Las crueles
Autres titres: El cadaver exquisito / The exquisite corpse / The cruel ones
Real: Vicente Aranda
Année: 1969
Origine: Espagne
Genre: Thriller / Drame
Durée: 95mn
Acteurs: Judy Matheson, Capucine, Teresa Gimpera, Carlos Estrada, Luis Induni, Eduardo Domenech, André Argaud, José Maria Blanco, Miquel Bordoy, Manuel Bronchud, Luis Ciges, Miguel Muniesa, Francisco Mujarque, Victor Israel...
Résumé: Une jeune femme, Esther, se suicide en se jetant sous un train. Deux ans plus tard, un journaliste reçoit à son bureau un paquet contenant une main humaine qu'il s'empresse d'enterrer. Un second colis arrive à son domicile renfermant cette fois une robe et la photographie de la suicidée. Il doit alors avouer à son épouse qu'il l'a jadis trompé avec elle. Une mystérieuse femme débarque alors dans leur vie. Elle invite le journaliste chez elle puis disparait. Il y découvre le cadavre d'une jeune fille dans un réfrigérateur. L'étrange femme se rapproche de l'épouse du journaliste. Elle lui avoue qu'elle était l'amante d'Esther dont elle était follement amoureuse. L'épouse confesse de son coté qu'elle était au courant de la liaison de son mari. Elle l'avait fait suivre par un détective qui est parvenu in extremis à sauver Esther du suicide. La jeune fille s'est par la suite entichée d'un docteur qui abusa de sa confiance mais elle ne s'est jamais remise de sa rupture d'avec le journaliste. Son amante a mis sur pied cette machination pour se venger du journaliste mais au jeu de l'amour qui sont les victimes et qui sont les coupables...
Injustement délaissée voire oubliée, la filmographie de l'espagnol Vicente Aranda est aujourd'hui assez difficile à visionner tant ses oeuvres semblent s'être perdues au cours du temps. Si La mariée sanglante reste peut être son film le plus connu et le plus facilement accessible en France grâce notamment à une vieille édition vidéo et une prochaine sortie DVD sur notre territoire, sa carrière est jalonnée de petites perles qui prouvent tout le talent de ce réalisateur que tout amateur d'exploitation ibérique se doit de découvrir. Las crueles en fait irrémédiablement partie.
Deux ans après que sa maitresse, Esther, se soit suicidée un journaliste reçoit un étrange colis qui contient une main tranchée. D'autres colis vont suivre dont un contenant une robe et la photo de Esther. Il doit alors avouer sa liaison à son épouse. C'est alors qu'apparait Lucia, une énigmatique femme qui l'entraine chez elle. Il y découvre un cadavre dans un réfrigérateur vers lequel une mystérieuse voix enregistrée, celle d'Esther, l'a guidé. Petit à petit les pièces du puzzle se mettent en place. Si l'épouse confesse qu'elle était au courant de l'adultère de son mari grâce à un détective qu'elle avait embauché, Lucia, quant à elle, se révèle être l'amante de Esther dont elle était follement amoureuse. Inconsolable de sa mort dont elle tient le journaliste responsable, elle a mis au point une redoutable vengeance mais Esther qui ne s'était jamais remise de sa rupture d'avec le journaliste avait également un autre amant, un docteur parisien qui s'est servi d'elle à de basses fins professionnelles.
L'une des principales originalités de Las crueles est de commencer comme un giallo à l'italienne qui se serait vaguement inspiré de Sueurs froides mais réalisé de façon beaucoup plus sombre en tentant de progressivement instaurer une atmosphère morbide. L'ouverture est en tout point superbe. Une jeune femme hagarde pose lentement sa tête sur une voie ferrée alors qu'un train approche. L'imagination du spectateur visualisera ce que Aranda ne nous montrera pas. Une ellipse de deux ans le temps du générique et voilà qu'arrive au bureau du journaliste un colis qui contient une main humaine puis un autre l'attend sur un banc malheureusement emporté par un badaud mais comme par miracle il le retrouve à son domicile. C'est une robe déchirée et une photographie d'une femme qu'il contient cette fois.
Voilà les bases de ce qui semblerait être un thriller macabre dont le complot serait l'essence même. Cependant plus on avance dans l'intrigue plus les pistes se brouillent. Ce qui paraissait évident ne l'est plus, le mystère s'épaissit, le jeu se complique et devient de plus en plus intéressant si ce n'est angoissant. Arrivé à un certain point, on ne distingue plus la victime du bourreau, on peine à savoir qui tire les ficelles tant Aranda réussit à troubler son jeu et rendre ses divers protagonistes plus énigmatiques les uns que les autres au fil de l'histoire jusqu'au dénouement où les cartes s'abattront révélant en fait un terrible drame sentimental. Au bout du compte, tous ne sont que de malheureuses victimes, chacun à sa manière, tous sont coupables à leur façon et c'est un sentiment de profonde amertume qui envahira le spectateur tandis que défile le générique.
Du giallo morbide Aranda vire doucement au drame passionnel et transforme son thriller en une poignante et tragique histoire d'amour aussi bien lesbienne que hétérosexuelle, une histoire aussi intense que fragile mais que chacun a vécu à son propre niveau. Las crueles est une réflexion sur les rapports parfois difficiles de couple, sur la souffrance qui accompagne toutes formes de relations amoureuses mise en scène avec sensibilité et intelligence. Et c'est vers une conclusion inattendue mais somme toute logique que ce drame nous conduira ou l'habituel triomphe du lesbianisme dans un certain cinéma de genre. Il ne faut donc pas attendre du film des effusions de sang ou toute une série de
meurtres féroces encore moins un contenu sexuel explicite, à peine suggéré cette fois. Aranda se concentre essentiellement sur la mise en place d'une atmosphère de plus en plus dense, sur les relations qu'entretiennent les différents protagonistes afin de piquer au vif la curiosité du spectateur et ainsi le tenir en haleine. On est dans un sens assez proche du thriller psychologique dont l'Italie se fit la spécialiste. Aranda parsème le métrage de quelques scènes morbides (l'arrivée des membres humains dans les colis que reçoit le journaliste) mais également étranges presque fantastiques (la découverte du cadavre dans le réfrigérateur au son d'une voix sépulcrale qui s'avère être un enregistrement) voire horrifiques (la tête dans l'ultime paquet que recevra l'homme après la résolution de l'énigme) contrebalancées par un zeste d'humour qu'on appréciera ou non notamment à travers la présence des enfants du journaliste.
L'affiche quant à elle est intéressante. On y retrouve en effet un joli trio d'élégantes actrices Capucine en amante vengeresse, froide, monotone, résolue, Teresa Gimpera en épouse trompée et Judy Matheson en maîtresse brisée. Carlos Estrada interprète de son coté le malheureux journaliste. On remarquera également mais trop furtivement malheureusement le jeune et fort séduisant Eduardo Domenech qui se glisse dans la peau du chauffeur de Capucine pour sa seule et unique prestation au cinéma. Coincé entre le déjà très intéressant Fata Morgana et le fort réputé La mariée sanglante, Las crueles mérite toute l'attention de l'amateur de cinéma ibérique, petite perle psychologique non exempte de défauts certes mais particulièrement intense émotivement parlant qui démontre tout le talent d'un cinéaste trop méconnu aujourd'hui oublié.
Originellement tourné sous le titre El cadaver exquisito, Aranda dut bien malgré bien lui rebaptiser le film Las crueles car les producteurs trouvaient ce titre trop explicite. Par un heureux fruit du hasard et pour la plus grande joie de son réalisateur surtout, son titre original fut conservé pour sa sortie vidéo et ses passages télévisés sur les chaines espagnoles.