La rose de fer
Autres titres: The iron rose
Real: Jean Rollin
Année: 1973
Origine: France
Genre: Fantastique
Durée: 77mn
Acteurs: Hughes Quester, Françoise Pascal, Mireille Dargent, Natalie Perrey, Michel Dellesalle, Jean Rollin...
Résumé: Une jeune femme découvre sur une plage déserte une rose de fer. Quelques temps plus tard, au mariage de sa soeur elle fait la connaissance d'un garçon qui l'emmène passer une journée dans un vieux cimetière. Fascinés par ce lieu étrange, ils laissent libre cours à leur imagination et s'enferment dans une crypte pour y faire l'amour. A leur sortie, la nuit est tombée. Ils ne retrouvent plus la sortie. Ils vont passer la nuit dans ce cimetière. Pris par l'atmosphère qui y règne, ils sombrent lentement dans la démence. La jeune fille se découvre alors une âme de poète, semble vouloir communier avec les morts. Comme hypnotisée par ce lieu, elle enferme son ami dans un tombeau, scelle la porte avec une rose de fer que tenait dans sa main un angelot et s'enfuit jusqu'au petit matin...
Entamé cinq ans auparavant, le début de la carrière cinématographique de Jean Rollin fut surtout marqué par son amour pour les films de vampires qu'il mit en images à travers quatre films inégaux, Le viol du vampire, Le frisson du vampire, Requiem pour un vampire et La vampire nue, avant d'y revenir un peu plus tard avec Lèvres de sang. Avec La rose de fer réalisé en 1973, Rollin amorçait un virage et pour la première fois il délaissait les créatures de la nuit pour un univers tout aussi nocturne mais exempt de tout vampire cette fois puisque La rose de fer n'est jamais que le récit des errances de deux amants dans un vieux cimetière où il s'est laissé enfermé.
Inspiré d'un poème de Tristan Corbières et de l'univers de Baudelaire, La rose de fer tiré d'une nouvelle intitulée La nuit dans un cimetière écrite par Rollin lui même est une oeuvre étonnante, envoutante, unique où Jean Rollin laisse éclater non seulement tout son talent artistique mais également de poète, d'esthète. Dans un décor minimaliste, un vieux cimetière, le cinéaste parvient à mettre en place une histoire à la lisière du fantastique, à mettre en images un somptueux poème macabre à la fois fascinant et inquiétant. La grande force du film est son atmosphère, unique, étrange qui très vite hypnotise, une ambiance à la fois belle, presque magique, et morbide d'où surgit une indicible angoisse. Rollin a su capter l'essence même de la peur à travers ce décor nocturne funeste où tout peut arriver au détour
de ces dédales d'allées, d'une pierre tombale, d'un caveau envahi par les herbes sauvages, ravagé par le temps. Outre le puissant pouvoir hypnotique de la nuit et la peur quasi divine que peut engendrer un cimetière de surcroit plongé dans la brume, La rose de fer est d'une beauté plastique surprenante qui met en avant le génie visuel du réalisateur et donne au film ses lettres de noblesse. Avec très peu de moyens, un décor unique et un embryon d'intrigue, Jean Rollin est parvenu à réaliser un petit chef d'oeuvre onirico-macabre fascinant, mystérieux dans lequel il laisse éclater d'une part toutes ses obsessions, celles des cimetières et de ses angelots bien sur mais aussi celles des vieilles pierres, des lieux abandonnés rongés par le temps et des portails en fer forgé rouillés, des ossements, des plages grises et désertes... d'autre part son amour pour une certaine poésie et l'érotisme morbide dont il agrémente légèrement l'ensemble.
La rose de fer est une sorte de rêve funèbre hors du temps, un véritable délire surréaliste, presque avant-gardiste, qui par le biais des errances du jeune couple dans cet antique cimetière nous entraine aux limbes de la démence. Visionner ce film exceptionnel c'est comme contempler une oeuvre d'art, une peinture qui tel Alice au pays des merveilles nous absorberait pour mieux nous faire plonger dans un monde halluciné, incroyable, coincé entre l'angoisse et l'extase. Il nous invite 75 minutes durant à un voyage intemporel où l'on embrasse le merveilleux tout en brisant certains tabous ce qui autrefois dut en faire tressaillir certains. Si les deux amants flirtent en effet par instant avec la nécrophilie, ils profanent également tombes et caveaux pour s'y enfermer et se livrer à de passionnés ébats. Autant dire que le cinéaste n'a que faire de retourner les esprits pour composer son ode à la mort, à l'enfermement, à la liberté, celle dont seuls les défunts peuvent jouir, une ode qui se veut un regard particulièrement noir sur la vie, sur notre passage en ce bas monde.
Si certaines âmes chagrines pourront reprocher aux deux acteurs d'être trop théâtraux, de réciter de façon monocorde leur texte, un reproche récurrent à l'oeuvre de Jean Rollin qui lui donne malheureusement trop souvent un coté amateur, comme par enchantement cela ne dessert pas le film cette fois mais lui apporte une petite touche supplémentaire. Le ton adopté convient tout à fait aux poèmes déclamés et les dialogues se transforment eux aussi en poèmes, peut être maladroits mais saisissants dans leur signification. Hughes Quester, grand comédien français vu par la suite dans de nombreuses pellicules dont Je t'aime moi non plus et Parking, et la charnelle et sublime Françoise Pascal forment le couple de cette Rose de fer qui reste peut être le film le plus abouti de son metteur en scène, le plus séduisant aussi, une oeuvre à part, presque auteurisante qui fut tournée au cimetière de la
Madeleine à Amiens et la plage de galets de Pourville-lès-Dieppe, tout deux magnifiquement photographiés par Jean-Jacques Renon dont le talent a presque fait du film une toile de maitre gothique.
Voilà un voyage fascinant pour qui voudra bien l'accepter tout empreint de mélancolie, de tendresse et de romantisme aux réminiscences gothiques. Si à sa sortie le film fut un gros échec à la grande déception de son auteur dont c'était là le préféré, il prouve néanmoins quel génie visuel était Jean Rollin, véritable poète de l'Etrange, du Merveilleux, qui sut créer un univers bien défini et surtout très personnel tout au long de sa carrière. La rose de fer est la quintessence même de ce monde si divinement particulier qui ne demande qu'à s'ouvrir devant le spectateur le plus réfractaire. Jean Rollin tout au long de ces quarante ans de travail artistique a tout simplement réussi là où Jess Franco, poète raté sans âme ni talent, a lamentablement échoué, confondant quantité et qualité, beauté et laideur, érotisme et vulgarité charnelle. On nait maitre ou on ne l'est pas.