Plata quemada
Autres titres: Vies brulées / Burnt money
Real: Marcelo Pineyro
Année: 2001
Origine: Argentine
Genre: Polar
Durée: 120mn
Acteurs: Leonardo Sbaraglia, Eduardo Noriega, Pablo Echarri, Dolores Fonzi, Leticia Bredice, Ricardo Bartis, Daniel Valentezuela, Claudio Rissi, Carlos Roffé, Hector Alterio, Adriana Varela...
Résumé: Buenos Aires, 1965. Angel et Nene sont deux gangsters professionnels surnommés "les jumeaux". Ils sont amants mais depuis quelques mois quelque chose s'est brisé entre eux. Quand ils se voient proposer un gros coup, l'attaque d'un fourgon blindé transportant 7 millions de dollars, ils acceptent, chacun cachant ses inquiétudes. Ils espèrent secrètement que cette attaque leur permettra de retrouver l'association parfaite qu'ils formaient autrefois. Malheureusement rien ne se passe comme prévu. Angel tue les convoyeurs et se fait blesser. Obligés de fuir, ils se cachent avec leur chauffeur quelque part en Uruguay. La relation des deux amants, aussi ardente soit elle, se dégrade de jour en jour, la peur et la folie envahissant lentement Angel, le plus mystique des deux...
Il n'est plus à démontrer aujourd'hui la puissance du cinéma gay argentin. Plata quemada sorti en France sous le titre Vies brulées en est une nouvelle fois la preuve. Tiré d'un fait divers authentique survenu en 1965, l'attaque très médiatisée d'un transport de fonds blindé par deux malfaiteurs au service d'un important mafieux argentin, Vies brulées est une oeuvre sulfureuse, incandescente, vénéneuse qui met en exergue un amour viril si intense que rien ne semble pouvoir le détruire. Plus qu'un polar, c'est avant tout la relation aussi enflammée que destructrice de deux hommes, Angel et Nene, deux gangsters surnommés Les jumeaux, qui se sont rencontrés un soir dans les bains publiques alors que tous deux étaient en quête de sexe. A partir de cet instant ils ne se quitteront plus même si au fil du temps leur relation va lentement se dégrader, le désir n'est plus au rendez-vous, quelque chose en eux s'est rompu. Accepter l'attaque du fourgon est pour eux une tentative de se retrouver et rallumer la flamme. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu. Ils doivent fuir. Recherchés par la police, Angel, Nene et leur chauffeur doivent fuir et se cacher en Uruguay.
Si le film qui marquait la première collaboration entre le metteur en scène Marcelo Pineyro et l'acteur Eduardo Noriega s'inspire de ce fameux fait divers, ce n'est cependant jamais qu'un prétexte tant il reste bien peu développé pour illustrer la violente et ardente relation qui existe entre les deux personnages principaux. Pineyro a parfaitement réussi à mettre en images cet amour désespéré, passionnel presque fusionnel qui lie ces deux être. On suit avec émotion le parcours chaotique de ces deux hommes qui tentent désespérément de retrouver ce feu qui autrefois les unissait, de réparer ce qui s'est cassé en eux en tentant de surmonter leurs peurs, leurs inquiétudes, en tentant de comprendre l'autre si toutefois ilaccepte de s'ouvrir et de faire exploser le carcan dans lequel il s'est enfermé. Angel s'est en effet lentement replié sur lui même jusqu'au point de refuser tout dialogue, tout contact tant charnel que physique. Superstitieux, il s'est crée tout un monde empreint de spiritualité exacerbée qui petit à petit le ronge, lui fait perdre l'esprit, le détruit et l'éloigne de plus en plus de Nene qu'il continue cependant d'aimer. Vie brulées c'est l'histoire d'une double souffrance, celle de deux hommes qui malgré l'éloignement tant du corps que de l'esprit continuent de s'aimer passionnément, deux hommes qui ne peuvent vivre l'un sans l'autre, unit à la vie à la mort malgré les évènements. C'est également la douleur de voir l'autre souffrir, mourir à petit feu, la douleur du rejet, du manque.
Avec talent et sans voyeurisme aucun, Pineyro est brillamment parvenu à mettre en scène cette relation unique, brulante avec un sens de l'homo-sensualité assez surprenant, à décortiquer de manière subtile les sombres méandres de l'âme humaine. En découle une oeuvre vénéneuse, noire, empreinte de folie où la force des sentiments dépasse de loin la raison. Pineyro traduit cette puissance par le feu qui caractérise les scènes de sexe, d'un incroyable réalisme, qui vont au delà de toute sexualité. Hétérosexuel, homosexuel, qu'importe, la puissance de l'amour ne connait aucun bord. Le désir se fait ardent, la passion dévorante, proche du cannibalisme. En ce sens, toutes ces scènes sont d'un érotisme torride, sulfureux. Pineyro a magnifiquement bien su capter toute la beauté des amours
viriles qu'il filme comme de véritables oeuvres d'art. Chaque regard, chaque étreinte, chaque baiser, chaque ébat respire le sexe à la fois sauvage et sensuel, voluptueux et ravageur. Lorsqu'il ne le montre pas de façon charnel, le cinéaste traduit ce désir, cet amour par le poids des mots tout aussi percutants et fantasmatiques. Nene dira ainsi d'Angel qu'il avait sans cesse les doigts qui sentaient le sexe, que tout son corps respirait le sexe avant de l'étreindre rageusement créant chez le spectateur cette sorte d'auto-identification si jouissive et lui donne la très agréable sensation que cette odeur suinte au travers de l'écran. Tout aussi intéressante est la relation qui lie les deux hommes à leur jeune chauffeur cocaïnomane, hétérosexuel endurci, une relation trouble, attisée par la curiosité de leur différence. C'est finalement une véritable amitié masculine, forte, inaliénable qui les unira jusqu'à la fin.
Bénéficiant d'une très jolie photographie qui privilégie les tons jaunâtres, verdâtres, les nuances sombres qui appuient le coté crasseux et désespéré du film, Vies brulées est un polar explosif et viril fait de sperme et de sang qui se conclura dans un massacre général, un carnage hallucinant à la bombe et à la mitraillette, un chaos dans lequel les trois hommes quasiment nus vont tenter désespérément de survivre, plus forts et déterminés que jamais, unis à la vie à la mort. La violence de l'assaut des forces de police est à l'image de la violence de l'amour des deux gangsters, un amour dont seule la mort pourra y mettre un terme.
Le film doit beaucoup à la magistrale interprétation de ses deux principaux comédiens, deux beautés ténébreuses latines qui en feront fantasmer plus d'un, l'argentin Leonardo Sbaraglia d'une part et l'espagnol Eduardo Noriega d'autre part, qui se donnent corps et âmes dans leur rôle respectif, totalement désinhibés, habités par leur personnage. Il en va tout autant pour le tout aussi fantasmatique Pablo Echarri, impudique et provocateur, dont on n'oubliera pas de sitôt les majestueux coups de reins. Gageons que le trio qui s'était surnommé de façon morbide mort, chaos, destruction, en fera rêver plus d'un!
Si on pourra regretter certaines longueurs dues en partie à la durée du film qui souffre de temps à autre d'une baisse de régime, si on aurait aimé que le spirituel, le mysticisme soit un peu plus développé afin de mieux percer l'énigmatique personnalité de Angel qui donne parfois à l'ensemble un coté hermétique un brin désagréable, Vie brulées demeure cependant une oeuvre crue, poisseuse, désespérée, envoutante, un film qui plus qu'un polar gay est l'histoire d'un étourdissant amour aussi déraisonné que passionné, incontrôlable ou quand la force du coeur et du corps annihile toute forme de logique, toute rationalité. Vies brulées est une histoire d'hommes pour hommes mais qui a cette faculté de pouvoir s'appliquer à toute sexualité.
Il est à signaler que le film fut interdit en Argentine et dans de nombreux pays d'Amérique latine pour ne pas avoir condamné l'homosexualité.