Flashback
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Réal: Raffaele Andreassi
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 101mn
Acteurs: Fred Robsahm, Pilar Castel, Dada Gallotti, Sandra Dal Sasso, Gianni Cavina, Antonietta Fiorito, Pietro Bonfiglioli, Gabriele Fornacioni, Vittorio Gobbi, Sandro Medici, Paolo Salvarini, Angelino Luppi, Franco Laffi...
Résumé: Durant la seconde guerre mondiale une jeune sentinelle est oubliée par son détachement sur l'arbre où il s'était endormi le long de la ligne gothique. A son réveil il se retrouve seul dans la campagne toscane. Assailli par des flashbacks de plus en plus violents de son passé il erre dans les villages déserts et perd lentement la raison...
Grand spécialiste du court-métrage, journaliste, écrivain et peintre, Raffaele Andreassi n'a au cours de sa carrière mis en scène qu'un seul et unique long métrage, un film d'auteur, une réflexion philosophique sur la guerre, une oeuvre totalement anti conventionnelle qui fait aujourd'hui partie de ses pellicules rarissimes, quasi oubliées, mais qui n'en sont pas moins de vrais petits diamants pour le cinéphile. Ce petit bijou coécrit notamment avec Nello Risi, le frère de Dino, un autre intellectuel, et réalisé en 1968 s'intitule tout simplement Flashback.
Septembre 1944 quelque part sur les Appenins tosco-émilien - Durant une nuit l'armée allemande épuisée s'y retire et s'établit le long de la ligne gothique, la ligne de défense établie par les Allemands à travers la péninsule italienne, entre Pise et Rimini. A son départ un détachement oublie le jeune Heinz Prulier, un de ses soldats sentinelles qui perché sur un arbre avait pour mission de surveiller le camp. Il s'y est endormi. A son réveil il se retrouve seul, abandonné, devant faire face aux dangers de la guerre, l'ennemi étant tout proche. De cet arbre il fait son refuge et de là il observe, essaie de comprendre ce qui s'est passé. Il revit son passé sous forme de flashbacks qui interfèrent avec la réalité. Il revit ses
premières expériences sexuelles avec une jeune allemande, revit les difficiles épreuves vécues durant cette guerre qui l'a transformé en monstre et fait perdre la raison, l'homme devient une bête sanguinaire, un meurtrier et un violeur.
Rares furent dans les années 50 et 60 les films de guerre italiens qui osèrent donner le point de vue de l'ennemi, autrement dit des allemands, l'Italie s'étant quasiment toujours servi de cette occasion pour régler ses propres comptes. Un des premiers à avoir donné la parole aux teutons fut Rosselini avec notamment Germania anno zero (1948). C'est dans cette veine que s'inscrit Flashback, une oeuvre singulière qui du film de guerre n'en a que
l'enrobage. Pas de batailles ni d'attaques en effet cette fois, pas de bombes ni d'invasions armées si ce n'est durant les cinq premières minutes durant lesquelles un détachement de soldats allemands prend un peu de repos le long de la Ligne gothique. Passée cette rapide ouverture Flashback s'intéresse uniquement à une jeune sentinelle, un tireur d'élite oublié sur un arbre par ses camarades de combat. Et c'est sur son point de vue sur la guerre, sa vision des choses, les expériences traumatisantes qu'il a vécu que repose ensuite tout le film à commencer par son isolement.
Heinz est une sorte de Robinson Crusoe des temps nouveaux, un homme oublié non pas
sur une ile mais dans un arbre qui devient son refuge, perdu au milieu de la campagne. Commence alors un long voyage intérieur, une introspection durant laquelle non seulement il tente de savoir ce qui lui est arrivé mais aussi de comprendre ce qui se passe autour de lui. Il est seul, désespérément seul avec pour unique compagne la nature environnante. Très vite Flashback se transforme en un thriller existentiel aux limbes parfois du film fantastique voire d'horreur. On penserait même à un post nuke tant Heinz semble être l'ultime survivant d'une guerre qui a balayé l'humanité, un survivant qui erre, terrifié, dans la beauté de la campagne toscane, au milieu des ruines d'antiques villages désormais
déserts, le long des rivières où des charniers émergent de leur rive. De là nait non seulement un suspens de plus en plus pesant mais également une peur sourde quasi viscérale renforcée par les flashbacks de plus en plus violents assaillant Heinz qui régulièrement revit son passé sous forme de rêves, de cauchemars et de délires et lui font perdre progressivement sa lucidité, le font sombrer dans une lente folie. Présent et passé se mêlent alors régulièrement jusqu'à ce que rêve et réalité se confondent. Qu'est ce qui est vrai? Qu'est ce qui issu de l'esprit de plus en plus troublé, dérangé du jeune homme, un état mental que la solitude et la peur déstabilisent encore plus? Un exercice souvent risqué,
difficile mais auquel Andreassi jongle admirablement bien. Il joue à la perfection avec l'unité temps, rien n'est jamais confus, d'où un film d'une extraordinaire fluidité, superbement dynamique, terriblement angoissant d'autant plus inquiétant qu'il est quasiment dépourvu de dialogues.
Voilà un autre tour de force. Andreassi a choisi d'éliminer toute forme de bande originale et se passer le plus possible de dialogues au profit des sons de la nature qui devient presque un personnage à part entière. Le bruit du vent, de l'eau qui coule, le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux, le son du silence, des pas du soldat, sont les seuls sons qui
rythment cette pellicule étrange, fascinante et se greffent sur les pensées du soldat récitées en voix off monocorde. Andreassi a réussi haut la main à créer un langage sonore d'une extrême richesse qui accompagne les errances du protagoniste en ces lieux abandonnés, créant ainsi une atmosphère quasi horrifique non dénuée d'onirisme, de lyrisme. Curieuse, fascinante est entre autres la longue et magnifique scène où, nu, Heinz s'allonge sur un lit de pierres et dessine sur l'une d'elles un visage de femme, puis son corps jusqu'à ce que la pierre donne l'impression de prendre vie, de prendre l'apparence de sa petite fiancée.
Plus le film avance plus il vire à l'horreur, reflet de ce que Heinz est devenu faute à cette
guerre, un monstre meurtrier, un violeur. Loin est désormais le jeune homme qui revivait sa première et bucolique expérience sexuelle en début de film, un moment montré par le réalisateur sous forme d'élégie, c'est aujourd'hui quelqu'un qui avec ses compagnons n'hésite pas à violer une pauvre et innocente paysanne ni à filmer des exécutions sommaires, de pendre avec le sourire des partisans, une scène d'un cynisme révoltant qui comme la séquence stressante et crispante des cloches symbolisant la folie d'Heinz tranche de nouveau avec le lyrisme de la séquence finale, celle des ablutions de jeunes vierges dans la rivière pendant que leurs mères lavent le linge. C'est un moment de paix, un
intermède de sérénité, un doux songe avant qu'Heinz ne plonge dans une folie irréversible dont seule la mort l'en délivrera.
Le film doit également beaucoup à l'interprétation d'un tout jeune et déjà fort talentueux Fred Robsahm qui porte littéralement tout le film sur ses épaules. Il est simplement excellent et tout à fait étonnant pour sa première véritable prestation à l'écran, jouant parfaitement sur une palette d'émotions fort variées. On mentionnera également la performance de Dada Gallotti (la putain) et Pilar Castel (la petite fiancée), la soeur cadette de Lou Castel.
Cet unique essai cinématographique de Raffaele Andreassi aurait pu être d'un ennui
mortel. Difficile est le pari de tenir éveillé, de retenir l'attention du spectateur avec ce type de film atmosphérique privé de dialogues, dépourvu de toute musique. Andreassi y est parvenu haut la main grâce non seulement à la performance de Robsahm mais surtout à la force émotive des flashbacks, des images, à l'atmosphère inquiétante qu'il instaure tout au long de cette escapade campagnarde vers la folie et à la beauté des décors toscans magnifiés par une sublime photographie qui alterne le noir et blanc et la couleur. Andreassi était aussi peintre, son film est filmé comme une peinture avec un oeil d'esthète. Film sur les ravages,
les conséquences tragiques qu'une guerre peut avoir sur un homme, une victime quelque que soit son camp, Flashback est une pellicule fascinante, angoissante, hypnotisante qui en son temps reçut de nombreux prix à travers le monde avant de malheureusement lentement disparaitre. Voici un petit chef d'oeuvre rare du cinéma italien des années 60 difficile à visionner aujourd'hui si ce n'est lors de projections épisodiques en festival ou de soirées à la cinémathèque, son ultime diffusion datant d'une quinzaine d'années.