Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers mais la situation dans laquelle il vit
Autres titres: Nicht der Homosexuelle ist pervers, sondern die Situation, in der er lebt / It Is not the homosexual who Is perverse but the society in which he lives
Real: Rosa Von Praunheim
Année: 1971
Origine: Allemagne
Genre: Documentaire
Durée: 71mn
Acteurs: Beryt Bohlen, Bernd Feuerheim, Ernst Kuschling, Norbert Losch...
Résumé: Daniel, un jeune homosexuel, nous fait vivre ses émotions et impressions en nous entraînant dans le milieu gay berlinois en ce début d'années 70. On y découvre la vie des homosexuels à une période où on doit taire et cacher son l'homosexualité...
Ecrivain et metteur en scène activiste, Rosa Von Praunheim de son véritable nom Holger Bernhard Bruno Mischwitzky est certainement une des figures les plus importantes du mouvement gay allemand à qui il doit son essor dans les années 70, une époque où être homosexuel ne s'avouait pas. L'homosexuel devait encore vivre caché dans une société qui le considérait comme un être pervers, un paria qui subissait toujours les retombées de l'ère nazie.
C'est avec grand bruit que Rosa Von Praunheim, pseudonyme que Holger choisit en référence au triangle rose attribué aux homosexuels par les nazis, s'érigea en tête du mouvement de libération homosexuelle, auteur de nombreux ouvrages et de courts-métrages avant-gardistes dés les années 60, aux cotés notamment de Werner Schroeter et Fassbinder. C'est en 1971 qu'il trouve enfin le succès et sort de l'ombre avec Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers mais la situation dans laquelle il vit, un moyen métrage tourné en 16mm pour un budget dérisoire de 300 000 deutschmark tant et si bien que le film est muet. Un commentaire en voix off narré de façon très scolastique sera par la suite ajouté en post-production.
Devenu aujourd'hui quasi introuvable et invisible, il n'existe qu'une édition vidéo germanique désormais rarissime, tant et si bien qu'il acquit au fil du temps une réputation de film mythique, le film très controversé provoqua lors de son seul et unique passage sur une chaîne berlinoise un des plus gros scandales que l'Allemagne ait alors connu. Non pas que le film soit en lui même choquant mais tout simplement parce qu'il était le premier à aborder de plein fouet un sujet aussi tabou que l'homosexualité dans un pays où la morale et les bonnes moeurs interdisaient d'en parler. En cela Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers... est un des films les plus importants dans l'histoire du cinéma gay allemand, un film précurseur qui aida beaucoup au développement des droits des homosexuels.
A travers le personnage de Daniel, Von Praunheim extériorise ce qui vit le jeune homme intérieurement tout en nous entraînant dans les lieux où se retrouvent ou sont obligés de se retrouver les homosexuels afin de pouvoir vivre leur sexualité tout en posant les vraies questions, consternant constat de cette marginalité à laquelle ils sont condamnés.
Von Praunheim réalisa le film pour tous les homosexuels auquel il s'adresse tout particulièrement en proposant une vision de leur vie au début des années 70 à Berlin et des problèmes qu'ils doivent affronter. Etonnamment pudique, pas l'ombre d'un fessier encore moins d'un sexe si on excepte le couple qui ouvre gentillement le film dans un décor coloré et fleuri qu'on pourrait attribuer à Pierre et Gilles, Ce n'est pas l'homosexuel qui es pervers... nous ballade de bars gay en lieux de drague nocturnes pour amateurs de cuir noir et aires de bronzage aux limites de la ville où les hommes qui aiment les hommes se retrouvent,
s'admirent, se cherchent et se dévisagent tandis que la caméra lèchent les torses nus et s'attardent sur un entre-jambe quand glissent les braguettes. Mais ce sont les cabarets pour vieux beaux et travestis et surtout les toilettes publiques qu'affectionne le plus le réalisateur puisqu'une bonne partie du film s'y déroule, symbole de cette perversion et reflet des lieux où les hommes sont obligés de se retrancher pour vivre à l'abri de cette société qui les rejette. La caméra filme le ballet de ces hommes qui vont et viennent dans les toilettes, aire de drague sauvage qui voit naître cette étonnante ronde lors de laquelle chacun attend l'autre ou offre son corps ou son sexe le long des murs et des urinoirs. Misérable à l'image de cette vie imposée mais aussi qu'ils s'imposent puisque selon Von Praunheim les homosexuels ont eux aussi choisi de se cacher et c'est la raison pour laquelle ils sont opprimés.
La seule façon pour eux de combattre cette oppression pour enfin vivre leur vie au grand jour c'est de tous se réunir et s'unir. C'est ce que tente de démontrer toute la dernière partie du film où une dizaine d'hommes se retrouvent nus allongés sur des coussins non pas en plein ébat mais en plein débat, sorte de réunion au sommet sous une couverture.
Fortement estampillé années 70, Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers... risque de surprendre le spectateur et quelque peu le décevoir s'il s'attend à visionner une oeuvre forte et choc. Le film de Von Praunheim n'est jamais qu'un documentaire narré en voix off, assez drôle par moment, particulièrement kitch et joué avec maladresse par des acteurs non professionnels. Certains passages sonnent par conséquent assez faux notamment celui où une bande de voyous passent à tabac un pauvre homosexuel efféminé ramassé dans les toilettes.
Quoiqu'il en soit, quelque soit son aspect vieillot, Ce n'est pas l'homosexuel qui est pervers... reste un témoignage sur ce que la communauté a vécu durant de nombreuses années et qu'elle vit encore aujourd'hui car beaucoup de points soulevés n'ont guère changé depuis et sont malheureusement toujours autant d'actualité. Ce documentaire pose les véritables questions sur lesquelles on peut toujours et encore méditer même si certains aspects sont désormais désuets. Ce n'est pas pour rien que le film de Von Praunheim fut à l'origine d'une véritable révolution dans le milieu gay, devenant le fer de lance de toute la communauté dans sa lutte pour ses droits.
Oserons nous souligner que si l'homosexuel n'est bien évidemment pas forcément pervers certains de nos lecteurs le seront peut être en aimant parfois écumer ces lieux d'aisance qui fleurent bon l'essence virile puisque les plaisirs de la chair sont aussi personnels qu'illimités quand illimité rime avec facilité.