Ecce homo
Autres titres: Ecce homo - I soppravissuti
Real: Bruno Gaburro
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Dramatique / Anticipation
Durée: 84mn
Acteurs: Philippe Leroy, Gabriele Tinti, Frank Wolff, Irene Papas, Marco Stefanelli...
Résumé: Quelque part sur une plage après l'holocauste nucléaire. Jean qui porte sur les mains les stigmates des radiations survit tant bien que mal avec sa femme Anna et leur fils Patrick. Un jour, alors qu'ils pensaient être les derniers survivants de la catastrophe, deux hommes surgissent dans une jeep, Lens, un soldat et Quentin, un scientifique humaniste qui croit pouvoir un jour repeupler la Terre. Leur arrivée au sein de la famille va très vite briser le fragile équilibre que Jean avait tenté de créer. La tension monte, la haine et la jalousie s'installe mais également le désir. Anna voit sa sexualité se réveiller en elle. Elle devra bientôt faire un choix. C'est vers un drame inéluctable que tous se dirigent...
Avant toute chose il est intéressant de revenir sur la genèse du film afin de mieux comprendre dans quelles conditions il fut tourné et lui pardonner ainsi ses quelques faiblesses qui très vite cependant se transformeront en qualités aux yeux de spectateur séduit par ce qui est fort certainement un des tout premiers films d'anticipation italien, un des tout premiers post-nuke pourrions nous même dire.
L'idée de Ecce homo - I sopravvissuti est née après que Bruno Gaburro ait vu Le dernier rivage de Stanley Kramer avec Gregory Peck et Ava Gardner. A partir d'une histoire post-atomique Gaburro voulait faire un film à message avec de fabuleux décors apocalyptiques. C'est dans cette optique que le réalisateur et son équipe allèrent en Sardaigne et s'installèrent sur une plage, le principal lieu de l'action. Malheureusement les producteurs dans les mains desquels avait échu le scénario décidèrent de transformer le film afin d'en faire un western, un genre alors très en vogue en Italie contrairement à l'anticipation. Face au refus du jeune réalisateur et surtout de Irene Papas qui devait en être l'actrice principale, le projet tomba à l'eau lorsque le destin voulut que Gaburro rencontre un jour par hasard Irene non loin de chez lui en compagnie de Yorgis Voyagis, Philippe Leroy et Gabriele Tinti. Irene n'avait pas oublié ce plaisant scénario et proposa à Gaburro de faire le film ensemble en le finançant par leurs propres moyens. Leroy et Tinti suivirent et c'est ainsi que Ecce homo vit le jour, tourné en seulement douze jours avec pour unique décor la plage de Porto Rotondo.
L'histoire est des plus simple. L'action se situe quelque part sur une plage après l'holocauste nucléaire. Les radiations ont détruit toute forme de vie sur Terre. Jean, sa femme Anna et leur fils Patrick semblent être les seuls survivants de l'apocalypse. Ils tentent de survivre sur cette plage lorsqu'un jour deux rescapés surgissent et leur apprennent que la vie réapparait lentement. Leur arrivée va vite jeter le trouble et la discorde dans l'apparente harmonie qui régnait dans cette petite famille. Sous une chaleur accablante et l'espoir d'un renouveau qui se dessine à l'horizon, la haine et la jalousie vont malheureusement prendre le dessus et conduire le petit groupe vers une inéluctable tragédie.
Si quelques âmes chagrines risquent de mettre en avant la lenteur du film notamment dans sa première partie, il faut reconnaitre que d'une part Bruno Gaburro pour ses débuts derrière la caméra fait preuve d'une ironie, d'un pessimisme et d'une méchanceté assez surprenante et d'autre part qu'avec très peu de moyens il parvient à faire un film captivant, presque fascinant qui se laisse regarder avec grand plaisir tant il réussit à créer une atmosphère quasi étouffante, à générer une tension qui va crescendo et mènera droit à la folie destructrice. On doit déjà cela aux superbes décors naturels où fut tourné Ecce homo, à savoir les magnifiques plages de sable blanc de Porto Rotondo, les flots bleus de la méditerranée et les paysages rocheux, arides de Sardaigne. Le silence, la magie de l'endroit crée de suite une atmosphère étrange faite de désirs refoulés, de frustrations, de souvenirs douloureux et de joies futiles mais aussi de peur. Jean porte sur ses mains les stigmates des radiations, souffre en silence mais se bat pour que puisse survivre sa famille toujours dans le plus grand des silences. Anna a perdu tout désir sexuel pour Jean et leur fils, aussi silencieux que cet environnement, parait rester en retrait, observateur muet et blessé.
L'arrivée aussi inattendue que surprenante de deux autres rescapés, Len, un soldat, et Quentin, un scientifique qui nourrit l'utopie de pouvoir repeupler un jour la Terre, va briser ce fragile équilibre et servir de détonateur à un terrible drame. Si Anna apprend que la vie réapparait lentement dans les villes et découvre que ce mari pour lequel elle n'éprouve plus rien était au courant, elle voit surtout le désir se réveiller en elle, brulant, irrésistible. Ecce homo voit alors s'affronter quatre stéréotypes et de cet affrontement va naitre une sorte de guerre d'où seul le plus fort sortira vainqueur. Il y a Jean, l'homme désillusionné qui a perdu foi en l'humanité, Lens, le soldat sans pitié qu'on peut associer au pouvoir, à l'Homme tout puissant, le scientifique humaniste qui voit en Anna la renaissance de la civilisation, la mère d'une nouvelle humanité et enfin Anna, objet de tous les désirs qui devra faire son choix. Et c'est tout naturellement vers le plus fort, Lens, qu'elle se tournera qui à son tour se retournera contre son mari en le tuant et en chassant de la petite communauté le scientifique qui représente une barrière à leurs relations charnelles. Ainsi seuls, Lens et Anna peuvent s'aimer et bâtir leur avenir en imaginant la Terre de demain, un avenir qui se concrétisera par la grossesse de la jeune femme. Mais c'est sans compter la folie dans laquelle plonge lentement le scientifique qui viendra anéantir tout espoir.
Magnifiquement mis en scène malgré l'absence de moyens, Ecce homo prêche peut être par son symbolisme trop tranché mais il émane du film une indéniable magie. A la fois angoissant et cruel, d'un pessimisme à toute épreuve typique des oeuvre de science-fiction et d'anticipation des années 70, le premier film de Gaburro transforme un conte post-atomique empli d'espoir en cauchemar d'une implacable noirceur truffé de moments somptueux, lyriques, à la lisière par instant du surréalisme. Pour preuve, l'inoubliable scène du ballet aquatique durant lequel Gabriele Tinti et Irene Papas, nus, semblent se transformer en poissons, tournant, virevoltant, dansant dans les flots bleusscintillants de mille étoiles. A ces moments quasi oniriques s'opposent des séquences beaucoup plus dures, violentes où l'homme redevient un animal, mû par la folie. L'ultime quart d'heure est en ce sens remarquable. Il plonge le spectateur dans un bain de violence lorsque Len, fusil en main, traque implacable, Quentin à travers les montagnes rocheuses pour le tuer mais c'est finalement le chasseur qui sera pris à son propre jeu lors d'un retournement de situation féroce. La science extermine à sa façon la violence humaine mais face à un tel dénouement Anna préférera se donner la mort plutôt que de perpétuer la survie de notre espèce sous de tels auspices. La haine et la jalousie ont écrit l'histoire de l'humanité. Malgré l'Holocauste rien a fait changer la nature profonde de l'Homme. Telle est l'implacable morale de Ecce Homo qu'Irene avoue beaucoup aimer.
Toujours au crédit du film, sa magnifique partition musicale signée Ennio Morricone qui combinée à la beauté des paysages contribue à créer à cette atmosphère souvent lourde, angoissante teintée de temps à autres d'une touche d'émotion. On ne peut passer sous silence la prestation des acteurs tous plus parfaits les uns que les autres. On frissonnera face à la froideur de Gabriele Tinti dont le regard vert vous transperce. Frank Wolff apporte à son personnage cette folie, cette détresse qui étaient siennes dans la vie. Philippe Leroy, méconnaissable, douloureux, est d'une justesse étonnante dans sa personnification de la souffrance. Quant à Irene Papas, alors promue star depuis Zorba le grec et Z, elle est simplement d'une sensualité étourdissante, incandescente, belle tant physiquement que moralement. Les amateurs reconnaitront un Marco Stefanelli encore enfant qui se glisse dans la peau de Patrick, le jeune fils, tout aussi parfait.
Si on perdit très vite toute trace de Ecce homo, le film de Gaburro ressurgit au début des années 80 et fit l'objet de nombreux passages télévisés sur les chaines italiennes avant de disparaitre de nouveau pour ne plus ressurgir cette fois. N'ayant jamais bénéficié d'une quelconque édition vidéo encore moins DVD, totalement invisible au cinéma depuis des décennies, le seul moyen aujourd'hui pour l'amateur de visionner Ecce homo est de tomber sur une de ses anciennes diffusions télé. Il pourra ainsi admirer ce film méconnu et oublié qui à sa façon démontrait déjà le talent d'un réalisateur qui allait par la suite faire une carrière à contre courant essentiellement dans l'érotisme et la sexy comédie. Ecce homo est un film en tout point réussi malgré sa simplicité. Il est la preuve que sans moyen mais avec quelques amis et de la volonté on peut faire un film non seulement intelligent mais tout bonnement somptueux. Que certains retiennent la leçon. Si Ecce homo, film aussi désespéré que désespérément beau, n'est pas un chef d'oeuvre, il s'en approche. Gageons qu'il laissera chez le spectateur longtemps après que le mot Fin soit tombé une étrange sensation faites d'émotions mixtes des plus agréables.