Hu-man
Autres titres:
Real: Jérome Laperroussaz
Année: 1975
Origine: France
Genre: Science fiction
Durée: 86mn
Acteurs: Terence Stamp, Jeanne Moreau, Agnes Stevenin, Frederik Van Pallandt, Frank Schwacke, Gabriella Rysted, Giannis Thomas, Valérie Decaux, Bob Traynor...
Résumé: Un acteur déchu en quête d'un retour de gloire accepte de participer à un projet totalement fou. Des scientifiques ont mis au point un voyage dans le temps dont le principal carburant est l'énergie émotionnelle. Plus cette énergie est forte plus le voyage dans le futur sera réussi. Afin de stimuler ses émotions l'acteur sera filmé afin que le terre entière puisse suivre l'évènement à la télévision. Si le voyage dans le futur e semble guère posé de problème un retour vers le passé est plus difficile. Tout dépendra de la force de ses émotions. Une faiblesse et il risque de ne jamais revenir et mourir. L'acteur accepte...
Enigmatique compositeur et metteur en scène qui a essentiellement réalisé quelques documentaires le français Jérome Laperrousaz
est à l'origine d'un des plus étranges film de science-fiction que la
France ait connu dans les années 70, aujourd'hui considéré comme une
véritable gemme, une oeuvre culte presque collector que sa rareté a
rendu encore plus précieuse. Très longtemps disparu, considéré comme à
jamais perdu, Hu-man a refait surface il y a
quelques années par le biais d'un enregistrement vidéo surgi de nulle
part qui très vite s'est répandu parmi les collectionneurs et les
curieux.
Dés les premières minutes on devine qu'on est face à une
pellicule très particulière fortement ancrée dans son époque qui prouve
que la France pouvait en ces années livrée des oeuvres singulières,
hermétiques, des films d'anticipation, de science-fiction cérébraux aux
limites de l'expérimental qui ouvrent la porte sur la réflexion, la
méditation. Résumer le film de Laperrousaz n'est pas
évident puisqu'il fait partie de ces pellicules qui ne se racontent pas
mais se voient composées d'une suite d'images folles, inquiétantes qui
forment un trip .
Terence acteur homosexuel et drogué dont l'épouse Viviane s'est semble t-il noyée après avoir pris des somnifères vit reclus depuis le drame dans un château du Bordelais. Sylvana, actrice et ex-maitresse de Terence, lui rend un jour visite afin de lui proposer une expérience extraordinaire. Le centre des recherches temporelles aimerait en effet qu'il participe à une fabuleuse aventure: le tout premier voyage dans le temps plus exactement dans le futur puis le passé dans le but d'atteindre un jour l'immortalité. Le moteur du voyage serait l'énergie émotionnelle. Plus celle ci est forte plus le voyage a des chances de bien se passer. Qui mieux qu'un comédien peut développer un flux d'émotions suffisamment fortes pour que le voyage réussisse? Afin de décupler ses émotions, Terence sera filmé et son aventure diffusée sur les écrans de télévision du monde entier. Se sachant regardé il n'en sera que plus réceptif. Intrigué puis très intéressé ne serait ce que pour l'argent que cela lui rapportera Terence accepte le défi. L'organisateur du projet, Frederik, va alors lui faire vivre diverses situations extrêmes qui lui permettront de développer une foule d'émotions plus fortes les unes que les autres qui le propulseront dans le futur. Plus dangereux sera le voyage dans le passé puisque pour l'accomplir l'énergie émotionnelle devra être particulièrement intense mais il devra surtout se soumettre à une règle impérative: ne jamais penser au passé ou se remémorer ses souvenirs Le cas échéant Terence ne pourrait plus revenir dans le présent mais surtout il mourrait quasi instantanément. Mais hanté par la mort de Viviane dont il ne s'est jamais remis Terence pourra t-il oublier son passé le temps du voyage mais celui ci n'est il pas également pour lui une opportunité pour la rejoindre dans la mort?
Si le thème du voyage temporel est à la base du scénario de Hu-man il est surtout un prétexte pour ouvrir la voie à une réflexion sur ce qu'est le temps, le passé, le présent, le futur, l'impact qu'il exerce sur nos vies dont elles dépendent somme toute de manière bien relative. De voyage dans le temps tel qu'on l'imagine il n'y en a point à proprement parler si ce n'est l'entrée de Terence dans le dôme temporel. Hu-man est composé en gros de trois parties principales, trois expériences imposées à Terence durant lesquelles l'acteur accumulera l'énergie émotionnelle nécessaire au fameux voyage stockée dans une sorte de gigantesque bulle flottante informe aux allures effrayantes de méduse qui semble suivre Terence, parfois l'emprisonner un peu comme ces ballons qui empêchaient le Prisonnier de la série télévisée éponyme de sortir du Village. C'est à travers ces trois situations extrêmes qu'on suit les pensées de Terence, ses réflexions, ses méditations, ses peurs, ses doutes, ses obsessions que traverse sans cesse l'image fantomatique de Viviane, quasi omniprésente. C'est face à un environnement hostile, un danger imminent que l'être humain est le plus apte à réfléchir et se repositionner dans l'univers. Il n'est rien ou si peu perdu au milieu d'un monde regorgeant de mille menaces qui à tout instant peut l'anéantir, l'écraser comme un insecte. L'Homme peut être un titan mais il peut aussi être microscopique face à l'immensité de la vie, de la nature, de la Création. Tout est relatif comme le temps. Malgré le sens qu'on veut leur donner nos vies en deviennent insignifiantes. Terence va ainsi se retrouver face à lui même, face à l'étendue presque infinie de la nature, côtoyer la mort, dans un premier temps sur une plage déserte immense que la mer recouvre petit à petit jusqu'à l'engloutir, une situation qui lui rappelle la mort de Diane, puis sur un glacier qu'une avalanche va lentement détruire et enfin errant sur une lande volcanique sauvage, ses crevasses remplies de magma en fusion. L'eau, la glace, le feu, trois éléments qui pousseront finalement Terence, agonisant, à prendre sa décision ultime.
Hu-man est également assez représentatif d'un certain cinéma d'anticipation du début des années 70 quant à la position et l'importance des média dans nos vies quotidiennes. L'expérience que vit Terence est retransmise à travers le monde sur le petit écran. Le téléspectateur vit au rythme de ses aventures et multiplier les situations extrêmes, lui faire approcher la mort booste l'audience. La mort en direct pour un spectacle juteux qu'on suit sur des écrans multiples qui diffusent même grâce à une invention révolutionnaire les pensées mises en images de Terence, telle une sonde cérébrale qui visualise ses peurs. Et on se réjouit lorsqu'un téléspectateur, en l'occurrence une jeune fille qui lui était proche Gabriella, se suicide après avoir vu l'émission. On songe à des oeuvres phare telles que Rollerball, Westworld, La course à la mort de l'an 2000 ou plus proche de nous The running man, des projections effrayantes du futur où la télévision, les jeux télévisés deviennent les nouvelles arènes de notre société hyper modernisée régie par la puissance des média.Hu-man pourra paraitre rébarbatif aux yeux de certains, profondément ennuyeux et surtout bien obscur dans son propos qui pourra également faire sourire. Laperrousaz ne s'embarrasse en effet d'aucune explication scientifique. On accepte ou pas son point de départ. Quant à la réflexion on y sera ouvert ou non porté par l'itinéraire de Terence, son voyage finalement intérieur, ou totalement noyé par l'hermétisme du sujet et son traitement. Mais on ne pourra rester insensible aux images fascinantes et à l'interprétation prodigieuse de Terence Stamp qui joue son propre rôle. Laperrousaz filme de façon étonnante les décors naturels qu'il a à disposition, en extrait la peur qu'ils occasionnent, une plage (sur le Mont St Michel) qui s'étend à perte de vue doucement envahie par les courants, l'océan qui engloutit petit à petit le paysage, dévore l'homme, un glacier, les montagnes (celles d'Avoriaz) tout aussi infinie, gloutonne, écrasante dont la seule issue pour lui échapper est le ciel (l'homme oiseau venu sauver Terence) et les terres volcaniques lunaires en fusion que le cinéaste transforme en paysages surréalistes d'où nait un certain onirisme, très certainement la partie la plus hypnotique du film, la plus étrange, la plus somptueuse.
Quant à Terence Stamp il est tout simplement fabuleux, complètement investi dans ce projet dont il est la principale force. Jeu parfait ou situations réelles? La question devant sa prestation se pose. Laperrousaz semble avoir mis réellement son acteur en péril dans des situations particulièrement dangereuses qu'il filme sur le vif. Sa peur, ses réactions sont elles feintes ou sont elles le reflet de ce qu'il subit pour les besoins du film? Il aurait été intéressant de recueillir les confessions du principal intéressé sur le tournage du film. Quoiqu'il en soit sa performance ne devrait laisser personne indifférent.
A ses cotés on retrouvera la regrettée Jeanne Moreau, un choix surprenant mais là encore intéressant même si Jeanne n'a qu'un rôle qu'on qualifiera de témoin.
Rythmé par une bande originale oppressante composée essentiellement de sons bizarres, distordus, de cris auxquels se mêle un thème blues rock lugubre chanté Hu-man malgré un discours assez sommaire est une véritable curiosité cinématographique estampillée années 70 qui prouve que la France elle aussi pouvait donner vie à de réels petits chefs d'oeuvres. Le film de Laperrousaz est une expérience singulière à laquelle tout amateur de cinéma un tant soit peu expérimental doit se livrer mais qu'éviteront les esprits trop cartésiens, terre à terre, allergiques aux oeuvres trop hermétiques ou cérébrales. Espérons simplement que maintenant que la pellicule a ressurgi de nulle part après des décennies de complète invisibilité une seconde chance lui soit donnée par le biais d'une éventuelle édition numérique que pourrait commenter le principal intéressé, Terence Stamp. Hu-man qui n'est plus vraiment aujourd'hui un mystère le mérite amplement.