvre sur quelque chose qui n'était pas là hier, des miroirs, de plus en plus de miroirs... Est-ce qu'on imagine tout cela? Est-ce la gouvernante qui à force de briquer redonne vie à la maison pour son nouvel occupant aidée ou pas des deux femmes qui chaque jour ont une nouvelle vie à raconter? Une chose est sûre, ces trois femmes gardent jalousement un secret, le secret de la maison, et en jouent.
Et ce secret, jeu ou non, De Gregorio l'entretient jusqu'aux ultimes images et réussit le difficile pari de nous tenir en haleine même si l'habitué aura deviné assez facilement ce qu'est cette résidence, ce sérail.
Sérail est une suite d'intrigues, de questions à résoudre quant à savoir pourquoi Celeste veut vendre cette maison et comprendre le but de ses machinations mises en oeuvre avec ces deux femmes parfaites comédiennes mais qui garderont leur aura de mystère. Dans un premier temps Eric tente de trouver des réponses à travers son travail. Il met en scène ces femmes et la maison pour son roman pensant qu'il s'agit d'un jeu mais il comprendra vite
qu'elles ne sont ni intéressées par l'argent ni par le sexe. Après le rationnel vient l'irrationnel dont il va se retrouver prisonnier. Il est la nouvelle victime de la "Maison", véritable plante carnivore qui referme sur lui ses portes, ses fenêtres, ses volets après s'en être nourri pour revivre à la plus grande joie de la gouvernante qui n'a plus qu'à attendre un prochain acheteur.
Bénéficiant d'une très belle photographie qui lui donne un air suranné Sérail est un voyage dans l'insolite qui fait fi toute explication psychologique. C'est un jeu certes cruel mais fort bien mené, De Gregorio étant parvenu à retenir l'attention du spectateur sans jamais qu'il ne
s'ennuie vraiment ceci dû à une réalisation inspirée, alerte mais aussi en grande partie au jeu des trois principales actrices toutes excellentes dans leur rôle respectif. Bulle Ogier, vaporeuse, diaphane, est une énigmatique Ariane provocante, aguicheuse. Marie-France Pisier, malicieuse, est parfaite dans le rôle d'Agathe, aussi fine qu'incisive. Elle ose même un insolent nu frontal après nous avoir ébahi en récitant de façon très crue le déroulement d'un acte sexuel. Leslie Caron dans le tablier de la gouvernante s'amuse, imperturbable et si sérieuse en gardienne des lieux et de ce secret dont elle joue encore et encore. Quant à l'anglais Corin Redgrave, prolifique acteur de télévision, il a le flegme tout britannique de
son personnage qui se trouvera absorbé par la maison en toute fin de bande. Et peu importe s'il reste des questions, des interrogations, si nos attentes n'ont pas trouvé toutes leurs réponses, un peu frustrant oui mais l'essentiel est là. Il n'y a peut-être pas à chercher plus loin ce qui visiblement n'était pas le but premier du metteur en scène.
Sans être un chef d'oeuvre Sérail est une tentative réussie de fantastique à la française, une oeuvre d'atmosphère aux tons hivernaux longtemps oubliée que sa sortie en DVD il y a quelques années a permis de redécouvrir dans de bonnes conditions, redonnant par la même une chance à cette bande qui prouve qu'en France on pouvait, on peut faire, également de jolis films fantastiques cérébraux ou non.