Les tueurs fous
Autres titres: Le sexe de la violence / The lonely killers / Quando il pensiero diventa crimine
Real: Boris Szulzinger
Année: 1972
Origine: France / Belgique
Genre: Thriller
Durée: 74mn
Acteurs: Dominique Rollin, Roland Maden, Georges Aminel, Georges Aubert, Marc Audier, Christian Barbier, Marc De Georgi, Patricia Cornelis, Jean Droze, Daniel Dury, Franz Gouvy, Daniel Horowitz, Claude Joseph, Hubert Jeuken, Béatrice Leymoure ...
Résumé: Dominique et Roland sont deux petites frappes désoeuvrées au passé trouble. Ils vivent dans la grisaille d'un Bruxelles hivernal. Dominique partage un petit appartement avec un journaliste homosexuel plus vieux que lui. Le quadragénaire en est fou amoureux, Dominique le considère plus comme une couverture même s'ils couchent parfois ensemble. Roland refoule son homosexualité et s'interdit toutes relations même s'il est très attiré par son colocataire. C'est dans cette ambiance morose qu'un matin Dominique achète un fusil et va entraîner son ami dans une incroyable cavale à travers la ville et les provinces avoisinantes. Ils commencent à tuer à bout portant après les avoir humilié de malheureuses victimes choisies au hasard. Inconscients de leurs actes, ils considèrent leurs victimes comme des trophées devant lesquels ils se photographient. Recherchés par la police, une traque commence alors afin de mettre fin à leur effroyable jeu...
Auteur d'un bien désuet semi documentaire tourné sous forme de cours d'éducation sexuelle, Nathalie après l'amour, et d'un iconoclaste dessin animé érotique, Tarzoon la honte de la jungle, le belge Boris Szulzinger est aussi à l'origine d'un trop méconnu petit polar, Les tueurs fous connu aussi sous le titre Le sexe de la violence.
Tiré d’un fait divers soi-disant réel qui ce serait déroulé en 1971 dans les Yvelines ce thriller sombre nous fait assister à l'incroyable cavale de deux pauvres petites frappes bruxelloises, Dominique et Roland, un gigolo et son jeune ami, dont le jeu favori consiste à tirer sur des inconnus. Sans autres attaches ni désirs que celui d’être ensemble, ils errent à travers la ville et la campagne, fusil en main, abattant de malheureuses victimes choisies au hasard, la violence et la mort étant pour eux un forme de plaisir extrême, un moyen d'oublier un quotidien bien morose.
Si par instant on pense à Orange mécanique la comparaison s'arrête malheureusement bien vite tant le film de Szulzinger particulièrement ambigu est discutable quant aux propos qu'il semble vouloir mettre en avant. A aucun moment le cinéaste n'essaie en effet d'expliquer les raisons des agissements de ses deux loubards qu'on peut assimiler aux futurs serial killers des jungles urbaines dont ils pourraient être les pères. Mal disséqués, le spectateur tentera de les comprendre comme il le veut, le peut, avec le peu d'informations que Szulzinger délivre. Le désoeuvrement, l'ennui, le mal être, la folie, une quête de gloire éphémère et de reconnaissance... chacun y verra ce qu'il veut bien y voir, y prendre. C'est d'autant plus regrettable qu'un peu plus de psychologie, des personnages bien mieux dessinés aurait beaucoup apporté au film qui ainsi aurait gagné en force.
A cela Szulzinger préfère nager en eaux troubles et jouer la carte de la gratuité appuyant l'aspect dérangeant de ces Tueurs fous qu'on pourrait voir comme deux enfants irresponsables qui tuent simplement par jeu, par plaisir de tuer et donner la mort, fiers de ces trophées devant lesquels ils se font photographier, deux inconscients qui semblent trouver dans la mort un plaisir malsain, macabre sans jamais réaliser l'abomination de leurs actes mais prennent bien ironiquement le temps d'enterrer solennellement le chat de l'un deux.
Tout aussi trouble et ambigüe est l'ombre d'homosexualité dans laquelle baigne le film puisque l'image qu'il en donne est assez nébuleuse à l'instar des relations claires/obscures qu'entretiennent les personnages, des sentiments contradictoires qu’ils éprouvent déchirés semble t-il entre attirance et dégout. Si Dominique assume plus ou moins son homosexualité, s'il partage un appartement avec un quadragénaire gay qui en est épris mais qui pour Dominique n'est plus une couverture qu'un copain, Roland la refoule et refuse toute forme de relations homosexuelles jusqu'à cette nuit où, ivre, blotti contre son comparse, il avoue cependant avoir souvent été tenté. Il en arrive même à être jaloux du chat de Dominique qu'il tuera.
Plus que d'être floue l'image que donne Szulzinger de l'homosexualité est surtout pernicieuse, représentative en fait de la mentalité des années 70. Elle est présentée comme une sorte de maladie honteuse, dangereuse que le cinéaste associe implicitement à la folie des meurtriers. Si cette vision est typique voire récurrente d'un certain cinéma, par extension de la société d'alors, plus dérangeant est ici le fait que Szulzinger affirme sans nuance aucune, se fait démonstratif et pédant. L'homosexualité est décrite comme une tare que de surcroît on cache. Comme pour la conduite de ses protagonistes tracés au crayon gras Szulzinger veut montrer, démontrer mais ne prouve rien et finit par s'égarer puis s'écraser.
Quant à la description du milieu gay elle est tout aussi misérable, représenté par un cabaret de transformistes rempli de vieux vicieux en quête de chair fraîche et de travestis aussi pitoyables que grossiers. Si l'homosexuel est un dangereux tueur potentiel il est aussi un être déviant mal dans sa peau qui doit se travestir pour exister. En ce sens le titre alternatif plutôt contestable du film est assez explicite. On connaît désormais le sexe de la violence!
Malgré la grossièreté de son propos souvent discutable, Les tueurs fous brille néanmoins par certaines qualités ne serait ce que pour le cadre dans lequel Szulzinger filme ses deux paumés amoraux, celui d'un Bruxelles souvent nocturne, ses banlieues et provinces environnantes plongées dans un décor hivernal et pluvieux, gris, sombre, triste, déprimant à l'image du film lui même et de la tristesse de la vie de ses deux personnages qui promènent le spectateur de bars crasses en quartiers glauques, le long de routes de campagne froide et embrumée mise en valeur par une photographie tout aussi hivernale. Les tueurs fous se rapproche ainsi des films de banlieues américaines, de leur description d'une jungle urbaine propice à la violence et au désoeuvrement. Accompagné d'une intéressante partition musicale psychédélique le film bénéficie en outre d'une mise en scène plutôt efficace et d'une interprétation dans l'ensemble convaincante de la part des deux principaux comédiens. Dominique Rollin et Roland Maden, tout à fait crédibles même s'il leur manque ce grain de démence suggérée par le titre.
Plus curieuse est la présence au générique de Christian Barbier dans la peau d'un pauvre motocycliste humilié puis froidement abattu d'une balle dans la nuque par nos tueurs après un long calvaire.
Les tueurs fous est un thriller sombre et dérangeant plus brutal dans son propos, sa radicalité et la froideur dont fait preuve Szulzinger que dans ses images. Déçus pourraient donc être ceux qui en espéraient une déferlante de violence graphique. De par son ambiguïté et sa gratuité il exerce une certaine fascination / répulsion sur un spectateur amateur d'exploitation et d'atmosphère glauque qui n'a que faire de trop d'explications. Qualifié d'insoutenable lors de sa sortie, Les tueurs fous fit jadis coulé beaucoup d'encre, visé par une censure ébranlée par un naturel si glacial. Aujourd'hui s'il fait encore débat quant à la position à adopter face aux agissements de ses deux paumés le film paraitra bien inoffensif même s'il n'a pas vraiment perdu de sa force visuelle et du malaise qu'il peut engendrer.
Quoiqu'il en soit voila un très bel exemple de cinéma d'exploitation belge à (re)découvrir d'urgence.
Après un ultime sursaut cinématographique en 1980 avec Mama Dracula Szulzinger continuera un temps sa carrière en tant que producteur avant de totalement disparaitre comme évaporé de la surface de la planète.