Paris interdit
Autres titres: Forbidden Paris
Real: Jean-Louis Van Belle
Année: 1970
Origine: France / Belgique
Genre: Mondo
Durée: 82mn
Acteurs: Jean-Louis Van Belle, Ben Ghou Bey, Charles Buhr, Jean-Noël Delamarre, Natalie Perrey, Maelle Pertuzo, Albert Simono, Jacques Lacourie...
Résumé: Le cinéaste nus entraine au coeur d'un Paris insolite, inattendu, pour nous faire découvrir au cours d'une série de quinze histoires la vie cachée de la capitale et de ses étranges marginaux...
Suite au succès international de Mondo cane de Gualtiero Jacopetti, le mondo ou faux documentaire à effets sensationnels allait connaitre un essor fulgurant au cours des années qui allaient suivre notamment en Italie qui en fera une très controversée et décriée sous branche du cinéma d'exploitation, un excellent moyen pour contourner une censure qui interdisait entre autres toute forme de pornographie et autres perversions afin de flatter les bas les instincts d'un public voyeur. En présentant les choses sous forme de documentaires souvent montés de toutes pièces, il était alors facile de présenter les pires aberrations sans
pour autant craindre les foudres des censeurs. L'Amérique suivit puis bon nombre de pays d'Europe, parmi eux la France qui ne resta pas en marge.
D'origine belge le français Jean-Louis Van Belle, petit cinéaste marginal surtout connu pour avoir réalisé un des plus mauvais films de la décennie voire des suivantes, l'inénarrable Sadique aux dents rouges, débuta sa carrière après quelques courts métrages par ce mondo souvent hilarant qui a pour but de nous faire découvrir la face cachée de notre belle capitale. Van Belle se serait inspiré d'histoires vraies qu'il aurait ensuite scénarisé et mis en vignettes pour former une quinzaine de segments afin de mettre en lumière une poignée de
personnalités atypiques, ces marginaux qui vivent cachés au coeur de la ville lumière souvent rejetés, tous plus bizarres les uns que les autres mais le plus souvent attachants. C'est cette essence que Van Belle a voulu capter au fil de ces quinze scènes de l'étrange qui furent interdites lors de la sortie en salles du film. Que trouve t-on donc de si scabreux au programme de ce Paris interdit pour que la censure ait alors frappé?
C'est sur un pari bien peu extraordinaire que s'ouvre ce mondo, celui que relève une femme qui doit traverser Paris entièrement nue au volant de sa voiture. Rien d'affolant donc si ce n'est l'étonnement des badauds et des autres conducteurs qui la croisent. L'enjeu du défi: un
splendide manteau de fourrure. Une peau pour cacher sa peau!
L'histoire suivante est celle d'un couple persuadé qu'une bombe atomique va détruire le monde. Ils ont donc prévu leur combinaison anti atomique. Face à la caméra ils se rasent la tête, celle de leur bambin hébété également, puis revêtent leur tenue fabriquée par leur soin, une sorte de combinaison de jardinier blanche fermée avec du scotch agrémentée d'un casque qui tient de la cloche à fromage géante muni de deux tubes à oxygène. C'est sur une miséreuse bicyclette anti radio active qu'ils traversent ensuite Paris.
On fait ensuite la connaissance du fakir Ben Ghou Bey qui donnent des leçons de fakirisme à
un groupe de jeunes femmes adeptes de cette discipline dont le rêve serait un jour de faire de la scène. S'ensuit une séance de démonstration assez spectaculaire déconseillée aux âmes sensibles avec au menu gorge, langue et ventre transpercés par d'immenses aiguilles.
C'est ensuite à une séance de strip-tease à domicile menée par un travesti d'âge certain à la peau flasque. Ces leçons sont destinées aux ménagères, de girondes et poilues mères de famille qui emmènent leurs enfants avec elles. S'ils ont le droit de regarder l'animateur travesti se déshabiller on les fait sortir lorsque leur mère exécutent leur strip-tease. La morale est sauve, le spectateur déçu.
Suit le mariage de deux jeunes travestis, un mariage précisent les intéressés où le sexe n'intervient pas. Nous voilà de nouveau frustrés puis dépités devant le micro spectacle misérable qu'ils donnent sur une scène face à un public composé de quatre figurants.
Beaucoup plus étrange et surtout dérangeante est l'histoire suivante, celle où les adorateurs du feu, les pyromanophiles, brûlent en pleine rue un mannequin à l'effigie du défunt, une crémation publique où le mannequin est jeté dans les flammes avec les objets personnels du mort. Tout amateur de morbidité extrême serait en transe face à un tel spectacle s'il s'agissait du véritable cadavre et non d'un mannequin en plastique. L'effet est tout de même
assez spécial et saisissant mais les larmes du déviant de base devraient surement éteindre ces flammes.
Tout aussi morbide est la séquence du coiffeur pour mort, un petit coiffeur de quartier qui pour arrondir ses fins de mois en ce début de décennie où plus aucun garçon ne se coupe les cheveux à penser à offrir ses services aux familles des défunts. Il coiffe donc le mort, le rase sur son lit, face à la famille très décontractée et souriante, l'enfant mort de rire, un non sérieux qui casse l'atmosphère macabre de cette histoire et de son pseudo cadavre.
Après la découverte d'un photographe qui gifle et fouette ses modèles Van Belle nous plonge
au coeur d'une cave où se réunit une secte néo nazie pour y pratiquer ses rites très spéciaux. Le gourou, sosie raté d'Hitler, initie une jeune femme à devenir une véritable nazie. Après une séance de totemisation où une poupée censée représentée un juif est brulée, la novice, nue, une croix gammée peinte sur le ventre, se fait cracher à la figure afin de se mettre dans la peau d'une juive avant que les membres de la secte, la moustache du Fürher grossièrement dessinée à la peinture, entame une marche tout en récitant des texte d'Hitler.
On pénètre également un club de danse classique très spécial pour handicapés physiques où chacun est persuadé de pouvoir surmonter leur handicap grâce à cet art. Sous la houlette
d'un pianiste rougeaud coiffé dirait-on d'une perruque à l'anglaise, les membres du groupe tentent de danser sur des airs classiques afin de retrouver l'illusion d'avoir une vie normale et croire qu'un jour la danse les guérira ou leur apportera l'amour. Heureux, c'est dans la champagne que se finira le cours, prothèses et béquilles au vestiaire.
On fait aussi la connaissance du dernier vampire encore vivant, un homme difforme qui ne plante pas ses crocs dans le cou de jeunes vierges mais va chercher tous les matins non pas son pot de lait chez le crémier mais son pot de sang frais à l'abattoir qu'il boit goulument une fois rentré chez lui.
C'est chez un taxidermiste qu'on a ensuite rendez-vous afin d'assister à l'empaillage d'un petit chien dans toute son horreur clinique sous l'oeil inquiet de sa maitresse pressé de voir l'homme redonner vie à l'amour de sa vie.
Ce sont dans deux sectes que ce curieux voyage au coeur de Paris se terminera, celle de l'Eglise de l'imposition des mains tout d'abord où deux adeptes, entièrement nus, font l'amour sous les yeux des fidèles avant que ceux ne les encerclent pour les toucher, les caresser, les embrasser durant l'acte, une jolie preuve de l'amour universel que prône le Grand Maitre. C'est avec les Témoins de l'Arche de Noé persuadé de l'apocalypse une fois
l'an que se clôturera cette odyssée, une curieuse secte où les fidèles rassemblés par un des descendants de Noé organisent d'immenses orgies, un mille feuilles humain, jusqu'à ce que les fidèles soient au bord du dégout sexuel. Ils plongeront tous ensuite dans une piscine pour se purifier.
Van Belle a certes voulu montrer un Paris insolite à travers cette suite de personnages décalés, autres, ces sectes et groupuscules étranges. Le cinéaste a tenté d'y mettre son amour pour la capitale et ses marginaux mais la reconstitution de la plupart des histoires est d'une telle niaiserie qu'il est difficile de prendre ses efforts au sérieux peu aidées par les
commentaires d'une voix-off qui récite des textes parfois aberrants de stupidité. Il est par moment difficile de croire à l'authenticité de ces personnages comme ce vampire de théâtre difforme et grimaçant, en fait un pauvre simplet peu gâté par la nature, véritable parodie d'un mauvais film d'horreur que n'aurait pas renié un Ed Wood comme il n'aurait pas renié le segment du couple anti atomique. Si certains des protagonistes présentés sont bel et bien authentiques, sont donc eux mêmes, les comédiens, amateurs évidemment, sont quant à eux si mauvais et si peu crédibles qu'ils brisent l'impact de cette traversée du bizarre qui se transforme trop souvent en une parodie de niveau Z. On rit le plus souvent à gorge déployée
face à ces présentations, reconstitutions serait plus juste, de tranches de vie mais Paris interdit laisse néanmoins une étrange impression, un sentiment indicible de malaise malgré l'artifice. C'est peut être la grande réussite de ce mondo bien inoffensif en surface. La crémation d'un cadavre ou les soins capillaires d'un défunt remplacés pour l'occasion soit par un mannequin soit par un faux mort ont un goût particulièrement amer puisque par delà le rire, on se surprend à esquisser une légère grimace à l'idée même que cela d'une part puisse exister réellement, d'autre part par l'atmosphère curieusement morbide que Van Belle parvient à instaurer. Il réussit également à créer une ambiance voyeuriste malsaine, presque
maladive, tout aussi dérangeante lorsqu'il filme ces handicapés qui tentent de danser tout en exposant leurs moignons ou leurs différents handicaps physiques face à une caméra intransigeante qui enregistre aussi leurs rêves illusoires comme celui de cette malheureuse femme persuadée qu'un jour elle sera la nouvelle Mistinguett. La longue séquence de taxidermie non simulée cette fois d'un petit chien reste également un des grands moments du film durant lequel aucun détail clinique ne sera épargné au spectateur. Il est simplement dommage qu'une fois l'empaillage terminé Van Belle conclut cet instant chirurgical par une note humoristique grotesque dont on franchement aurait pu se passer, celle où la
malheureuse propriétaire de l'animal demande à l'homme de reconstituer ses aboiements grâce un système audio à piles inséré dans le corps de la bête. Toujours dans le registre du bestiaire, le segment du vampire donne l'occasion au cinéaste de filmer la mort atroce d'un cheval dans un abattoir. De quoi faire une fois de plus hurler les ligues de défenses animales mais réjouir les amateurs de plans extrêmes.
Cet incessant mélange d'absurde, de légèreté, de bizarre relevé d'un nuage de morbidité donne à ce Paris interdit son identité et fait tout son charme. On se prend bien entendu à imaginer ce que l'Italie voire l'Amérique aurait pu faire de tels sujets, les débordements
visuels comme les séquences choc auxquels on aurait eu droit où la chair humaine et la mort dans toute son aura macabre aurait remplacé le plastique et le factice. Malgré tout Paris interdit est un mondo attachant qui capte à sa manière tout un pan de vies cachées, illustre bien des moeurs douteuses, les délires de personnes lambda, de gens comme tout le monde qui cependant ont une vie secrète qu'ils vivent à fond aussi pathétiques soient elles. Le film de Van Belle est en quelque sorte un avant-goût de ce que seront ces futures émissions télévisées à succès dont le désormais célèbre Strip-tease. C'est aussi un moyen de gentiment satisfaire l'instinct voyeur et déviant de tout amateur de mondo qui se gorgera de certaines séquences avant le visionnage de pellicules plus violentes, plus en adéquation avec ce qu'il attend de ces films.
Reste que ce véritable kaléidoscope de loufoquerie est quoiqu'il en soit un peu à part dans l'univers du mondo. Van Belle a signé une oeuvre marginale qui malgré son coté vieillot a su conserver aujourd'hui encore une curieuse aura presque surréaliste où hilarité, dégout et bizarreries délirantes se marient pour former un cocktail franchement fascinant sur fond de ce Paris toujours aussi ensorcelant du tout début des années 70.