Fata morgana
Autres titres: Left-handed fate
Réal: Vicente Aranda
Année: 1966
Origine: Espagne
Genre: Thriller / Anticipation
Durée: 82mn
Acteurs: Teresa Gimpera, Marianne Benet, Marcos Martí, Antonio Ferrandis, Alberto Dalbés, Antonio Casas, Manuel Maniz, Francisco Alvarez, Juan Sellas, Antonio Oliver, José Medina, José Maria Seada, Gloria Roig, Josep Castillo Escalona...
Résumé: Dans une ville à demi déserte, Gim, une jeune modèle qui travaille dans la publicité, se sent menacée. Elle est persuadée qu'elle va mourir assassinée, de la même manière qu'une certaine jeune femme à Londres, l'année précédente. Le tueur est supposé s'en prendre à la beauté. Un expert criminologue va l'aider à prendre conscience de la réalité. Avec l'aide d'un policier l'expert va tenter de trouver qui est le tueur et d'empêcher ce nouveau crime...
Cinéaste social politiquement engagé appartenant à la famille des Intellectuels espagnols Vicente Aranda fait partie des grands réalisateurs ibériques, ceux qui surent marquer de leur patte l'histoire du cinéma espagnol. S'il se spécialisa très vite dans un cinéma social et politique souvent cruel marqué par un érotisme quasi omniprésent ses deux premières réalisations sont bien plus marginales. Représentatifs du cinéma de l'Ecole de Barcelone, celui de la Nouvelle vague, coréalisés avec Roman Gubern, ces deux films tournés en total autodidacte intègrent les rangs de ces oeuvres inclassables, difficile d'accès, proche d'un
certain cinéma expérimental. Le premier d'entre eux est l'étrange et fort hermétique Fata Morgana.
En 1965 à Londres une superbe femme, Ursula, est retrouvée morte, assassinée par un inconnu que la police recherche toujours. Selon J.J le policier qui suit l'affaire le meurtrier s'apprête à frapper de nouveau. Sa nouvelle victime sera de nouveau une magnifique femme puisque l'assassin cherche à détruire la beauté. Cette femme pourrait être Gim, une jeune modèle qui vend son image pour des spots publicitaires. Elle vit dans une ville qui doit être évacuée mais elle a décidé de rester pour la simple et bonne raison que l'homme
qu'elle aime, Alvaro, a lui aussi décidé de ne pas partir. Il vit avec Miriam, une jeune fille mentalement fragilisée depuis la mort de son amant, Jerry. Alvaro est déchiré entre son amour pour Gim et la fragilité de Miriam qu'il ne peut quitter. Gim se sent menacée par quelque chose qu'elle ne peut expliquer. Cela la terrifie. Elle sait qu'elle est la cible d'un invisible meurtrier. Seul un mystérieux homme appelé le Professeur, un expert en criminologie, peut empêcher l'assassin de tuer Gim. Elle va être amenée à rencontrer d'autres personnes qui sont restées en ville dont un bien inquiétant aveugle et une bande de cinq jeunes voyous. Au bout de leurs recherches effrénées J.J et le Professeur vont découvrir
le visage de l'assassin mais qui va mourir?
Difficile, très difficile de résumer ce film tant il est étrange, délirant. On pourrait même parler d'oeuvre surréaliste que n'auraient pas renié Bunuel ou Jodorowsky. Fata morgana s'ouvre sous la forme d'une bande dessinée comme pour mieux nous préparer à la folie de cet univers criminel. Il y résume les faits survenus à Londres avant de nous projeter dans une ville incertaine (sommes nous à Barcelone ou ailleurs nous ne le saurons jamais), une métropole à demi désertée que sillonne un camion qui par le biais de hauts-parleurs demande aux habitants qui sont encore là de quitter les lieux au plus vite en ne prenant que
le strict nécessaire. Pourquoi? Là encore on ne le saura pas. Fata morgana prend alors des allures singulières de thriller post-atomique. Curieux mais assez fascinant que de situer ce film dans un tel contexte qui vient appuyer l'étrangeté du récit tout en créant un certain malaise. C'est donc dans des rues désertes, silencieuses, qu'erre la belle héroïne, une modèle qui se se sent traquée et sait qu'elle va mourir assassinée. Où? Quand? Comment?
A partir de là Aranda met en place une intrigue particulièrement complexe, déconcertante,
pas toujours évidente ou très claire. Passé, présent, rêve et réalité se mêlant il est parfois difficile de faire la part des choses. Le cinéaste part du principe que dans nos sociétés certaines personnes naissent victimes, d'autres naissent simplement pour tuer. Cette réflexion en engendre d'autres notamment celle sur la beauté. Aussi illusoire soit-elle car chacun a ses propres critères elle suscite chez certains psychopathes un désir de destruction lorsque celle ci les obsède jusqu'à vouloir la voler à ceux qui à leurs yeux dont beaux. S'ils ne parviennent pas à l'avoir il ne leur reste qu'une seule chose à faire: la détruire par conséquent tuer. Avec Fata morgana Aranda fait pénétrer son spectateur dans le monde
angoissant des tueurs en série qu'il tente de comprendre, d'analyser de manière parfois assez scolaire voire psychanalytique donnant ainsi au film un coté plutôt réaliste même si on se perd un peu dans les méandres de son raisonnement. Entrent ensuite les notions de culpabilité et d'innocence. Aranda part cette fois du principe que tout innocent a sa part de culpabilité, l'innocence devenant synonyme de vulnérabilité donc d'incitation à devenir victime. Gim correspond parfaitement à cette définition mais comme toute future victime elle ne le sait pas, ne s'en rend pas compte. Le cinéaste va donc mettre sur sa route différents obstacles, différentes sources de danger personnifiées notamment par un aveugle peu
rassurant, des hommes qui l'abordent lourdement, cinq jeunes voyous et surtout l'intrigant personnage du Professeur, un expert en criminologie qui est là pour lui faire prendre conscience de la réalité et l'aiguiller. Mais là encore le défi reste difficile à relever car la réalité n'est pas la même pour tout le monde. Chacun a ou crée sa propre réalité, voit les choses à sa manière. La réalité devient alors un piège. N'oublions pas qu'une Fata morgana en langage commun est une sorte de mirage. Voilà un des autres sujets qu'aborde Aranda compliquant encore plus son récit.
Pas toujours évident de suivre le metteur en scène d'autant plus qu'il est par moment maladroit et qu'il délaisse totalement l'action (présente essentiellement en fin de bande) au
profit d'une analyse pesante souvent hermétique. Il est donc facile de vite décrocher voire de se perdre donc de rapidement s'ennuyer et abandonner le visionnage. Mais si on est un tant soit peu curieux, un brin téméraire, on peut se laisser prendre au jeu ne serait-ce que pour voir où veut en venir le réalisateur. La curiosité devient alors la principale motivation, connaitre la fin d'un récit auteurisant qui n'a eu de cesse d'osciller entre rêve, réalité, désir, besoin, fantasme, passé et présent mais également marqué par l'anonymat. Aranda joue en effet avec l'image, une image au visuel raffiné accentuant l'effet de malaise, de mystère. Cela donne des séquences quasi oniriques susceptibles d'engendrer l'angoisse voire la
peur. Parmi elles la rencontre du Professeur la tête enveloppée de bandelettes telle une momie et de J.J (l'inspecteur qui court tout le film durant comme pour marquer le temps qui passe inexorablement) dans un stade entièrement vide, le souvenir de la mort de Jerry lorsque Miriam le revoit enseveli sous la glace, le visage comme effacé ou le visage cette fois de Gim dissimulé derrière d'énigmatiques lunettes futuristes ou encore les apparitions de l'aveugle, souvent effrayantes dans les ruelles désertes, qui soudainement enlève le masque qui lui servait de visage révélant ainsi son identité. Aranda aime jouer avec les visages, les déguisements, les fausses apparences, les identités comme pour mieux
brouiller les pistes et créer un climat de total anonymat floutant ainsi encore plus la frontière entre l'imagination et la réalité. De quoi justement suffisamment intriguer et attiser ce sentiment de curiosité pour inciter le spectateur à poursuivre son visionnage même si le final risque de décevoir. Peut être trop simple mais surtout trop rapide. Tout ça pour ça pourrait être sa conclusion, quelque peu dépité par la faiblesse de cette fin.
Au niveau de l'interprétation, très bonne, on aura le plaisir de retrouver Teresa Gimpera, future star du cinéma espagnol ici à ses grands débuts à l'écran. Les inconditionnels de Jess Franco (puisque ça existe) reconnaitront Alberto Dalbès qui deviendra un temps un
des acteurs fétiches du cinéaste (raté). Antonio Ferrandis, un autre grand nom du cinéma ibérique à l'impressionnante carrière, joue le Professeur. Venue de la télévision la brune aux yeux azur Marianne Benet interprète Miriam et son fascinant couteau-poisson.
Film d'auteur, film expérimental, thriller d'anticipation surréaliste, Fata morgana est une oeuvre déroutante loin d'être parfaite mais suffisamment curieuse, intrigante pour tenir en suspens les plus tenaces, les amateurs d'oeuvres aussi visuelles que cérébrales. Le film mérite quoiqu'il en soit d'être découvert tout comme le film suivant de son auteur Brillante porvenir. Aranda se tournera par la suite vers un cinéma plus classique, plus commercial.