Maniaco Deprebis

Avant toute analyse il est bon de rappeler comment l'idée de Troll 2 est née. Joe D'Amato, créateur de la société de production Filmirage, venait de récupérer dans les studios De Laurentiis de vieux masques et du matériel ayant appartenu autrefois à Charles Band. Afin de les recycler la Filmirage accepta de produire Troll 2 que Fragasso devait tourner. Alors en froid avec le producteur américain Eduard Sarlui depuis les problèmes qu'il avait rencontré sur Monster dog Fragasso se dissimula sous le pseudonyme de Drake Lloyd afin que Sarlui ne sache pas qu'il faisait Troll 2 pour la société de D'Amato. Alors à court d'argent il ne put

mener à bien toutes les idées couchées sur le papier par sa femme Rossella Drudi, scénariste du film. L'idée de tourner dans l'état de l'Utah en plein été 1989 poussa cependant Fragasso à faire ce film malgré l'absence de budget et un casting essentiellement recruté sur place par petites annonces. Ainsi naquit ce film qui allait être élu Best worst film ever made, une réputation mondiale qui le suit encore aujourd'hui mais qui en a cependant fait une oeuvre culte aux yeux de beaucoup.
Papy Seth, le grand-père du petit Joshua Waits lui lit une histoire où il était question de Goblins cannibales qui transforment les humains en plantes avant de les manger. Il s'avère

que Grand-père Seth est mort depuis déjà quelques mois mais il apparait régulièrement à Joshua. Ses parents refusent de le croire. Ils partent en vacances dans un village perdu au coeur de l'Utah, Nibolg. Le grand-père ordonne à son petit-fils de tout faire pour qu'ils repartent car ils courent un grand danger. Eliott, le petit ami de Holly la soeur de Joshua, les suit en camping car accompagné de trois copains. Arrivés à Nibolg des choses étranges se produisent dans la maison que les Waits ont loué à un couple d'autochtones. Le grand-père lors d'une de ses apparitions ordonne à Joshua de trouver un moyen pour que personne ne mange quoique ce soit. L'enfant fait ce qu'il peut mais les Goblins sont plus malins. En fait

tous les habitants de Nilbog sont des Goblins qui ont pris l'apparence d'humains. L'étau se referme sur les Waits alors que les amis d'Eliott ont déjà été transformés en plantes par l'horrible sorcière druide Credence Leonore Gielgud. Lorsque les parents de Joshua réalisent que leur fils avait raison il est trop tard. Les Goblins les retiennent prisonniers dans la maison. Seul depuis que son papy a été vaincu par les monstres Joshua va devoir jouer d'ingéniosité pour sauver sa famille des griffes des monstres hideux. Projeté dans l'au delà il y retrouve son grand-père qui lui donne l'arme absolue pour détruire les Goblins. Les horribles monstres et leur reine détruits, la famille Waits peut rentrer chez elle mais une horrible surprise attend Joshua.

Même si Troll 2 fut vendu comme une séquelle du film de John Buechler sorti trois ans plus tôt, le film de Fragasso n'a aucun lien avec celui ci. Il n'y a aucun troll mais des Goblins anthropophages végétaliens qui avant de se repaitre des humains les transforment en plantes vertes. L'idée est très intéressante mais comme l'avoue Fragasso lui même l'inexistence de budget l'a empêché de développer bien plus l'intrigue. Troll 2 se présente donc comme une fable, un contre cruel de ceux qu'on raconte aux enfants le soir au coin du feu mais qui mange surtout à tous les râteliers. L'ouverture renvoie à Princess bride. On pense ensuite obligatoirement à Ghoulies dont il semble être un hommage. Impossible de

ne pas songer à une ghost story mais également à Children of the corn comme il est aussi facile de rapprocher Troll 2 des redneck movies, les rednecks étant ici les humains/Goblins. Quant au final c'est carrément le repas cannibale de L'enfer des zombis. De ce micmac surgit un film irracontable, un incroyable délire sans queue ni tête où il y a de quoi boire et manger. Aussi mauvais et fauché soit-il Troll 2 ne mérite pourtant pas tous les adjectifs qu'on lui a attribué ni tous ces titres stupides de "film le plus raté de l'histoire du cinéma" et autre "pire film du cinéma italien". Soyons honnêtes. Troll 2 est une petite pellicule débile qu'il faut prendre comme une énorme farce grotesque, une plaisanterie celluloïd tellement amusante,

si divertissante de par sa folie, son absurdité et si jouissive de par les idées qu'elle tente de développer ça et là et de quelques scènes franchement agréables, avant tout ces hommes-plantes crées par les Goblins qui nous en offrent deux spécimens spécialement extraordinaires: le cauchemar de l'enfant dans lequel il voit des branches et des feuilles sortir de son corps tandis qu'un horrible liquide visqueux vert dégouline de son front et surtout le pauvre Arnold planté dans un vase, transformé en liseron d'eau, ses jambes devenues tronc, son visage recouvert d'écorce et de feuilles. Un véritable plaisir. Et cette idée d'hommes-plantes et de Goblins écolos qui ne se nourrissent que de chlorophylle et refusent toute forme de denrée animale (le discours de la reine sur les méfaits des graisses saturées, des

aliments hyper protéinés et d'origine animale est en avance sur son temps) annonce tout simplement l'ère écologiste qu'on connait aujourd'hui, toute la vague bio et végétalienne. Des Goblins verts, des Goblins écolos! Rien que pour ce discours que Fragasso reconnait Troll 2 mérite une vision ainsi que pour ce final auquel personne n'aurait songé un instant si ce n'est au Club Dorothée grande époque. Le gamin détruit tout de même les Goblins avec un sandwich jambon salami! Voilà une scène qui pourrait à elle seule résumer le film mais il y en a d'autres comme celle où un des amis d'Eliott est étouffé sous un magma de pop-corn alors qu'il fait l'amour à la sorcière des bois.

Les dialogues sont d'une stupidité incroyable à l'image des situations, l'interprétation frise l'amateurisme lorsqu'elle n'est pas surjouée. Les pseudo-comédiens le reconnaissent eux mêmes aujourd'hui et en rient beaucoup. Bien ironiquement c'est l'enfant qui tire le mieux l'épingle de son jeu. Le petit Michael Paul Stephenson, aujourd'hui producteur/réalisateur, n'était pas un inconnu puisqu'il était déjà apparu au générique de La casa 5 de Fragasso aux cotés de David Brandon. Et les Goblins alors? Dés leur première apparition au début du film ils en donnent le ton: une troupe de simples figurants vêtus d'une sorte de pyjama marron, la tête recouverte d'un masque de carnaval droit sorti d'une kermesse de fin d'année scolaire, une fourche en plastique à la main.

Alors Troll 2, resté inédit en salles en Italie, est-il l'atrocité qu'on lit bien trop souvent un peu partout? Mérite t-il cette réputation? Oui c'est un film raté fait sans aucun budget mais c'est avant tout une gentille plaisanterie qui jamais ne se prend au sérieux, une folie qui par son excès d'absurdité devient attachante. Ne soyons ni hypocrites ni bégueules. On a connu bien pire, bien pire et surtout moins drôle. Car au moins ici on rit de bon coeur et on se demande jusqu'où va aller le bon Fragasso, ce qu'il nous réserve encore. Et la noirceur des ultimes images n'en sont que plus délicieuses. Il fallait oser clore cette mascarade délirante sur le plan de la mère réduite en une immonde bouillie chlorophyleuse fluo dévorée vivante par les Goblins sous les yeux de l'enfant. On est loin des happy end habituels des contes pour gosses! Ce n'est pas pour rien qu'aujourd'hui, 30 ans après sa réalisation, tout un culte s'est formé autour du film. Conventions, réunions, projections sont organisées par les fans qui en transe reprennent dialogues et scènes les plus folle, des cérémonies auxquelles participent avec plaisir les acteurs aujourd'hui pour la plupart reconvertis (George Hardy est dentiste, Jason Wright (le séduisant Eliott) est écrivain et prêcheur, Jason Steadman est musicien, Darren Ewing s'est spécialisé dans l'écriture et l'improvisation, Margo Prey est retournée à ses occupations familiales...) et certains n'hésitent pas à comparer cette fureur à celle des séances du Rocky horror picture show. Mix de tout ce qu'il y a de plus mauvais dans l'élaboration d'un film, au sens ludique du terme bien sûr, Troll 2 est un vrai plaisir coupable, un must qu'on ne peut qu'adorer lorsqu'on aime le cinéma Bis dans toute sa folie "amateuriale". Troll 2 ou le premier film anthropophage végétalien écolo. Si d'habitude les verts nous font pleurer de colère et de tristesse tant ils nous emmerdent enfin ils nous font rire. Merci Monsieur Fragasso.