Il bestione
Autres titres: Deux grandes gueules
Réal: Sergio Corbucci
Année: 1974
Origine: Italie / France
Genre: Comédie dramatique
Durée: 95mn
Acteurs: Giancarlo Giannini, Michel Constantin, Giuseppe Maffioli, Giuliana Calandra, Dalila Di Lazzaro, Enzo Fiermonte, Jole Fierro, Philippe Hersent, Carlo Gaddi, Gabriella Giorgelli, Attilio Duse, Anna Mazzamauro, Giorgio Trestini, Imma Piro, Franco Angrisano, Romano Puppo, Franca Scagnetti, Sergio Testori...
Résumé: Spécialisé dans le transport international Sandro Collauti, un milanais bourru et très méticuleux, doit désormais faire équipe avec un jeune sicilien au caractère diamétralement opposé. Leur première collaboration doit les conduire à Varsovie. Au cours du voyage nombreuses seront les prises de bec mais ils vont apprendre à se connaître. Ils finissent par se lier d'amitié et décident de quitter leur entreprise. Las d'être exploités ils veulent acheter un camion et travailler à leur compte. Dans un contexte économique difficile les clients sont malheureusement rares. Ils acceptent alors un contrat avec la mafia...
En France on connait surtout Sergio Corbucci pour ses westerns-spaghettis dont certains sont devenus d'incontournables classiques (Le grand silence, Navajo Joe, Companeros, Les cruels), ses péplums et bien entendu ses comédies populaires. Quelque que soit le genre auquel il toucha il existe un dénominateur commun aux films du réalisateur, leur humour souvent acide, leur cynisme. Non seulement Il bestione, devenu stupidement Deux grandes gueules pour sa sortie dans les salles françaises, n'échappe pas à la règle mais cette pellicule étonnamment méconnue du public en est surtout un très bel exemple.
Le milanais Sandro Collauti, routier en transports internationaux de profession, doit se séparer de son vieux partenaire Matteo obligé de partir à la retraite suite à une santé jugée défaillante. C'est un jeune sicilien loquace un brin insouciant, Nino Patrovita, qui va le remplacer. Pour leur première collaboration ils doivent se rendre à Varsovie, un long voyage qui ne sera pas de tout repos. Collauti, un homme taciturne et très méticuleux, accepte mal le caractère bien plus dissipé de son nouveau coéquipier qui à la rigueur préfère prendre du bon temps. Leur relation est tendue. Chacune de leur étape est marquée par des prises de
bec jusqu'au jour où en pleine campagne polonaise ils en arrivent aux mains. Pourtant derrière son apparence bourrue Collauti cache un homme de coeur et de valeur. Au fil des jours les deux compères vont apprendre à se connaitre et se lient finalement d'amitié. A leur retour en Italie alors que la grève des routiers fait rage, las d'être exploités par le patronat, ils décident de quitter l'entreprise pour laquelle ils travaillent pour acheter un camion à crédit et se mettre à leur compte. Malheureusement les clients se font rares. Pour gagner un peu d'argent ils acceptent un contrat juteux avec la mafia. Ils doivent transporter un paquet de contrebande de l'Allemagne jusqu'à Naples. Lorsqu'ils découvrent que le fameux paquet est
en fait un dangereux mafioso ils décident de ne plus honorer le deal. Ils réussissent à se débarrasser du truand. Pour ne pas avoir respecté le contrat la mafia se venge en saccageant leur camion sur une petite route sinueuse de montagne avant de le pousser dans le vide. Les roues du camion se bloquent juste au moment où il allait s'écraser dans le vide. Blessés les deux compères vont tenter au péril de leur vie de sauver leur engin. Alors que leurs chances s'amenuisent une vieille connaissance de Collauti en état d'ébriété les aperçoit de la route et leur vient en aide.
Quel bien vilain titre que ce titre français qui ne reflète en rien ce film doux amer qui est bien
plus qu'une comédie. Avec Il bestione (littéralement La grosse bête autrement dit ce "monstre" d'acier qu'est le camion de nos deux héros) Corbucci nous plonge dans l'univers du prolétariat, en l'occurrence le monde bien spécifique des routiers avec ses codes, ses rites, ses habitudes, son langage, sa morale et ses liens d'amitié virile indéfectibles. Il bestione est une jolie histoire d'amitié entre deux hommes au caractère totalement opposé derrière laquelle Corbucci tente de dresser un portrait plutôt pessimiste de l'Italie ouvrière de ce milieu d'années 70 frappé de plein fouet par la crise économique. L'exploitation patronale, les grèves drastiques, la lâcheté des syndicats, le spectre de la mafia mais aussi
la maladie et le suicide, les rêves et espoirs de salut sont autant de thèmes que le metteur en scène évoquent avec une évidente honnêteté à travers ces deux fanfarons qui vont apprendre à se connaitre et s'apprécier au cours de leurs expéditions que ce soit dans la grisaille d'une Italie hivernale ou d'une Pologne encore plus glaciale.
Si rien n'aspire à la gaieté, si tout respire la pauvreté, le ras le bol, deux nos deux joyeux drilles n'en perdent pas pour autant leur verve encore moins leur appétit sexuel. Ces gais lurons débordent d'énergie et surtout d'humour, toujours prêts à faire la fête ou se retrouver dans des situations rocambolesques. Si l'humour très bien dosé ici fait oublier la tristesse,
le désespoir ambiant de cette Italie au bord du gouffre c'est très souvent l'émotion qui cependant prend le dessus. Outre la naissance touchante de cette amitié Corbucci met très bien en scène tout le courage, la force de volonté de ses protagonistes qui régulièrement se retrouvent dans des situations délicates qui dans un sens mettent en exergue leur mal être, leur solitude, leur détresse, tout simplement leurs faiblesses. Impossible de ne pas être touché par les malheurs de Nino, d'oublier ses errances et ses diverses humiliations comme notamment la scène où une nuit seul, le moral à zéro, ivre, il chante dans les rues froides de Varsovie sa version plutôt triviale du célèbre "Strangers in the night... va fancullo",
celle où pathétique il débarque chez Magda, celle où après quelques galipettes dans une grange il se retrouve seul au bord d'une route, abandonné comme un chien sur une aire d'autoroute, sans oublier la fête du nouvel an et ses déboires et surtout la dramatique et bouleversante séquence finale. Plus qu'une comédie Il bestione est un vrai drame humain où Corbucci a choisi d'éviter tout discours politique, analyse sociale et psychologique pour ne s'intéresser qu'à l'aspect émotionnel. Peut-être pourrions nous simplement regretter qu'il n'ait pas plus développé la partie mafieuse, un peu trop laissée en marge.
L'interprétation tout comme les dialogues (italiens bien sûr, la version française étant
franchement idiote) sont tout bonnement succulents, mélangeant délicieusement les dialectes. Michel Constantin est égal à lui même, parfait dans le rôle du lombard bourru Sandro mais c'est à Giancarlo Giannini que revient la palme de l'excellence sous la casquette du touchant Nino. Tout deux forment un duo en totale symbiose qui jouent à merveille sur une vaste palette d'émotions. C'est Giannini lui même qui interprète la superbe chanson du générique ("Una vita a meta") à laquelle s'ajoutent les magnifiques musiques des frères De Angelis. A leurs cotés saluons la présence d'une magnifique Dalila Di Lazzaro (Magda hôtesse de l'air et putain polonaise), la toujours voluptueuse Gabriella Giorgelli (la
joyeuse aubergiste qui lève très facilement la jambe), Romano Puppo ou encore Attilio Duse et Enzo Fiermonte sans oublier le camion lui même qui ici fait intégralement partie du film et peut être considéré comme un personnage à part entière.
Avec ces Deux grandes gueules Sergio Corbucci a su reprendre les éléments de la comédie populaire italienne en les combinant à ceux de ses westerns révolutionnaires auquel le film se rapproche sans mal. Mais il a surtout mis en scène une pellicule réaliste, amère, émouvante mais sans cesse empreinte d'humour sur la vie souvent difficile,
dangereuse des routiers dans le contexte social particulièrement dur des années 70. Passé inaperçu en France lors de sa sortie fin 1974 Il bestione est un petit bijou d'enthousiasme, d'intelligence, un film qui respire autant la misère que la joie de vivre et l'espoir. L'amateur de cinéma italien prendra beaucoup de plaisir à (re)découvrir ce film qui étrangement semble avoir été oublié des éditeurs puisqu'il n'a jamais fait l'objet d'éditions DVD en France ou en Italie. Le film fut diffusé une seule fois au début des années 80 sur une des chaines françaises mais a depuis complètement disparu. Seul moyen à ce jour de le visionner est de tomber sur la vieille édition vidéo italienne de qualité tout à fait acceptable ou un de ses quelques passages à la télévision italienne. Espérons simplement qu'un jour prochain ces Grandes gueules ressurgissent des oubliettes où elles sommeillent et soient enfin éditées en numérique comme elles le méritent.