La orca
Autres titres: The snatch
Real: Eriprando Visconti
Année: 1976
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 98mn
Acteurs: Rena Niehaus, Michele Placido, Flavio Bucci, Vittorio Mezzogiorno, Bruno Corrazzari, Adriano amidei Migliano, Livia Cerini, Piero Palermini...
Résumé: La jeune Alice est kidnappée par trois malfrats contre une forte rançon que son père refuse de payer. Séquestrée dans une cabane en bois, elle est attachée sur un lit par ses ravisseurs. L'un d'entre eux, Michele, est fortement attirée par elle car elle lui rappelle sa défunte fiancée. Une étrange relation d'amour et de haine va alors se développer entre eux. Si Alice se sert de ses sentiments pour le duper elle ne peut elle aussi cacher son trouble face à cet homme. La relation de plus en plus malsaine tournera au drame, implacable...
Réalisé en 1976 par Eriprando Visconti , le neveu de Luchino Visconti , La orca fait partie de la longue liste de films dramatiques dont l'Italie s'enorgueillit durant les années 70 qui prennent pour principales protagonistes des jeunes filles ou des adolescentes en plein tourment.
La Orca comme sa suite directe La oedipus orca prend comme point de départ le syndrome de Stockholm, cette attirance/répulsion qu'une personne éprouve pour son bourreau ou son geôlier. C'est cette étrange fascination que Visconti met en scène, cette nouvelle union d'Eros et Thanatos à la George Bataille, à travers l'histoire d'Alice, une jeune fille issue de la haute bourgeoisie qui un jour est kidnappée par trois voyous avec lesquels elle va entretenir une étrange relation, plus précisément avec le leader de la bande.
Malsain, aussi dépouillé et nu que son unique décor, La orca reprend un des grands thèmes du cinéma italien des années 70, la décadence et la superficialité de cette bourgeoisie
pourrissante qui cache derrière ses valeurs et sa morale corruption et hypocrisie. S'il faudra attendre le deuxième volet du film pour découvrir l'ignominie du monde dans lequel Alice vit, ce premier chapitre s'attarde uniquement sur la détention de l'adolescente, la vénéneuse et perverse relation qui l'unit à Michele, son geôlier. En fait Visconti ne fait que reprendre un des grands thèmes du cinéma italien d'alors, la séquestration d'individus dans une Italie plongée dans le chaos en ces années noires, qu'il met en scène comme un véritable film d'exploitation. Une tentative risquée mais réussie.
On pourra juger La Orca indécent et particulièrement complaisant mais cette complaisance n'est cependant jamais gratuite. Elle s'inscrit dans la logique du scénario. Lorsqu'Alice urine face à son ravisseur et que celui ci lui essuie les parties intimes, on est dans ce jeu pervers, sadomasochiste, où le plaisir vient de l'humiliation et le moindre qu'on puisse dire est que Visconti aime insister sur les besoins naturels. C'est ce même plaisir qu'on retrouve lorsque Michele la déshabille dans son sommeil et la doigte tout en se masturbant. Si Alice semble dormir, ce n'est qu'un leurre afin de profiter de ces instants coupables. L'exhibition de la nudité intégrale, la complaisance de certaines scènes très intimes n'est jamais que le symbole de leur existence, de l'importance de leur rencontre, l'union de deux classes sociales opposées. Ils ne se parlent que très peu. Tout passe par le toucher, les corps, les odeurs tant et si bien que le spectateur pourrait presque les sentir, des odeurs de mort et de sexe en vase clos.
Les deux protagonistes du film ne sont finalement que deux êtres aussi perdus l'un que l'autre. Tout les éloigne et pourtant tout les rapproche. Michele est totalement désorienté, déstabilisé par ce corps qui lui rappelle son amie disparue. Sa violence ne fait jamais que cacher ses émotions et son trouble qu'Alice a perçu et dont elle se servira pour mieux lui échapper.
Michele est pris entre cet amour impossible pour Alice, ses convictions et son destin, inéluctable, Alice, à la fois rebelle et docile, parfaite esclave, va profiter de ses faiblesses tant pour le séduire et satisfaire ses désirs pervers que pour le duper. On reste dans l'apparence et ce qu'on croit beau est en fait sale, souillé. On s'aime ou du moins on le croit mais on se
donne dans la crasse et la sueur. Tout est obscur, noir. La scène de la douche lorsqu'Alice se lave devant Michele est en ce sens révélatrice. Les sentiments s'éclaircissent, le coeur devient aussi propre que le corps, on s'aime enfin mais pour un court instant car le destin va alors s'abattre sur les protagonistes. Visconti en profite pour inverser les rôles. Alice va devenir le bourreau, Michele la victime et seule la mort mettra un terme à cette relation ambigüe.
La orca du nom du tatouage que porte Alice, un orque, terrible cétacé auquel elle se compare, est un film fort, sombre, désespéré et tragique où chacun vit dans sa propre prison, enfermé dans ses idéaux même si les deux protagonistes aspirent à la même chose. Le film
de Visconti n'est jamais que la rencontre de deux âmes qui vont prétendre s'aimer, vivre un amour violent à la fois beau et fort mais malheureusement impossible. Si toutes deux restent assez floues, La oedipus Orca lèvera le voile sur leur passé et nous fera découvrir le milieu duquel elles sont issues afin d'aider le spectateur à mieux les cerner. Alice, enfant bâtarde fruit d'une liaison adultère, ne se remettra pas de la mort de Michele, rongée par un sentiment de culpabilité. Elle deviendra alors frigide et n'aura comme seul moyen pour trouver un semblant de plaisir que de retourner se masturber sur les lieux de sa mort. Obsessions, inceste, transfert de personnalité, La oedipus Orca nous plongera dans un univers sordide et tragique où tous les éléments du premier volet prendront tout leur sens.
La orca bénéficie d'une excellente interprétation notamment de la blonde et charnelle
allemande Rena Niehaus, magnifique et troublante. Elle est une Alice tout en force et justesse. Rena trouvait là un de ses plus beaux rôles. Face à elle, Michele Placido , excellent comme d'habitude, se glisse dans la peau de son ravisseur.
Appuyé par une partition musicale qui renforce son aspect sordide, La orca est un drame intelligent, une oeuvre forte et sordide, le film le plus controversé de Visconti. Très épuré pour des raisons de budget limité (quasiment un seul décor), une des raisons pour laquelle le cinéaste auto-produisit lui même son film et élimina tout le contexte social dont est issue Alice. La orca peut être considéré comme un nouveau départ dans la carrière d'Eriprando. Enfin libre, ne dépendant que de lui même, il put se permettre toutes libertés d'où l'aspect étonnamment audacieux du contenu à la limite du trash et cet érotisme particulièrement désinhibé et malsain. Claustrophobe, La orca, tourné en cinq semaines à Pavese, est une histoire qui se vit sur l'instant, un moment de vie de deux personnes sans passé ni futur qui aujourd'hui n'a rien perdu de son extraordinaire aura encore moins de sa force. voilà une oeuvre morbide et dérangeante que tous les amoureux d'un certain cinéma sans limite apprécieront.