El pantano de los cuervos
Autres titres: The swamp of the ravens / Der sumpf der raben / Il pantano dei corpi
Real: Manuel Cano
Année: 1974
Origine: Espagne / Equateur
Genre: Horreur
Durée: 86mn
Acteurs: Gaspar Bacigallipi, Marcia Bichette, César Carmigniani, Melba Centeno, Bill Harrison, Mónica Jurado, Antonia Mas, Marcos Molina, Marcos Navas 'Cartucho', Ramiro Oliveros, Fernando Sancho, Domingo Valdivieso, Fabiola Vallejo...
Résumé: Rayé de l'ordre des médecins pour ses expériences jugées contre natures sur la résurrection des morts le Dr Frosta s'exile en Equateur, se réfugie au coeur des marais pour y poursuivre ses recherches. Il se fournit en cadavres sur lesquels il travaille mais ses expériences se soldent toujours par un échec. Il se débarrasse des corps en les jetant dans les marais mais les corbeaux, friands de cadavres, emportent souvent avec eux des morceaux de membres que la police retrouve dans les rues de la ville. Un inspecteur mène l'enquête pendant que Frosta de plus en plus obsédé par ses expériences démentes sombre petit à petit dans la folie meurtrière...
Essentiellement connu chez nous pour le médiocrissime La vengeance du zombi / Vudu sangriento l'hispanique Manuel Cano restera aussi l'un des principaux responsables de la disparition prématurée de Kitty Swan, l'ex-icône de la jungle, brulée vive en 1971 sur le tournage de Tarzan y el arco iris. Ce n'est que trois ans après le terrible drame, narré dans tous ses détails dans nos pages, que Cano refit surface avec cet étrange film, très certainement son chef d'oeuvre, un récit morbide comme le cinéma d'exploitation ibérique a su nous en donné de temps à autre.
Rayé de l'ordre des médecins à cause de ses théories sur le retour à la vie de personnes défuntes le Dr Frosta s'exile quelque part en Equateur où il mène une double vie. Il travaille dans un laboratoire aux cotés du Dr Moore mais poursuit clandestinement ses folles expériences sur la résurrection au fond d'une lugubre cabane en bois perdue au milieu des marécages qu'envahissent des hordes de corbeaux. Il pratique ses recherches sur des cadavres qu'il dérobe mais va d'échec en échec. Il se débarrasse au fur et à mesure des corps en les jetant dans les marais. Les corbeaux s'en nourrissent mais ont la fâcheuse manie d'éparpiller des morceaux de corps un peu partout en ville au grand désespoir de
l'inspecteur chargé de découvrir d'où proviennent ces restes humains. Frosta se voit parfois obligé de tuer comme un malheureux pestiféré ou une prostituée. Sa vie tourne au cauchemar lorsque Simone sa petite amie, fatiguée de ses secrets et de son étrange comportement, décide de le quitter pour retourner vivre auprès de son ex, un petit chanteur de variété local. Fou de rage il la kidnappe et l'utilise à son tour comme cobaye afin qu'elle reste à jamais à ses cotés. Les corps s'amoncellent dans les marais. Les cadavres reviennent à la vie sous l'effet des eaux putrides ensorcelées et attendent patiemment que des malheureux s'en approchent pour les entrainer sous l'eau. Lorsqu'il sent l'étau se refermer
inexorablement sur lui Frosta amadoue le Dr Moore pour qu'elle travaille pour lui et lui fournisse son aide. Elle feint d'accepter mais elle a pris soin d'avertir la police qui prend d'assaut la cabane. Lors d'un violent corps à corps elle s'embrase. Tout le monde pense que Frosta est mort brulé vif mais le scientifique a pu s'échapper et enseigne désormais ses théories dans une université...
Le moins qu'on puisse dire c'est que Cano brasse une quantité de thèmes qu'il assemble plus ou moins maladroitement si bien que El pantano de los cuervos finit par ressembler à une véritable bouillabaisse. Peu importe les ingrédients de la recette du moment qu'on se
régale et c'est bel et bien le cas ici. Le film est une variation de Frankenstein auquel on pense inévitablement. Frosta allonge la longue liste de ses descendants, des docteurs fous qui tentent de découvrir le secret de l'immortalité, de la résurrection en travaillant sur des cadavres. Sur cette base Cano y ajoute une multitude d'éléments disparates tel ce zeste de nécrophilie (Frosta fait l'amour au corps sans vie de sa fiancée), nous délecte de personnages inattendus (l'ex-petit ami de Simone, un chanteur à la mode qui chante ses mélodies à un mannequin en plastique, l'assistant zombifié de Frosta qu'il maltraite dés qu'il le peut...), oriente son film par instant vers le mondo pur et dur (l'autopsie authentique d'un
vieil homme vidé de ses organes puis dépecé, une scène non truquée bel et bien réelle, aujourd'hui totalement impensable, qui fera bondir de plaisir tous les amoureux de cinéma-réalité aussi amoral que nauséeux. A ce joli menu se greffent également quelques jolis plans gore, quelques moments de pure folie (Frosta perd peu à peu la raison, devient de plus en violent, cruel, au fur et à mesure que ses expériences échouent, le bon docteur se transforme en véritable Mr Hyde capable des pires atrocités) et surtout une bonne dose d'onirisme macabre, sordide qui donne au film tout son charme morbide.
C'est en effet bien le fameux marais aux corbeaux du titre dont on se rappellera, de sombres
et brumeux marécages fangeux d'où émerge un gigantesque arbre décharné où se perchent des hordes de corbeaux prêts à foncer sur les cadavres qu'y jette Frosta pour les dévorer. Plus fascinant encore l'apparition des morts qui surgissent des eaux noires, des spectres immobiles, comme figés dans la boue, dont seul le visage livide surgit des profondeurs et fixe ceux qui s'en approchent, une main décharnée, putride, entrainant les plus imprudents sous l'eau pour d'immondes festins. On glisse alors de façon inattendue vers le film de morts-vivants, de zombis. Cano nous offre un véritable décor de conte macabre tout empreint de poésie auquel se rajoute le glauque, l'antre de Frosta, une cabane en bois perdue au
coeur de ces marais qu'on devine pestilentiels garnies de cages à oiseaux et à animaux et surtout d'une multitude de bocaux renfermant des foetus malformés, des erreurs de la nature tous plus hideux les uns que les autres. C'est au milieu de ce décor nauséeux dont on sentirait presque l'odeur de pourriture et de sang mêlés qu'il pratique ses expériences à coups de bistouri. Comme si cela ne suffisait Cano en rajoute encore une couche. Fait singulier l'action se déroule en Equateur, pas l'Equateur sous son jour le plus solaire bien au contraire. Loin des cartes postales touristiques il nous offre l'envers du décor justement, celui d'un pays crépusculaire aux rues plongées dans le brouillard, ravagé par la lèpre, la
mendicité et la prostitution, celui des ghettos où les enfants jouent au foot aux abords de terrains vagues. Et pour Frosta lépreux et mendiants sont une merveilleuse source d'approvisionnement en cobayes humains.
Aussi sordide que soit le film il n'en n'oublie pas moins l'humour, un humeur noir, au vitriol, en parfaite adéquation avec ce que propose le récit et vient ainsi l'égayer, briser un peu l'horreur du propos qui se transforme ainsi de temps à autre en farce grand-guignolesque. Ainsi un des assistants de l'inspecteur jette une main putrescente sur sa table alors qu'il déjeune tranquillement au restaurant, un morceau de membre qu'il piquera même de sa
fourchette. L'inspecteur est d'ailleurs la principale source d'humour du film tant dans ses réflexions que dans sa malchance notamment en drague, une occasion pour Cano d'introduire une bonne dose de misogynie toujours bienvenue. Les femmes sont soit toutes des "connes" ou toutes des putains. Voilà qui est clair! On ne le contredira pas.
El pantano de los cuervos est une oeuvre insolite, singulière, malsaine, totalement hétéroclite dans les thèmes qu'elle brasse avec audace. On pense par moment au Bossu de la morgue qui par certains aspects se rapproche de ce film. Mais par delà son coté excessif, sordide, macabre, hypnotique le film de Cano n'est pas non plus parfait surtout si on veut être
tatillon et chercher la petite bête. Outre l'improbabilité de l'intrigue, trop incohérente, trop farfelue par moment ou obscure (on ne saura jamais pourquoi les morts ressuscitent dans ces marais, effet Simetierre?)i on pourra lui reprocher de n'avoir pas vraiment su instaurer un véritable climat de terreur sourde. Il lui manque ce petit quelque chose qui fait toute la différence. Cano avait les moyens de créer une atmosphère encore plus suffocante, plus envoutante, fascinante. Peut être aurait-il pu jouer un peu moins sur la folie et les excès et travailler un peu plus l'atmosphère elle même, faire du film un subtil mélange d'épouvante pure et d'horreur assaisonné de bonnes pointes gore. Mais ne jouons pas les rabats-joie et
apprécions El pantano de los cuervos pour ce qu'il est, un étonnant film d'horreur glauque, osé, téméraire, délirant, un exemple de plus de ce cinéma d'exploitation hispanique méconnu dont il en constitue une des perles, une étonnante surprise conduite par une partition musicale totalement décalée, du thème à la flute de pan proche de La colegiala au thème chanté, une entrainante mélodie sur fond de rock psychédélique (My own robot).
Déjà repéré dans notamment La cruz del diablo, Mas alla del deseo, Desnuda inquietud, Le miroir obscène, La fille au pyjama jaune ou encore Pulsions cannibales l'interprétation est
dominée par Ramiro Olivero, un croisé entre Gabriele Tinti et Claudio Cassinelli, excellent dans le rôle du docteur fou. A ses cotés on sera heureux de retrouver le vétéran Fernando Sancho en inspecteur malchanceux entouré d'un essaim d'acteurs pour la plupart anonymes mais parfaitement crédibles.