Radiofreccia
Autres titres: Radio flèche
Real: Luciano Ligabue
Année: 1998
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 108mn
Acteurs: Stefano Accorsi, Luciano Federico, Alessio Modica, Enrico Salimbeni, Roberto Zibetti, Francesco Guccini, Patrizia Piccinini, Serena Grandi, Cristina Moglia, Cosima Coccheri, Paolo Maria Scalondro, Little Taver, Manuel Maggioli, Paolo Cremonini, Ottorino Ferrari
Résumé: Au milieu des années 70, à Correggio, une petite ville d'Emilie-Romagne, un groupe de cinq copains crée une radio libre baptisée Radio raptus. Elle va vivre au rythme de la vie de ces cinq amis, leurs aventures, leurs problèmes, leurs désillusions, plus particulièrement celle de Freccia, la figure emblématique de la bande qui au fil du temps va sombrer dans la petite délinquance puis la toxicomanie.
Rock star très populaire en Italie dans les années 90 tant pour sa musique que pour ses spectacles, Luciano Ligabue réalisa son premier film en 1998 dans lequel il tentait d'illustrer la vie au quotidien de sa ville natale, Correggio dans l'Emilie-Romagne des années 70. Plus qu'une biographie, Radiofreccia retrace avant tout la vie de toute une jeunesse italienne à travers ses cinq personnages principaux, cinq amis, cinq copains qui au fil des jours, des mois, des années vont aller d'aventures en aventures, de joies en trahisons, de déceptions en désillusions jusqu'à la mort par overdose de l'un d'entre eux, Freccia, qui donnera son
nom à la radio libre locale qui jusqu'alors se nommait Radio raptus. C'est aussi l'occasion pour Ligabue de parler de l'émergence en Italie des premières radios libres dés la fin des années 70 qui allaient permettre à tout un pan de la jeunesse de pouvoir s'exprimer. Radio raptus animé par Bruno Iori, un des cinq amis de Freccia, était en quelque sorte le porte parole de cette petite bourgade que les jeunes aimaient écouter le soir, où animateurs et auditeurs pouvaient venir se livrer, exprimer leurs opinions, leurs sentiments, voix anonymes à travers la nuit. Le film est construit en un long flash-back qui explique les raisons pour lesquelles Radio raptus est née un jour de 1975 et pourquoi Bruno décida le 20 juillet 1993
de définitivement arrêter son émission. Commence alors un long retour vers le passé au coeur des années 70.
Passionné de musique, Bruno décide de créer une radio au fond d'une vieille bâtisse qui sera son studio. Il est aidé par ses amis de toujours, un groupe de jeunes tout juste sortis de l'adolescence, Tito, Iena, Boris et surtout Freccia, le plus investi. Contre toute attente, Radio raptus va prendre de plus en plus d'importance mais au fil du temps, victime de son succès local, elle va perdre cette liberté qui la caractérisait et prendre un virage plus commercial pas toujours évident à assumer. Composé de plusieurs petits segments de vie, le film est rythmé
par les aventures personnelles des amis de Bruno. Radio raptus va vibrer au son des malheurs de chacun et Dieu seul sait si ces jeunes n'ont pas une vie facile notamment Tito qui, las de voir son père abuser de sa petite soeur, le tuera une nuit. Le jour de ses noces, la femme de Iena le trompera dans les toilettes avec Boris, un événement qui fera éclater la petite bande. C'est cependant Freccia qui a la vie la plus difficile. Ne supportant plus que sa mère fasse l'amour comme une putain à un beau-père qu'il déteste, il quittera le domicile parental et sombrera lentement dans la petite délinquance. Vols de voiture et d'auto-radio, petits larcins, deviennent son quotidien jusqu'au jour où il rencontre une toxicomane dont il
s'éprend. Freccia commence à son tour à prendre des drogues qui progressivement le détruisent. Il perd son travail, rencontre de graves problèmes avec la justice et se fâche avec ses amis. Une jeune agent immobilier lui fera reprendre sa vie en main mais le jour où elle le surprend entrain de lui voler de l'argent elle le quitte. Freccia pense retrouver l'amour auprès de la cousine de l'épouse de Boris mais l'échec de leur relation le fait définitivement replonger dans la drogue. Il mourra d'une overdose. Pour lui rendre hommage, Bruno rebaptisera Radio raptus Radiofreccia.
Tiré du propre roman de Ligabue, Dentro e fuori il borgo, dont certains passages ont été
changés pour sa retranscription sur grand écran, Radiofreccia plus qu'un film sur la naissance des radios libres et le rôle primordial qu'elles ont joué sur notre société notamment en Italie est avant tout un film sur toute une jeunesse désillusionnée au futur incertain, cette nouvelle génération issue de familles souvent précaires qu'elle ne peut malheureusement pas quitter. En découlent de graves crises existentielles qu'on tente d'oublier en s'échappant dans des mondes utopiques et l'usage de drogues, moyens nécessaires pour surmonter ces questions existentielles. La comédie adolescente transalpine a suivi le mouvement, les comédies douce-amères d'hier ont fait place dés les
années 80 et jusqu'au milieu des années 90 à des comédies souvent pessimistes, nihilistes, des tragédies sur fond de désespoir dont Radiofreccia fait partie même si à la différence de certains de ses confrères Ligabue joue sans cesse la carte de la fraicheur, de l'innocence, de la légèreté même lors des passages les plus forts, une des grandes forces du film.
Radiofreccia est en effet un film plein d'émotion, touchant, dont l'humour adoucit souvent la gravité des évènements. Sincère, mis en scène de façon convaincante, Ligabue pour une première réalisation parvient assez bien à capter l'atmosphère de cette petite bourgade
émilienne des années 70, de ses habitants parfois étranges (Pluto l'homme qui parle à l'au-delà, Bonanza, Kingo) l'ennui dans laquelle elle baigne qui oblige sa jeunesse à passer son temps au bar local à jouer au flipper ou à des jeux plus ou moins stupides (le faux duel façon western). Certes il n'invente rien, Radiofreccia reprend simplement le schéma habituel de ce type de films, sexe drogue et rock'n'roll, qu'il associe ici aux radios libres, symbole de liberté et d'expression. Cet "Emilian graffitti" reconstitue avec une nostalgie presque palpable la vie provinciale de cette époque, donne vie aux rêves de ses jeunes noyés dans une insupportable routine à laquelle ils échappent grâce à d'autres rêves ou via les paradis
artificiels, l'ensemble agrémenté de quelques touches un brin surréalistes, une forme d'onirisme quasi fellinien, grotesque (certains renommèrent le film l'Amarcord du pauvre), tout à fait plaisant auquel on accroche ou pas. Outre les différents cartons qui annoncent les récits comment ne pas citer la scène du silure et plus encore celle de l'hippopotame dans le jardin.
Porté par une agréable musique rock et quelques incontournables morceaux de quelques unes des idoles du rock des années 70, Lou Reed et David Bowie en tête (superbe est la scène où Freccia danse sur Rebel Rebel) Radiofreccia bénéficie également de dialogues
souvent justes et porteurs dont le long monologue de Freccia, un des moments cruciaux du film, représente une forme d'apothéose. L'interprétation est tout aussi juste, tout en douceur, menée par un tout jeune Stefano Accorsi qui apporte beaucoup d'authenticité à son personnage entouré des excellents Enrico Salimberi (Tito) et Luciano Federico (Bruno). Plus en retrait Roberto Zibetti et Alessio Modica n'en sont pas moins bons comédiens, tous autant qu'ils sont apportent leur touche d'émotion et savent rendre non seulement leur caractère attachant mais aussi ce petit groupe de copains qui traversent les années au rythme de leurs problèmes. A leurs cotés, on apercevra le temps de quelques trop rapides
séquences Serena Grandi dans le rôle de la mère de petite vertu de Freccia et l'apparition furtive de Francesco Guccini.
Radiofreccia n'est pas un film parfait et souffre peut être des stigmates d'une première réalisation d'un artiste qui au départ n'est pas un cinéaste. On appréciera ou non son discours et sa vision des choses mais il faut reconnaitre que Ligabue parvient à retenir l'attention du spectateur par sa sincérité, cette innocence, cette nostalgie qui imprègne chaque image de son film, joliment photographié et mis en scène. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il joue ici la carte de l'exploitation, il n'est pas dans les intentions de Ligabue de marcher sur les plates-bandes de Gianni Minello, de refaire Bambulè ou plus encore un succédané de Moi Christiane F.. Radiofreccia est simplement l'histoire de tranches de vie provinciales, vibrantes, caustiques, toujours sympathiques, une comédie aigre-douce contemporaine pleine de pudeur tout bêtement attachante.
Si le film ne rencontra guère de succès à sa sortie en Italie, il se bonifia au fil du temps jusqu'à devenir un film quasiment culte dans son pays où il continue encore aujourd'hui de diviser l'opinion. Plus surprenant, il traversa l'Atlantique et fut projeté au Musée d'arts moderne de New York où il triompha. En 3006, le film se mit à multiplier les prix dans divers festivals. Radiofreccia possède en effet à son palmarès deux ciak d'or, deux David Di Donatelo, l'équivalent italien des Oscars, et trois rubans d'argent.