Emanuele Cannarsa: l'idole des vallées
S'il ne marqua guère les annales du cinéma de genre il n'en demeure cependant une des inoubliables gueules à jamais liée aux films de Carlo Ausino. Sa touffe de cheveux roux, son épaisse moustache, sa moue si caractéristique, son jeu instinctif parfois approximatif n'ont pas fait la réputation de ce comédien qui pourtant est parvenu à se hisser au rang de véritable idole locale, symbole de réussite pour toute la jeune génération turinoise. Par quel miracle cela fut il donc possible? C'est ce que le Maniaco va sans plus tarder vous expliquer en revenant sur l'inattendu parcours de Emanuele Cannarsa.
Né le 1er aout 1945 à Taranto dans les Pouilles rien ne prédestinait le petit Emanunele Cannarsa à devenir un jour acteur. Issu d'une famille très modeste Emanuele va avec elle migrer vers la vallée du Po afin d'y tenter sa chance comme beaucoup de jeunes de cette génération. Il va passer trente deux ans de sa vie à travailler durement avec son père sur les chantiers mais aussi comme garagiste avant que sa vie ne bascule lentement mais surement en 1966 lorsqu'il décroche un tout petit rôle dans Albero verde, un film en noir et blanc de Giuseppe Rolando qui narre l'histoire de Don Bosco.
C'est sa rencontre avec le réalisateur Carlo Ausino quelques années plus tard qui va
bouleverser sa vie. Metteur en scène marginal qui a toujours rêvé de se frayer un chemin au soleil et de connaitre enfin son heure de gloire, il a avec Emanuele ce point commun, cet ardent désir de réussir. Une solide amitié va très vite naitre entre les deux hommes qui ne se quitteront pratiquement plus. Il n'est donc pas étonnant que Ausino lui donne le rôle masculin principal de son premier film qu'il réalise en 1975, La citta dell'ultima paura, un obscur post nuke difficilement visible, aujourd'hui oublié de tous. Emanuele est de nouveau au générique du film suivant du cinéaste, un second film de science fiction tout aussi oublié Prima che il sole tramonti. Deux films deux échecs, deux films perdus mais qui pourtant offrent à Emanuele l'occasion de prouver ce dont il est capable mais surtout de montrer à
ses compatriotes qu'il est possible de réussir.
Il faut attendre l'année suivante pour que Carlo Ausino et par conséquent Emanuele parviennent enfin à se faire remarquer. En effet avec Torino violenta / Le justicier défie la ville Ausino voit enfin l'occasion de sortir de l'ombre. Il a la chance d'avoir un intéressant casting, George Hilton en tête, une maison de production renommée la Lark cinematografica, un compositeur qui n'a plus à faire ses preuves Stelvio Cipriani et un scénario prometteur. C'est aussi la chance pour Emanuele d'obtenir son premier véritable grand personnage dans le rôle du partenaire de Hilton. Malheureusement Torino violenta est au final un bien piètre polizesco qui tente de marcher sur les traces des Roma et autres Napoli. En vain.
Désespérant mou, souffrant d'une interprétation à la limite de l'amateurisme et d'une mise en scène anémique le film s'avère vite ennuyant. Ne subsistent qu'une belle visite guidée de Turin et ses environs et une tentative de mettre la ville en avant. Malgré ça Torino violenta connaitra un certain succès à Turin et deviendra même au fil du temps une oeuvre dont les turinois seront fiers. Ausino est alors considéré comme le porte flambeau de la ville tandis que Emanuele devient une sorte d'idole 70s dans toute la vallée du Po. Il représente la réussite de toute une génération d'immigrés, le symbole populaire de la persévérance, un exemple pour les jeunes qui composent la majeure partie de son public. Pourtant Emanuele est loin d'être un sex-symbol. Trapu, une touffe de cheveux roux, une grosse moustache un
brin broussailleuse, plutôt pataud, son jeu d'acteur est quant à lui tout aussi insipide. Mais il a ce naturel, ce coté instinctif tant dans son jeu que dans sa récitation qui savent séduire. Autodidacte, Emanuele jouait comme il le sentait et Ausino lui laissait le champ libre.
S'il fait une infidélité à Ausino l'année suivante pour apparaitre très rapidement dans le navrant Torino centrale del vizio du tandem Polselli-Vari il retrouve son ami en 1979 pour Tony l'altra faccia della Torino violenta dont il est cette fois le principal protagoniste. Fort malheureusement Tony l'altra faccia della Torino violenta souffre des mêmes défauts que Torino violenta. Ausino livre un film poussif qui se voudrait une étude sociologique à la Di Leo mais il est incapable de mener à bien ce projet qui rappelle par quelques aspects un certain polar à la française dans sa description de la marginalité pour son réalisme et sa poésie. C'est d'autant plus regrettable que cet intéressant mélange des genres aurait pu donner une oeuvre sombre et désespérée sur fond de violence urbaine. Restent au crédit du film un joli final, quelques scènes poignantes et une nouvelle visite guidée d'un Turin hivernal. Trop peu pour que le film soit une réussite.
Par la suite durant la première partie des années 80 l'idole turinoise va se contenter d'apparaitre dans quelques séries télévisées et quelques téléfilms. Sa notoriété durera une bonne décennie jusqu'à ce qu'il quitte le monde du cinéma en 1985 pour ne réapparaitre
qu'en 2006 dans un téléfilm de son éternel ami Carlo Killer's playlist.
Parallèlement à ses activités cinématographiques Emanuele était un féru de sport. Il était entraineur de basket ball et dirigeait plusieurs petites équipes qui jouaient en championnat locaux. Il était également amateur d'arts martiaux, sport qu'il mit à contribution pour Torino violenta.
Aujourd'hui à 73 ans Emanuele continue d'apparaitre aux cotés de son ami Carlo Ausino lors de festivals et autres manifestations durant lesquels Torino violenta est diffusé, le succès du film à Turin n'ayant jamais faibli. aux yeux de leur public ils continuent de représenter cette ville qu'ils ont filmé, dont ils ont donné une certaine vision. Emanuele tout comme Carlo, deux noms à jamais liés, font définitivement partie du patrimoine du Turin et de toute sa vallée.
Si certains sont durant leur vie l'idole de leur rue ou quartier Emanuele fut lui l'idole de toute une vallée... ou l'accès à une certaine forme de gloire.