Leave us alone
Autres titres: Foutez nous la paix / La' os vaere / Lasst uns machen
Réal: Lasse Nielsen / Ernst Johansen
Année: 1974
Origine: Danemark
Genre: Drame / Teensploitation
Durée: 82mn
Acteurs: Ole Meyer, Sven Hastel, Martin Hojmark, Kenneth Niesen, Jens Wagn Rasmussen, Svend Christensen, Tine Jensen, Henrick Rasmussen, Anja Baerentzen, Soren Barnstein Bercke, Hanne Olsen, Bjorn Martensen, Bo Jensen, Ivan Baumann, Helle Droob
Résumé: Un groupe de quinze adolescents âgés de 10 à 16 ans s'enfuient d'un centre d'éducation pour passer quelques jours sur une ile déserte. Ils volent un bateau et s'en vont. Malheureusement le bateau mal amarré dérive vers le large. Les adolescents se retrouvent abandonnés sur l'ile. Ils vont profiter de cette liberté forcée pour y découvrir les premiers frissons de la sexualité mais également faire face à la mort...
Spécialistes depuis la fin des années 60 du court et du long métrage "teen gay", de la teensploitation danoise, Lasse Nielsen et son compère régulier Ernst Johansen, (un éducateur professionnel à la base) mettent en route dés 1974 une sorte de trilogie qui s'étendra sur trois années, trois films qui rentrent dans la catégorie des "come of age movies", ces pellicules qui prennent pour sujet principal l'éveil de la sexualité, la quête de l'identité sexuelle à l'adolescence, les premiers émois et frissons amoureux. Le premier volet réalisé courant 1974 s'intitule La'os vaere (Leave us alone) devenu en français Foutez nous la paix.
Quinze adolescents âgés de 10 à 16 ans, las du centre d'éducation où ils vivent, décident le jour où leurs enseignants font grève de passer quelques jours sur une île inhabitée au large de Copenhague. Après avoir dérobé des provisions dans un supermarché ils prennent le train pour le port le plus proche puis volent un petit canot à moteur. Ils débarquent sur l'ile, installent leur campement. Malheureusement mal amarrée l'embarcation dérive, laissant derrière elle les adolescents désemparés avec pour seul lien avec le monde extérieur un poste de radio. Désormais seuls, abandonnés à leur propre sort, ils organisent leur quotidien. Ce séjour est aussi l'occasion pour certains de découvrir la sexualité. Mais il va se
transformer assez vite en cauchemar entre la violence des uns, la pression des plus âgés et les accidents qui couteront la vie à l'un d'eux. Dés lors plus rien ne va aller. Vivant de pêche et de chasse ils vont lentement retourner à l'état primitif puis commencer à s'entretuer...
Librement inspiré de Sa majesté des mouches de William Golding La' os vaere est un film assez étrange qui pourra en déconcerter certains quant à son but réel. D'intrigue il n'y en a pas vraiment. On suit simplement un groupe d'adolescents dont l'âge varie de 10 à 16 ans qui se retrouvent seuls sur une ile déserte et vont devoir se débrouiller avec ce qu'ils ont durant ces vacances forcées. Contrairement à Sa majesté des mouches il ne faut pas y
chercher de véritables messages ou autres sujets de réflexion d'ailleurs. Ce qui intéressent dirait-on les réalisateurs c'est de filmer leurs jeunes acteurs livrés à eux mêmes de manière quasi amateur, un peu comme un documentaire mais un documentaire quelque peu ennuyeux car il faut bien avouer qu'il ne se passe pas grand chose durant cette escapade ilienne du moins durant une grande partie du métrage. Leave us alone ressemble plus à un campement d'été qu'à un drame insulaire, nos jeunes, une fois le bateau parti à la dérive et un moment de vague panique, ne pensant qu'à s'amuser, jouer de la guitare, chanter et fumer. Fumer pourra choquer mais nous sommes en 1974. L'ère hippie n'est pas très loin,
cela se ressent. Fumer à leur jeune âge n'est pas vraiment un souci en cette lointaine époque définitivement révolue notamment pour les plus âgés. Impossible de ne pas penser à un micro Woodstock pour pré-ados en visionnant cette bande singulière qui se rapproche également de The genesis children de Anthony Aikman (1972) et bien sûr du futur La maladolescenza de Pier Mulargia (1977) dont Leave us alone pourrait être une ébauche. Du solaire The Genesis children nous avons l'idée de départ, des adolescents seuls sur une ile se découvrent, à la différence près qu'ils ne vivent pas nus et n'évoluent pas sur fond de religion exacerbée dans un contexte fortement homo-érotique. De cette fable noire qu'est
La maladolescenza nous retrouvons l'aspect sexuel, l'éveil de la sexualité, la perversité et la violence qui accompagne le passage de l'enfance à l'adolescence, aux premiers pas vers la vie d'adulte à ceci ci près que Leave us alone reste sage.
Contrairement aux deux références citées Nielsen et Johansen se contentent simplement de filmer leurs ados et pré-ados gambader, jouer, vivre torse nu au jour le jour. Les seules audaces que se permettent les réalisateurs est un nu intégral lors d'une baignade des deux amoureux, un pelotage et quelques rapides plans seins nus des deux jeunes filles. La violence s'exprime quant à elle essentiellement à travers deux personnages, Henrick et
Meyer, qui ne se supportent plus depuis que Henrick a laissé l'embarcation dériver. Le plus âgé passe son temps à l'humilier son cadet, à se battre avec lui. Elle sera bien plus présente lors des vingt dernières minutes, surement la meilleure partie du film, celle qui se rapproche le plus de Sa majesté des mouches. Suite au décès accidentel de l'un d'eux tout va basculer. Face à la peur, à la détresse, à l'abandon, les plus âgés vont retrouver leur instinct primaire, une régression qui laissera exploser la vraie nature de l'être humain, violente, destructrice à travers notamment la mise en place de rites tribaux (le sang de l'oiseau décapité sur le torse) et de mises à mort. On assiste à la destruction de la
civilisation qui ramène au final du film de Golding. Aucun happy end ici puisque nos jeunes finiront par s'entretuer après avoir découvert le cadavre de Henrick attaché à un arbre.
Quant à la sexualité elle est tout aussi survolée. Une idylle va se former entre Hanne et Martin, l'occasion d'une balade au bord de la plage, d'échanger quelques bisous, de se peloter et se baigner nus. Reste une petite scène de tentative de viol avortée vite regrettée par Jens son auteur, une pulsion inattendue après que Tine l'ait chauffé en lui caressant l'entre jambe. On est à des années lumière de La maladolescenza et de tant d'autres teenploitations européens. Plus curieux est le rapprochement entre deux garçons qui une
nuit sous la tante décident de partager le même sac de couchage. Puis l'un demande à l'autre s'il veut enlever son slip. Ils se retrouvent nus, côte à côte, se regardent et semblent apprécier cette intimité. On se demande la raison d'une telle scène puisque plus à aucun autre moment du film on ne reparlera de ce moment d'homo-érotisme, de ces instants partagés.
C'est peut-être le problème du film. Si le message en lui même est assez clair les intentions restent quant à elles floues. Au départ La' os vaere devait se présenter comme un joli voyage d'amour au cours duquel les adolescents découvraient de façon idyllique la
sexualité. Le voyage se transformait lentement en un sombre cauchemar, un voyage vers la mort. Il ne reste pas grand chose si ce n'est ce final amer. On aurait pu s'attendre à une longue descente aux enfers pour ces mini Robinson, à un récit plus poignant et tragique, une narration plus complexe, à beaucoup plus de psychologie surtout comme on était en droit d'attendre quelque chose de plus piquant mais également touchant quant à l'aspect sexuel. Tout est trop superficiel pour vraiment toucher et le fait d'avoir eu recours à de jeunes acteurs non professionnels (tous appartenant à un club de jeunesse de Copenhague) qui improvisent leurs dialogues n'arrangent pas vraiment les choses même s'ils font ce qu'ils peuvent.
Que penser donc de cette petite bande (82 minutes) étrangement tournée en noir et blanc puis en couleur? Tourné sur les terres du Juttland durant l'été 74 Leave us alone est loin d'être le meilleur teenpsloitation danois. Son manque de profondeur, sa narration trop simpliste parfois confuse nuisent à son efficacité mais le film de Nielsen et Johansen reste une véritable curiosité d'un autre temps, un film exploitatif trouble et troublant quant à ses véritables intentions. Difficile en effet de ne pas y voir avant tout un prétexte pour filmer de jeunes adolescents ivres de liberté sur une ile isolée. Chacun se fera son idée à la vision du film désormais disponible en édition numérique purement allemande agrémenté d'un
curieux "making of". Il existe cependant une édition non officielle toute simple avec sous titres anglais pour les non germanophones. Avec ses quelques pointes de salacité, sa conclusion cruelle, douloureuse, le trouble qu'il génère, ses cascades de cheveux longs, une chanson pop folk très "baba cool" qui revient tel un leitmotiv interprétée par Mette Leave us alone témoigne surtout d'une ère ultra permissive qui savait reculer toujours un peu plus les limites faisant fi des puritains, des moralistes et des censeurs pour notre plus grand plaisir. S'il pourra en choquer certains Leave us alone malgré ses défauts et son coté amateur conserve tout un coté fascinant, captivant et plaira sans aucun doute à tout ceux qui
aiment ce type de cinéma.
Leave us alone sera suivi l'année suivante par Maske ku vi' / Maybe we can (un groupe d'adolescents découvrent leur sexualité durant une prise d'otages) puis en 1977 par Du er ikke alene / You are not alone (deux adolescents découvrent leur homosexualité au sein d'un pensionnat danois austère), surement le plus connu des films du tandem puisque devenu une sorte de pièce culte au fil des décennies. Ainsi se clôturera cette trilogie "come of age".