Kriminal porno
Autres titres: Insanlari seveceksin / Thou shalt love human beings
Réal: Melhi Gülgen / Sergio Bergonzelli
Année: 1981
Origine: Turquie / Italie
Genre: Polar / Mélodrame
Durée: 83mn
Acteurs: Cuneyt Arkin, Sevda Karaca, Gloria Piedimonte, Mario Cutini, Sëlan Karay, Hüseyin Peyda, Sükrye Atav, Meral Deniz, Roberto Caporali, Gilberto Galimberti, Turgut Özatay, Süheyl Egriboz, Ihsan Gedik, Tevfik Sen, Yadigar Ejder, Halil Dede...
Résumé: Lorsque son père meurt d'épuisement au travail Halil doit alors subvenir aux besoins de sa famille. L'adolescent se tue au boulot. Un jour il est témoin du meurtre d'un mafieux lors d'une partie de poker menée par un des chefs de la mafia turque, Abbas. Il ordonne à l'adolescent de tuer un homme. Halil accepte mais il est arrêté et passe de longues années en prison. A sa sortie il épouse une belle journaliste mais accusé d'avoir assassiné un homme il retourne en prison. Libéré il fait la connaissance de son fils né durant sa détention. Abbas le recontacte et lui demande d'abattre un rival. Halil refuse. Abbas fait alors tuer sa femme. Halil va se venger et se retrouver pris dans une rixe qui oppose la mafia d'Istanbul à la mafia romaine...
Avant toute chose il faut éclaircir bon nombre de zones d'ombre quant à ce film, plus particulièrement de la mystérieuse version italienne dont l'existence est souvent mise en doute et de la participation de Sergio Bergonzelli en tant que coréalisateur. Kriminal porno est depuis de longues décennies considérée comme une véritable énigme plus particulièrement quant à sa version italienne et la participation de Sergio Bergonzelli. Tentons d'éclaircir les choses.
En 1980 Bergonzelli a pour projet de réaliser un film intitulé La mafia turca coproduit avec la
Turquie. Il appelle le metteur en scène turc Mehli Gülgen et le producteur espagnol José Luis Bermudez De Castro mais Gülgen avait déjà tourné en 1978 le film dont la partie italienne située à Rome avait été dirigée par Bergonzelli qui s'était aussi occupé du casting italien à savoir Mario Cutini, Gloria Piedimonte, Gilberto Galimberti et Roberto Caporali. Alors que le film était sur le point de sortir en salles Bergonzelli propose à Gülgen de tourner de nouvelles scènes cette fois érotiques qu'il ajouterait au métrage. La mode d'alors étant aux pellicules coquines il assure à Gülgen qu'ainsi son film pourra être distribué à l'international. Le réalisateur turc accepte mais précise bien qu'il s'agit de scènes érotiques
et non pornographiques. Les acteurs italiens sont donc rappelés notamment Gloria Piedimonte et les nouvelles scènes sont tournées. Interviewée sur le film Gloria confirme bel et bien l'existence de ces séquences mais jure qu'il s'agissait pour la plupart de scènes hard. Répugnée voire traumatisée par ce que Bergonzelli lui demandait de faire (notamment embrasser pour de vrai à pleine bouche un partenaire turc moustachu qui ne lui plaisait pas) Gloria quitta définitivement le plateau (et mit un terme définitif à sa carrière suite à cette nauséeuse expérience). Roberto Caporali refusa quant à lui de doubler son personnage en découvrant ce que le film était devenu à son insu et porta l'affaire devant les tribunaux.
Rebaptisé Kriminal porno (ou Criminal porno) le film passa tout de même en commission de censure et obtint son visa après que de nombreuses coupures ait été effectuées (une scène lesbienne et une très chaude de douche, un plan de masturbation et de doigtage entre autres). Cependant il n'existe aucune trace de cette version italienne qui n'a jamais été distribuée en salles ni même éditée en vidéo malgré l'existence de photos publicitaires en anglais). Autant dire que Kriminal porno est un véritable graal pour les collectionneurs. La seule version du film aujourd'hui visible est la turque intitulée Insanlari Seveceksin (littéralement Aime ton prochain), une version soft disponible via une vidéo grecque sous
titrée en néerlandais et une autre allemande ainsi qu'un passage télévisé sur une chaine locale turque. Les choses étant désormais clarifiées que vaut donc cette coproduction italo-turque et que raconte t-elle?
Istanbul. Halil (Wilson pour les crédits italiens) n'a décidément pas de chance. Depuis la mort de son père il vit avec sa mère et ses petits frères dans un taudis. Halil doit travailler pour survenir à leurs besoins. Malheureusement il accumule les déboires jusqu'au jour où il voit Abbas, un puissant mafieux turc, tuer un homme lors d'une partie de poker. Abbas lui ordonne alors de commettre un meurtre et lui donne un révolver. Halil obéit mais il arrêté par
la police. Condamné à de longues années de prison il passe le reste de son adolescence derrière les barreaux. Devenu adulte il se transforme en défenseur des plus faibles. Alors qu'il prend la défense d'un détenu il est poignardé et doit être hospitalisé. C'est là qu'il fait connaissance avec sa future épouse, Gülcan, une journaliste venue l'interviewer. A sa sortie de prison il retrouve son frère Yalcin mais très vite il est pris au milieu d'une rixe de manifestants. Un homme est tué sous ses yeux. Halil est accusé du meurtre et retourne en prison. Durant sa peine nait son fils. Quelques années passent avant qu'il soit libéré. Enfin libre il peut faire la connaissance de son petit garçon âgé alors quatre ou cinq ans. Le sort
s'acharne sur lui. Le mafieux qui autrefois lui avait demandé de tuer un homme le contacte et lui ordonne un nouvel assassinat. Après réflexion Halil refuse. Peu de temps après sa femme reçoit un colis piégé. Elle meurt. Halil se venge, il est de nouveau condamné. A sa sortie de prison il découvre que son fils, devenu un jeune homme, se drogue et traine dans des parties douteuses. Malgré les efforts d'Halil leur relation se dégrade de plus en plus. Son fils le renie ce père et l'accuse d'être responsable de la mort de sa mère. Un important contrat doit être signé entre Abbas et un puissant mafieux romain, Yahia Gamali. Halil profite de cette tractation pour se venger de ceux qui ont brisé sa vie. Il se rend à Rome et aidé par
Gloria, une ex-connaissance aujourd'hui petite amie d'un des malfrats, il élimine un à un les mafieux. Il meurt d'une balle en plein coeur durant sa vendetta.
Difficile de classer ce film tant il mélange les genres. Polar turc à l'italienne, film mafieux ou film noir, mélodrame Insanlari seveceksin mange un peu à tous les râteliers mais c'est cependant l'aspect mélodramatique qu'on retiendra essentiellement, un mélodrame tourné comme un roman-photo sous fond de mafia turque. Difficile de croire à cette histoire rocambolesque, celle du malheureux mais si gentil Halil qui depuis son enfance enchaine les malheurs les uns aux autres tant et si bien qu'il aura passé la moitié de sa vie en prison.
A peine sorti le voilà qu'il y retourne. Ca en deviendrait presque drôle mais cela enlève surtout beaucoup de crédibilité à l'histoire. Pour couronner le tout il doit se marier en prison, ne peut assister à la naissance de son fils et lorsqu'il le retrouve enfin non seulement l'enfant devenu un jeune homme mène une vie de patachon, sexe, drogue and rock'n'roll à la turque, mais sa mère meurt et le voilà qu'il renie son père. On dirait presque un soap à l'américaine. Mais l'ensemble est surtout très répétitif et finalement ne ménage que très peu de suspens. La seule chose qu'on espère c'est que plus rien n'arrive à Halil.
Ce qui sauve le film de Gülgen de l'ennui et surtout de l'insipidité c'est surtout et avant tout
son rythme haletant. La mise en scène plutôt professionnelle ne laisse que très peu voire aucune place aux temps morts. Les scènes d'action rondement menées se multiplient mêlant bagarres traditionnelles et Kung fu jusqu'au final haletant dans les rues de Rome où poursuites, cascades et courses-poursuites entre mafieux turcs et italiens s'enchainent. A ce niveau Insanlari seveceksin se hisse à la hauteur des polars à l'italienne du moment, une impression soulignée par la partition musicale entièrement empruntée au Napoli si ribella de Tarantini auquel s'ajoute un classique du disco, le "Let's all chant" de Michael Zager, et un morceau de Pink Floyd "Dogs". Etonnante mais là encore très italienne est cette
petite touche trash qui rehausse l'ensemble notamment cette acid-party à laquelle assiste le fils de Halil dans la somptueuse villa de sa maitresse, bien plus proche de la putain mondaine que de la jeune fille turque sage. On sent les prémices d'une nuit de débauche avec ces corps à demi dénudés qui s'enlacent et s'embrassent tout en fumant des joints. On devine également quelques coupures dues aux ciseaux de Dame Censure. A se demander à quoi ressemblait cette séquence avant son passage. Toujours à l'actif du film un certain coté fort mélancolique, presque miséreux lorsque Gülgen filme la pauvreté du pays, la misère des familles tout en conservant un caractère très local (la visite des souks et des
boites de nuit où se trémoussent les danseuses du ventre). Mentionnons enfin l'interprétation toujours très convaincante. Pour la partie turque c'est la star montante du cinéma turc d'alors qui tient le rôle principal, le fameux Cuneyt Arkin, très connu des amateurs. Si son interprétation est des plus correctes on pourra cependant sourire quant à son apparence. Les années, les décennies passent mais il ne vieillit pas, il reste identique du début à la fin du film. Magique! Pour la partie italienne on retrouvera l'éternel bad boy du cinéma de genre transalpin Mario Cutini dans la peau du mafioso Yahia Gamali, les cheveux gominés pour l'occasion, Mario qui nous offre une scène uniquement vêtu d'un
micro slip de bain. Joliment maquillée l'ex-Guappa Gloria Piedimonte interprète Gloria. L'acteur-cascadeur Gilberto Galimberti joue le mafieux qui tue Halil mais il régla surtout toutes les cascades du film. Roberto Caporali (et non Roberto Giancarlo comme il est écrit sur l'Imdb) est l'homme de main de Mario Cutini. Signalons que selon les éditions, selon les fiches techniques ou les sources une partie de la distribution turque change régulièrement. Difficile ainsi d'en donner une réellement précise.
Dans sa version turque originale cette coproduction devenue rare aujourd'hui est un bel exemple de cinéma italo-turc qui à la fin des années 70 fut un temps à la mode (on pense à Polizia selvaggia notamment). Voilà un sympathique petit polar mélodramatique mafieux pas très crédible mais fort divertissant, une curiosité que l'amateur se fera un plaisir de découvrir. Reste désormais à attendre qu'un jour la version hard italienne revue et corrigée par Bergonzelli ressurgisse du néant où elle semble s'être égarée depuis maintenant plus de quatre décennies.