Ritratto di borghesia in nero
Autres titres: Moeurs cachées de la bourgeoisie
Real: Tonino Cervi
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 100mn
Acteurs: Ornella Muti, Senta Berger, Capucine, Paolo Bonacelli, Maria Monti, Eros Pagni, Giancarlo Sbragia, Stefano Patrizi, Christian Borromeo, Mattia Sbragia, Giuliana Calandra, Antonia Cancellieri, Suxanne Crese Bates, Raffaele Di Mario, Giancarlo Marinangeli...
Résumé: Dans la Venise d'avant-guerre un jeune musicien, Mattia, s'éprend de Carla, la mère de son ami Renato. Professeur de piano, Carla tombe sous le charme du garçon dont elle fait son amant. La relation quasi incestueuse qu'elle entretient avec Renato va lentement briser leur histoire. Mattia fait la connaissance d'Elena, une des élèves de Carla, la fille de hauts notables de la ville. Il en tombe amoureux. Il décide de l'épouser et de faire ainsi son entrée dans la haute bourgeoisie. Incapable de renoncer à son amour passionnel, Carla va tout mettre en oeuvre pour retenir Mattia qui la repousse violemment. Rongée par la douleur, elle va se servir d'Elena pour parvenir à ses fins. Elle séduit la jeune fille afin de la faire chanter. C'était sans compter la perversité d'Elena dont la haine aboutira sur une tragédie dont elle sortira pourtant triomphante...
De Tonino Cervi, le fils du célèbre Gino Cervi, on connait surtout 5 gâchettes d'or, un sympathique petit western écrit par Dario Argento, et Les sorcières du lac, un étonnant film fantastique qui bien souvent flirte avec le conte de fée psychédélique. Après un déroutant La nottata, une sorte de voyage au coeur du Milan nocturne des années 70 durant lequel les deux héroïnes vivront une série d'aventures tour à tour drôles, dramatiques, étranges mais surtout érotiques, Cervi nous plonge dans les hauts milieux de la bourgeoisie vénitienne de l'avant-guerre, libérale et insouciante sous l'ombre bienveillante de Mussolini. C'est dans
cette ambiance guindée qu'un jeune musicien, Mattia, fait la connaissance de Carla Richter la mère de son nouvel ami Renato. Si le jeune garçon va vite tomber amoureux de cette splendide femme leur relation va cependant briser à jamais le destin de trois personnes et avoir de graves répercussions sur les deux familles concernées. Carla, professeur de piano, vit seule avec Renato qui voue à sa mère une admiration sans limite. Leur relation presque incestueuse met Mattia d'autant plus mal à l'aise que Renato semble sournoisement le pousser dans les bras de sa mère. Après avoir longuement hésité, Mattia cède une nuit à la tentation et fait l'amour à Carla. Dés lors, elle ne vivra plus que pour ce jeune homme fougueux dont elle a fait son amant secret. Tout va basculer le soir où Mattia surprendra
Renato en pleurs effrayé à l'idée de devoir partager son amour coupable, exclusif, avec Mattia. Déchirée entre son fils et son amant, Carla n'aura pourtant pas besoin de choisir. Mattia met un terme à leur relation et tombe amoureux de la jeune Elena, la fille d'une famille de hauts notables à qui Carla donne régulièrement des leçons de piano. Incapable de surmonter sa rupture encore moins d'être rejetée par son amant, Carla va faire tout son possible mais aussi l'impossible pour s'accrocher à son amant en vain. Folle de rage, rongée par le désir, elle ne supportera pas l'annonce du mariage prochain des deux
tourtereaux. Afin de briser leur amour, elle écrit une lettre aux parents d'Elena dans laquelle elle révèle que Mattia fut son amant. Immédiatement renvoyée, Carla profite de la pitié d'Elena pour la séduire et coucher avec elle. Au petit matin, Elena comprend le piège dans lequel elle est tombée lorsque Carla lui avoue que si elle renonce pas à son mariage elle mettra au courant ses parents de leur nuit d'amour afin de ruiner la réputation de sa famille. Dans un accès de colère, la jeune fille tue sa maitresse d'une nuit. Soupçonné par la police Mattia est sur le point d'être arrêté lorsque Elena lui fournit un alibi. Ils ont passé la nuit ensemble. Son mensonge lui fournit non seulement un superbe avenir mais sauve sa
famille du scandale. Ils peuvent se marier le coeur léger d'autant plus que le père d'Elena s'est assuré que l'inspecteur classe l'affaire en lui offrant une coquette somme d'argent ainsi qu'une invitation aux noces. Tout est bien qui finit bien dans l'univers corrompu de la haute bourgeoisie.
Adaptation d'une nouvelle de Roger Peyrefitte intitulée "La professeur de piano", Moeurs cachées de la bourgeoisie outre une évocation du fascisme est une nouvelle tentative d'illustrer la décadence et la perversion de la bourgeoisie italienne rongée par le vice et la corruption à travers une relation amoureuse démesurée. Si Cervi relègue à l'arrière plan
l'aspect historique, une simple apparition de Mussolini, quelques nouvelles de la montée du fascisme à travers les journaux et quelques chants populaires posent le contexte et imagent la Belle époque, il s'intéresse surtout à la relation et la destinée de ces trois principaux protagonistes, l'Italie d'avant-guerre n'étant plus qu'un simple toile de fond. Tout comme dans la nouvelle originale le film de Cervi est plus une histoire d'amour passionnel, un portrait de l'amour véritable, un amour fou, irraisonné et tourmenté, qu'une peinture de cette fameuse bourgeoisie en noir qu'annonce un titre quelque peu erroné. Seul le noir dont sont teintés les principaux personnages est mis en avant de par leur morbidité, leur folie respective, leur âme
pervertie, comme contaminée par l'ennui d'une vie trop statique à laquelle ils tentent désespérément d'échapper.
C'est dans ce climat claustrophobe que Cervi situe son triangle amoureux, met en place les acteurs de cette histoire tragique déchirés entre décadence et opportunisme financier. Avec beaucoup d'élégance il met en scène cette relation amoureuse exacerbée entre un jeune garçon et une femme plus âgée qui entretient avec son fils un lien très fort à la limite de l'inceste. Ainsi nait une première relation triangulaire assez vite brisée par la jalousie du fils qui souffre d'un profond complexe oedipien qui dissimulerait une part d'homosexualité
latente. C'est le point de départ d'une lente descente aux enfers pour cette femme prête à tout pour retenir son amant. Cervi évite avec tact les écueils d'un tel scénario, ne tombe jamais dans la lourdeur, la vulgarité, encore moins dans l'obscénité. Il parvient à rendre émouvante, touchante, la souffrance respective de ses personnages grâce à une mise en scène efficace, subtile, aidé d'une part par une superbe et poignante partition musicale signée Fabio Frizzi et Mario Bixio, d'autre part par une magnifique photographie qui met en valeur les somptueux décors intérieurs feutrés ainsi que cette Venise de la fin années 30, crépusculaire, morbide, mélancolique, à l'image même des personnages.
L'érotisme parfois torride mais toujours extrêmement raffiné teinté d'un zeste d'homo-érotisme y trouve toute sa justification notamment dans la première partie lors des ébats amoureux des deux amants qui englobe la scène où ils font l'amour dans une ruelle sans se soucier du regard des passants qui pourraient les surprendre. Tout aussi présent dans la seconde moitié avec notamment la très belle séquence de la défloration d'Elena il trouvera son aboutissement dans la relation saphique entre Carla et Elena, peut être un brin gratuite, mais qui prouve à quel point la bourgeoisie peut être pervertie, noyée dans l'opportunisme et le vice.
Le deuxième triangle amoureux sera quant à lui la cause de la perte de Carla, inconsolable, qui peu à peu sombre dans une folie suicidaire qui la poussera à se transformer en un monstre, prête à tout pour récupérer son amant ce qui implique affronter un autre monstre, la jeune et en apparence si innocente Elena qui pour protéger sa famille et garder son fiancé sera elle aussi sans pitié. Si Carla optait pour le chantage aussi ignoble soit il, Elena devient une meurtrière, un geste fatal d'autant plus abominable que le pouvoir et l'argent lui assureront un confortable avenir lors d'un final d'une noirceur presque jouissive.
Avec talent Cervi décrit ses héros parfois complexes qu'il rend trouble et intrigant (le doute
quant à l'homosexualité de Renato), vénéneux (Elena entre douceur et perversion), pathétique (la folie de Carla), intéressé et arriviste (Mattia). Les seconds rôles le sont tout autant (l'étrange jalousie d'Edoardo pour la relation qu'entretient sa soeur avec Mattia, l'obsession d'Amalia pour la guerre) mais tous ont néanmoins un point commun, leur perversité. Cervi fait de Moeurs cachées de la bourgeoisie une tragédie fascinante, rigoureuse, visqueuse, visuellement superbe, sur laquelle plane par moment l'ombre d'un Visconti, à moindre mesure, Tinto Brass. Le film bénéficie en outre d'une excellente interprétation d'une jolie brochette d'acteurs de haut niveau. Senta Berger plus belle que jamais est une Carla passionnée, lancinante, rongée par la douleur. La comédienne autrichienne livre ici très certainement une de ses meilleurs interprétations. Capucine et
Paolo Bonacelli qui restera à jamais le Duc de Salo et les 120 journées de sodome forment un couple de bourgeois opportunistes détestables. Ornella Muti toujours aussi radieuse, fort bien mise en valeur par le cinéaste, abandonne les rôles d'étourdissante jeune fille perverse de ses premiers films pour ceux de jeunes femmes vénéneuses. Stefano Patrizi révélé par Visconti se glisse avec conviction dans la peau du jeune amant et nous dévoile sa virilité lors de deux trop brefs plans de nudité frontale. Edoardo, le frère d'Elena, est campé par Mattia Sbraglia qu'on avait découvert quelques années plus tôt dans la peau du jeune puceau de
Nipoti miei diletti. Quant à Christian Borromeo il semble n'avoir jamais été aussi séduisant lui aussi magnifiquement mis en valeur par un Cervi qui joue parfaitement bien avec son ambiguïté, à la fois ange et démon. Christian nous offre lui aussi une de ses meilleures prestations et trouve peut être ici son film le plus intéressant et abouti.
Moeurs cachées de la bourgeoisie reste très surement un des meilleurs films de son auteur qui délivre une oeuvre forte, émouvante, amorale, qui puise sa force dans l'ambiguïté, les nombreux traits de caractère de ses protagonistes et les relations qui se tissent entre eux sur fond d'une Venise sombre toujours aussi fascinante qu'on se plait toujours autant à visiter au fil des somptueuses images de Armando Nannuzzi, du conservatoire Marcello Benedetto au Pont de la Fenice en passant par le splendide palais de Barbazzo avec vue sur le Grand canal qui sert de demeure aux parents d'Elena et des labyrinthes de verdure de la Villa Pisani.