Arcana
Autres titres:
Real: Giulio Questi
Année: 1972
Origine: Italie
Genre: Fantastique / Drame
Durée: 106mn
Acteurs: Lucia Bosé, Maurizio Degli Esposti, Tina Aumont, Renato Paracchi, Gianfranco Pozzi, Giovanni Ricci, Dario Vigano...
Résumé: Une veuve vit en exerçant la cartomancie et la voyance sans avoir de don particulier. Elle escroque les gens afin de pouvoir vivre décemment avec son fils. S'il aide sa mère à entretenir ses pseudo pouvoirs, il possède quant à lui de véritables dons qu'il ne contrôle pas. Morbide, taciturne, obsédé par la mort de son père, il entretient également avec sa mère une relation quasi incestueuse qui parfois tourne au sadisme. Un jour, une jeune fille vient consulter. Il en tombe amoureux et aimerait la posséder. Aidé par sa mère, il va tenter de faire échouer son futur mariage. L'adolescent sombre peu à peu dans une sorte de folie alors que ses pouvoirs le ravagent...
Troisième et ultime film de Giulio Questi, Arcana ne connut malheureusement jamais de sortie publique suite à la faillite du producteur. Devenu au fil du temps quasiment invisible, Arcana a doucement atteint le statut de film culte pour bon nombre d'amateurs d'oeuvres inclassables et étranges, aussi hermétiques que folles. Parler de Arcana est difficile tant il s'agit là d'une véritable expérience cinématographique à la croisée des chemins non seulement de Elio Petri mais aussi et surtout de Lynch et Jodorowski.
Veuve d'un cheminot mort les jambes tranchées, une femme vit plutôt aisément avec son fils en exerçant la voyance. Si elle n'a aucun pouvoir spécial, elle a réussi à se faire sa clientèle plutôt bourgeoise qu'elle escroque avec un certain cynisme. Son fils possède quant à lui ne réels dons surnaturels qu'il ne maitrise pas. Tourmenté par le décès de son père, il vit une morbide et étrange relation quasi incestueuse avec sa mère. L'arrivée d'une nouvelle et jeune cliente va bouleverser l'ordre établi et de plus en plus ébranler les pouvoirs de son fils.
Si ainsi résumé le scénario peut paraitre simple le résultat à l'écran est tout autre et risque d'en déconcerter plus d'un. En fait, l'histoire n'est que le prétexte à mélanger de nombreux thèmes et genres de façon plus ou moins disparate et confuse. Ainsi parle t-on de cartomancie, de voyance, de sorcellerie mais aussi de désirs sexuels, d'adolescence, de quêtes, de révoltes sociale en y mêlant fantastique, horreur, surréalisme, critique de la bourgeoise et film politico-social.
S'il n'y a aucun réel fil conducteur, Arcana est tout de même scindé en deux parties distinctes. la première et de loin la plus accessible s'intéresse principalement à la voyance et aux pseudo pouvoirs de cette veuve maligne qui a su tirer profit de la crédulité des gens et de la relation équivoque et morbide qu'elle entretient avec son fils. Entre deux séances de spiritisme truquées et quelques tours de sorcellerie essentiellement dus aux étranges pouvoirs du fils, on découvre progressivement cet adolescent taciturne et tourmenté, obsédé par la mort de son père et ses origines, ses dons parfois particulièrement violents qu'il ne contrôle pas et la relation ambigüe aux limites de l'inceste qu'il vit avec sa mère.
Dans un climat oppressant, glauque, qu'instaure Giulio Questi dés l'ouverture, le spectateur est plongé au coeur d'un univers malsain qui par le biais du fantastique se veut ou se voudrait une peinture anthropologique des émigrants du sud de l'italie vers le nord du pays et un pamphlet contre la bourgeoisie et l'ordre en place. Questi accumule les symboles et les métaphores tant dans les portraits qu'il brosse que dans sa description de l'adolescence et la sexualité. Travestisme, inceste, premiers désirs, quête de soi et de ses origines, sadomasochisme se marient ici dans un étouffant mélange d'amour / haine / jalousie parfois exacerbé pour mieux glisser vers la seconde partie beaucoup plus hermétique et difficile d'accès, véritable pastiche ésotérique et visionnaire aux limites du surréalisme qui se transforme en une sorte de projection, de fable politico-civile lors d'un final aussi inattendu que déconcertant.
Si Arcana devait à Elio Petri notamment sa critique du cinéma d'horreur, c'est définitivement chez Jodorowski qu'il puise le reste de son inspiration, truffé de métaphores comme seul le réalisateur en avait le secret, un univers qui rappellera également celui de Lynch auquel Questi n'a rien à envier. Le cinéaste malmène sa caméra, passe des atmosphères poisseuses à des ambiances plus angoissantes et des moments plus envoutants. Arcana se vit et se voit comme un rêve éveillé ou plutôt un cauchemar difficile à interpréter par instant. De Arcana on ne sait rien, c'est une sorte de puzzle qu'une fois enfin assemblé échappe à toute véritable signification précise et conventionnelle d'où émergent quelques séquences d'une pure merveille. Ainsi la séquence
où lors d'une lancinante et hypnotique danse rituelle la mère sort de sa bouche des grenouilles vivantes alors qu'on suspend un âne dans les airs au son mélancolique et entêtant d'un violon dont joue un vieil homme qui traverse les terres arides de Sicile restera à jamais gravé dans l'esprit du spectateur. Inoubliable! A ces instants de magie dans tous les sens du terme répondent des scènes d'une étonnante violence telle celle, brutale, où le dans un accès de rage, l'adolescent se précipite sur le lit de sa mère, un couteau de boucherie en main, l'attache et lui taillade la pointe des seins sous les hurlements de terreur de la pauvre femme. Il en va de même pour la scène où il viole la jeune fille enceinte sous le regard dépitée mais consentant de sa mère ravagée par la jalousie.
Arcana est une oeuvre sombre, curieuse, insolite, morbide, folle, ésotérique, visionnaire, surréaliste, glauque, un de ces films irracontable qu'on vit comme une expérience déroutante et magnifique pour peu qu'on apprécie un certain cinéma tortueux et cérébral. Arcana a gagné à juste titre son statut de film culte. Il bénéficie en outre d'une superbe photographie et d'une interprétation irréprochable du jeune Maurizio Degli Esposti qui trouvait là son meilleur rôle. découvert dans Uccidete il vitello grasso e arrostatelo, habitué aux personnages torturés, Maurizio est tout bonnement impressionnant. A ses cotés, on retrouvera l'excellente Lucia Bosé qui incarne cette mère fourbe et Tina Aumont dont le regard globuleux sied à parfaitement à son rôle.
Arcana est un film à découvrir de toute urgence!