Gangsters 70
Autres titres: Gangsters '70 / Days of fire / Gangster sterben zweimal
Real: Mino Guerrini
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Polar / Noir
Durée: 103mn
Acteurs: Joseph Cotten, Giulio Brogi, Giampiero Albertini, Franca Polesello, Milly Vitale, Bruno Corazzari, Franco Ressel, Jean Louis, Salvatore Basile, Linda Sini, Denis Kilbane, Cesarino Miceli Picardi, Giancarlo Badessi, Giovanni Pallavicino, Roberto Simmi, Vivien Stapleton...
Résumé: Destil, un gangster vieillissant tout juste sorti de prison, projette un dernier coup d'éclat avant de se retirer définitivement. Il envisage de voler une mallette contenant une somme colossale en diamants. Il réunit quelques hommes tous plus désillusionnés les uns que les autres et demande à un ami joueur de poker de financer une partie du projet. Celui ci est contraint de livrer des informations à Affatato, le boss d'un gang rival. Le jour du hold-up tout se déroule comme prévu mais Affatato et sa bande de malfrats attendent le retour de Destil et ses hommes. Arrivés à leur repère, Affatato les massacre tous à l'exception de Ludi et Franca qui parviennent à s'enfuir avec les diamants...
Ancien journaliste Mino Guerrini, petit artisan touche à tout du cinéma de genre, s'est surtout fait connaitre du grand public dans les années 70 pour ses quelques décamérotiques et sexy comédies. On oublie trop souvent à tort que Guerrini réalisa dans les années 60 quelques petits fleurons du cinéma noir et du thriller à commencer par Le froid baiser de la mort dont D'Amato fera un remake en 1979, le fameux Blue Holocaust. Suivront un très agréable et divertissant Omicidio per appuntamento, une première tentative de noir haute en couleur qui tire son inspiration principalement dans la bande dessinée, et Gangsters 70 dont
Omicidio per appuntamento pourrait être une sorte de préface ludique. Un nom relie ces deux films, Fernando Di Leo, puisqu'il en écrivit le scénario. Si le premier film portait déjà la future marque du père du polar italien cette seconde tentative porte si bien sa signature qu'il serait facile de penser cette fois qu'il en est le metteur en scène.
Destil, un gangster d'un certain âge, vient juste de sortir de prison. Il prévoit de commettre un ultime coup d'éclat avant de prendre sa retraite: dérober une mallette pleine de diamants qu'un transporteur amène en Italie par avion. Il rassemble un petit groupe d'hommes dont un ancien champion de tir aujourd'hui dépendant aux drogues, Ludi, et une starlette suicidaire,
Franca. Il demande à un de ses vieux amis, Sempresi, de financer une partie du projet en jouant au poker. Malheureusement Sempresi tombe au main d'une bande rivale menée par le cruel Affatato qui en échange d'informations sur le vol lui promet une jolie somme d'argent. Lorsque l'avion atterrit, Destil et ses hommes déguisés en policiers parviennent à s'emparer des diamants. Ils prennent la fuite et regagnent leur cache. Affatato les y attend. Un véritable carnage a lieu. Seuls Franca et Ludi réussissent à y échapper. En possession des diamants, ils fuient vers la Yougoslavie. Bien décidé à ne rien partager, Ludi abandonne la pauvre femme groggy à son triste sort. En pleine crise de manque, il s'effondre en pleine rase
campagne au milieu de nulle part. Dans un ultime effort, il tente de détruire les diamants.
Inspiré d'un roman du sicilien Franco Enna, Tempo di massacro, Omicidio per appuntamento était un petit polar noir mâtiné de spy movie plutôt original, plein d'humour, arty, haut en couleur, un film qu'on pourrait presque qualifier d'avant-garde. Gangsters 70, tourné l'année suivante, est quant à lui un film beaucoup plus sérieux, à l'opposé du premier sous bien des aspects. Aussi coloré et ludique était Omicidio... aussi sombre et désespéré est Gangsters 70. L'euphorie fait ici place à un ton résolument maladif, inquiétant, un sentiment renforcé par ses décors hivernaux, froids, qui transpirent la mort, dans lesquels se
meuvent les différents protagonistes, un gang de losers tous plus antipathiques les uns que les autres, en tête trois d'entre eux: Destil, un gangster d'âge mûr, sûr de lui, qui projette un dernier coup d'éclat mais qui ne s'est pas aperçu que le milieu a évolué depuis son incarcération, Affatato, son rival, un boss sadique, voyeur, incestueux, et Ludi, un ex-champion de tir aujourd'hui toxico-dépendant qui a du vendre sa médaille olympique pour se payer de l'héroïne. Autour d'eux gravitent entre autres une starlette suicidaire qui en acceptant de travailler pour eux entend bien trouver le plus beau rôle de sa pauvre vie et Sempresi, un
joueur de carte professionnel désillusionné. Plus qu'un vol magistral, cet ultime coup est pour eux tous une preuve qu'ils existent encore, qu'ils sont encore capables de faire quelque chose dans un univers en pleine transformation auquel ils ne se sont pas adaptés. En ce sens le titre du film n'est pas anodin. Il fait allusion en effet à la nouvelle décennie qui voit arriver toute une nouvelle génération de gangsters, celle d'Affatato, qui d'un revers de la manche balaie les anciens et leurs méthodes démodées incarnés par Destil, une nouvelle vague pour qui le respect, l'honneur, n'existe plus.
Gangsters 70 est un film d'un étonnant pessimisme dont les maitres mots sont trahison, échec, tromperie, une pellicule d'où le mot espoir semble avoir été banni. Guerrini signe une
oeuvre incisive, surprenante, réalisée avec adresse. Bénéficiant d'une mise en scène alerte qui ne laisse place à aucun temps mort, Gangsters 70 porte bel et bien la griffe de son auteur. On y retrouve en effet son penchant pour les ralentis, un montage nerveux , sec. les plans séquences et les plans filmés caméra à la main dont un mémorable, celui où Sempresi pris au piège, coincé contre un mur en métal translucide, est sauvagement roué de coups. La structure du film est elle même intéressante puisqu'il est scindé en deux parties distinctes. La première, la préparation du projet et le rassemblement des hommes, laisse également une large place à de nombreux fragments qui n'ont que peu de rapport
avec l'intrigue mais qui donnent cependant à l'ensemble une certaine profondeur notamment les scènes où Ludi en quête d'héroïne a rendez-vous avec un son dealer, un père de famille bien sous tout rapport joué par Guerrini lui même, les errances nocturnes de ce même Ludi en pleine crise de manque, son shoot et la séquence de la mouche ou l'émouvant rendez-vous galant de Destil. La seconde moitié se focalise quant à elle uniquement sur le vol des diamants à l'aéroport. Cette deuxième partie est en tout point remarquable. D'une implacable logique, elle parvient à tenir le spectateur en haleine, distillant un suspens haletant qui jamais ne se relâche jusqu'à la fuite des bandits qui mènera au carnage final.
Guerrini nous offre un très grand moment de cinéma, un massacre particulièrement impressionnant, d'une violence inouïe, un déluge de sang agrémenté de quelques plans gore surprenants pour l'époque qui annonce l'ère des polars à la Di Leo et ravira l'amateur. Après un tel déchainement de sauvagerie auquel aucun ne sortira vivant, il était difficile de conclure cette histoire sans décevoir le public. Guerrini y parvient haut la main en prolongeant l'histoire avec la fuite des deux uniques survivants, Brogi et Franca, un final d'un cynisme à toute épreuve, inattendu, désespéré, une conclusion funèbre en totale adéquation avec l'atmosphère générale du film qui laissera un gout amer au spectateur une fois les lumières rallumées.
Inspiré du cinéma français à la Melville mais aussi celui d'Arthur Penn, Gangsters 70 que Di Leo avait au départ écrit pour des producteurs américains, bénéficie d'une efficace et angoissante partition musicale signée Egisto Macchi ainsi qu'une d'une interprétation sans faille d'une jolie brochette de talentueux comédiens, Joseph Cotten en tête dans la peau de Destil. Autour de lui on retrouvera avec grand plaisir Bruno Corazzari, incontournable figure du polar et du giallo, excellent dans le rôle de Affatato, Giulio Brogi, parfait en gangster héroïnomane, Giampiero Albertini en joueur de cartes professionnel transformé en balance et la blonde Franca Polesello (Tarzana sexe sauvage, L'étrangleur de Vienne, Navajo Joe).
Aussi réussi fut il Gangsters 70 passa pourtant inaperçu lors de sa sortie en Italie, emporté par la vague de films érotiques qui doucement débarquait sur les écrans. Il fut très vite oublié et disparut. Il eut droit à une seconde chance trente ans plus tard, à la fin des années 90, lorsque la pellicule ressurgit de nulle part. Devenu aujourd'hui difficile à visionner, il reste une oeuvre malheureusement méconnue, préface aux futures pellicules de Di Leo, devenue culte auprès de tout amateur de noirs et de polars sombres et nerveux . Si Gangsters 70 est sans aucun doute un des meilleurs si ce n'est le meilleur film du genre de cette lointaine décennie il est également le chef d'oeuvre de son auteur.
Signalons qu'un DVD allemand a été édité mais dans une édition malheureusement expurgée de quelques 15 minutes.