La oedipus orca
Autres titres: Peregrina de Hombres
Real: Eriprando Visconti
Année: 1976
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 92mn
Acteurs: Rena Niehaus, Miguel Bosé, Carmen Scarpita, Gabriele Ferzetti, Piero Faggioni, Michele Placido, Agnes Kalpagos, Enzo Consoli, Vittorio Valsecchi, Eleonora Morana...
Résumé: Alice a été libérée des griffes de son geôlier qu'elle a tué. De retour chez ses parents, l'adolescente est traumatisée par son enlèvement et ne parvient plus à avoir une vie normale. Son geôlier la hante et elle revit les assauts sexuels qu'elle a subi mais culpabilise aussi de l'avoir tué. En outre elle est devenue frigide. Si elle ne peut retrouver le plaisir qu'en retournant sur les lieux de sa séquestration, elle sent en elle qu'un mystère plane sur ses origines. La découverte des origines de sa naissance va être le déclencheur d'un terrible exorcisme...
Réalisé dans la foulée de La orca, La oedipus orca en est la séquelle directe et tout deux ne forment finalement qu'un seul et unique film. Il reprend exactement là où s'arrêtait le premier volet. La oedipus orca va jeter toute la lumière sur le passé de la jeune Alice et nous faire enfin découvrir non seulement le milieu dont elle est issue mais également le grave traumatisme que sa séquestration a laissé en elle.
Ce second chapitre est un film beaucoup plus sombre que le premier opus qui s'attardait surtout sur les sévices subis par Alice et l'étrange et perverse relation qu'elle entretenait avec Michele, son geôlier, qu'elle finit par abattre. Enfin de retour chez elle, on découvre sa famille, ses parents, un couple de riches aristocrates. Elle vit entourée d'une mère protectrice et d'un père plus inquiet pour sa renommée et son argent que pour sa fille qui ne lui pardonne pas d'avoir refusé de payer la rançon. Elle nourrit une haine sourde envers lui tandis qu'elle revit chaque nuit son cauchemar qui vire à l'obsession. Tout au quotidien lui rappelle sa séquestration, rongée par un sentiment de culpabilité, celui d'avoir donné la mort à son ravisseur. Alice entretient ses obsessions comme pour mieux les exorciser. Afin de mieux se replonger dans ses conditions de détention elle dort au grenier, s'attache au lit mais elle est malheureusement devenue frigide. Elle ne peut plus avoir de relations sexuelles avec Umberto, son fiancé.
Afin d'exorciser ses peurs et ses frustrations, elle lui demande alors de la ramener sur les lieux de sa séquestration, une cabane sordide perdue au milieu de la campagne, et exigera de lui qu'il lui fasse revivre ses douloureux moments en lui faisant l'amour sur le lit où elle dut subir les assauts de son ravisseur. Mais c'est seulement en se masturbant à l'endroit même où son geôlier est mort qu'elle trouvera du plaisir. Elle s'imagine faire l'amour à son cadavre, cette silhouette marquée à la craie sur le sol froid maculé de sang séché. Mais Alice est consciente qu'il y en a elle un autre mystère, plus étrange encore, une énigme relative à son enfance enfouie au plus profond de son subconscient, un terrible secret qui tourne autour de
ses origines et de son père que sa séquestration semble avoir réveillé. Elle découvrira que son père n'est pas son vrai père. Elle est le fruit d'une relation adultère, obscène, celle de sa mère et de Karl, photographe et meilleur ami de la famille. Alice comprend alors d'où lui viennent ses phobies et ses blocages. Obnubilée par son désir de vengeance, elle va se transformer à son tour en bourreau, jouant avec Karl à un jeu aussi perfide que pervers. Pour mieux conjurer son mal, elle va faire un transfert de personnalité sur sa mère et revivre les instants où elle fut conçue. Le puzzle prend lentement forme en elle et c'est par le sexe qu'elle exorcisera ses phobies. C'est en faisant l'amour revêtue des habits de sa mère sur le lit où elle fut conçue sous les yeux de son vrai père puis dans un abattoir, terrible symbole de mort, qu'elle trouvera enfin la délivrance lors d'un dénouement aussi haletant que sanglant.
La oedipus orca contrairement à La orca ne se vit pas au présent. Comme le laisse sous entendre son titre latin, c'est un douloureux retour vers un passé tragique, source de bien des maux, une introspection dans l'inconscient d'Alice afin de découvrir l'origine de son mal être. On y découvre sa famille, ses rites, son hypocrisie, ses secrets coupables, éternel reflet de cette bourgeoisie décadente et pervertie. Le sexe est une fois de plus très présent à la différence près que cette fois il n'est plus aussi bestial et charnel, il n'est un moyen de faire connaissance, un moyen d'existence mais une sorte de rite, de représentation pour mieux recréer un milieu propre à faire resurgir le passé afin d'éclaircir le présent. Si l'érotisme est un facteur prédominant, souvent macabre (les scènes d'oedinisme nécrophile) c'est ici
l'ombre terrifiante de l'inceste qui sert de toile narrative au film, un tabou que Visconti traite de manière assez théâtrale lors d'un final digne d'une tragédie grecque. Visconti se montre une fois encore complaisant lors de quelques scènes choc dont les insupportables mises à mort des vaches dans l'abattoir où le père et la fille forniqueront. Ces scènes qui comme pour La orca prennent une direction nettement exploitative ne sont cependant jamais gratuites, elles s'ancrent dans une terrible logique, celle d'Alice, et ne sont que le symbole mortifère de ses obsessions, de son mal et de ses phobies, un exécutoire qui la mèneront vers la libération.
La toujours aussi charnelle et désinhibée Rena Niehaus, désespérée, traverse les
deux films, victime puis meurtrière et enfin incestueuse, avec force et brio, passant violemment du stade de l'adolescence à l'état adulte. Carmen Scarpita interprète la mère, superbe de fragilité et de culpabilité, meurtrie par son passé coupable. On reconnaîtra dans le rôle de Umberto, le jeune fiancé, Miguel Bosé, le fils de la grande actrice Lucia Bosé.
Accompagné d'une partition musicale, obsédante et lugubre, La oedipus orca est une sorte d'iceberg dont La orca en serait la partie émergente, une oeuvre effet glaçon, introspective, forte, qui ne laissera personne indifférent. Voilà un diptyque qui est très certainement le travail le plus abouti et le plus fracassant du cinéaste qui aujourd'hui encore n'a rien perdu ni de son aura ni de sa controverse.