Sai cosa faceva Stalin alle donne?
Autres titres: Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes? / What did Stalin do to women?
Real: Maurizio Liverani
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Comédie
Durée: 81mn
Acteurs: Benedetto Benedetti, Helmut Berger, Margaret Lee, Silvia Monti, Solvejg D'Assunta, Nando Murolo, Piero Vida, Gianni Pulone, Beryl Cunnigham, Valeria Sabel, Cleofe Del Cile, Bruno Boschetti, Ferdinando Murolo, Sergio Leone, Augusto Tiezzi...
Résumé: Dans l'Italie de l'après-guerre alors en pleine montée du communisme deux jeunes communistes, Aldo, un photographe réalisateur de films pornographiques et son ami Benedetto ne vivent que pour Staline et leur parti. Benedetto pousse le vice jusqu'à être le parfait sosie du célèbre révolutionnaire russe y compris dans son quotidien de vie dans lequel il entraine son épouse Margaret et sa femme de chambre et accessoirement maitresse Anna...
Avant tout chose il est bon de présenter Maurizio Liverani, obscur metteur en scène italien qui à son actif n'a que deux films cet intrigant Sai cosa faceva Stalin alle donne et une comédie avec Gloria Guida Il solco di pesca. Frère d'un combattant de la X Mas, neveu d'un des ministres de Mussolini, Augusto Liverani, fusillé après la mort de ce dernier en 1945, Maurizio Liverani est issu d'une famille qui a toujours soutenu le fascisme. A 17 ans il fait déjà partie du mouvement volontaire pour la liberté dont il est un des solides partisans. Dès l'après guerre il part pour Venise où il intègre le parti communiste en tant que féroce militant. Grâce à ses appuis il entre en 1952 à la rédaction du célèbre quotidien Paese sera où ses antécédents fascistes feront beaucoup parlé. Le jeune Maurizio commence à fréquenter les milieux intellectuels, cyniques et désenchantés. Grâce à son amitié pour Alfredo Orecchio il devient critique cinéma pour différentes revues où ses avis ne passent pas inaperçus. Il se fait vite un nom et donne aux pages du spectacle un sang neuf, un ton osé et surtout bien plus libre qui révolutionne le milieu de la presse cinématographique. Liverani côtoie alors la crème culturelle du spectacle jusqu'à ce qu'il quitte définitivement le parti communiste en 1966 mais également son poste de chroniqueur au Paese sera. Durant toutes les années 70 et 80 il travaillera pour la revue culturelle Il dramma, parlera cinéma pour notamment Tempo illustrato et signera sous son pseudonyme Ivanovic Koba, nom de guerre de Staline, toute une série d'articles corrosifs dans Il borghese.
Sa connaissance parfaite de la gauche caviar, sa longue adhésion et sa lutte acharnée pour le parti communiste le pousse à signer en 1969 son premier film Sai cosa faceva Stalin alle donne dans lequel on suit les tribulations de deux jeunes communistes, Benedetto, membre acharné du parti, un admirateur invétéré de Staline dont il aimerait être le calque parfait, et son ami Aldo, un photographe de roman-photo et accessoirement metteur en scène clandestin de films pornographiques persuadé de pouvoir changer le monde grâce au cinéma. S'y mélangent également leurs aventures amoureuses dans la Venise de l'après guerre alors en pleine montée du communisme.
Difficile de raconter l'irracontable. Ce premier film de Liverani est une sorte d'OVNI dans le ciel du cinéma d'exploitation transalpin de cette fin d'années 60 dont il porte bon nombre de stigmates. Sai cosa faceva Stalin alle donne est un film qui ne se raconte pas mais qui se regarde si toutefois le visionner aide un peu mieux à déchiffrer le scénario. Rien n'est moins sûr! Il s'agit en fait d'un enchevêtrement de scènes, de saynètes qui se suivent sans vraiment de liens précis, une sorte de grand fourre-tout truffé de symboles tous en rapport avec le communisme et ses principaux pères fondateurs, Staline en tête bien évidemment.
Tourné sous forme de comédie Sai cosa faceva Stalin alle donne est en fait une satire au vitriol du communisme, du stalinisme, de ceux qui suivent le mouvement plus par mode que par réelle conviction. Sous ce titre tout spécialement racoleur mais injustifié puisqu'il ne s'agit en rien de la vie amoureuse d'un des plus féroces révolutionnaires et de ses hypothétiques perversions sexuelles se cache en réalité une vision amère et sarcastique de l'Italie de l'après-guerre et de sa jeunesse, une génération aux dents longues pleine d'espoir et de vie qui adhérèrent au culte de Staline. Liverani fit partie de ces jeunes, il sait de quoi il parle et en parle avec amertume. Liverani vit également ces mêmes jeunes abandonner au fil du temps Staline pour d'autres maitres à penser comme Che Guevara, Fidel Castro ou Ho Ci Min régulièrement cités avec sarcasme dans le film. Mais Staline demeure le plus important du moins pour les communistes du film. Ils se reconnaissent en lui, vivent à travers lui, se sentent en sécurité. forts, craints, respectés dans les milieux aristocratiques dans lesquels ils évoluent. Il est un modèle auquel ils s'identifient avant tout par snobisme. Ressembler physiquement à Staline est par conséquent une chance, un privilège qu'on exploite à fond, une similitude que possède Benedetto, militant fanatique, dont il est particulièrement fier sur laquelle il va jouer durant tout le film avant de partir à sa mort pour le Vietnam pour perpétuer ses racines communistes.
Avec ce film le seul objectif de Liverani était de divertir le public en lui offrant une comédie satirique. A t-il choisi une réalisation adéquate? Difficile en effet de s'amuser tant le film est destructuré, anarchique et privé de trame narrative. Il donne l'impression d'une succession de vignettes parfois osées, subversives qui se veulent simplement humoristiques, drôles tout en restant bizarres mais qui au final ne font guère mouche. Elles interpellent mais n'ont pas l'impact réellement souhaité. Sur quelques minutes de film on peut facilement s'ennuyer d'autant plus que la mise en scène n'est pas forcément dynamique. Facile ainsi pour l'ennui de lentement gagner un spectateur déconcerté, peu concerné qui ne sourit que trop peu. Et ce n'est pas l'érotisme somme toute assez discret qui le sortira de sa douce torpeur même si quelques trouvailles et le charme des actrices opèrent puisque c'est toujours un plaisir de revoir Margaret Lee et Silvia Monti, ravissantes comme d'accoutumée, arborant de splendides tenues.
C'est donc son coté bizarre, singulier, délirant, sa folie, qui sous bien des aspects sauve le film, un délire fortement estampillé fin années 60 mené de main de maitre par Benedetto, omniprésent. Sosie de Staline, il se comporte comme lui, pense comme lui, s'habille comme lui grâce à sa collection d'uniformes et surtout les dizaines de moustaches qu'il épingle sur la porte capitonnée de ses toilettes. Son épouse Margaret s'est faite tatouer une croix gammée, un marteau et une faucille sur la fesse, danse sur un lit recouvert de draps à l'effigie de Staline tout en fredonnant l'air de Dumbo. Elle satisfait sexuellement son époux en lui murmurant à l'oreille des surnoms soviétiques ou en lui récitant le nom de tous les plus grands communistes. Bien entendu infidèle Benedetto trompe son épouse avec Anna, sa femme de chambre, en lui faisant entre autre l'amour dans une cage à torture caché dans une crypte macabre recouverte des portraits de son Dieu.
On appréciera également les paysages gris, tristes d'une Venise hivernale battue par le vent et la pluie toujours aussi fascinante accompagnés par une jolie partition musicale signée Ennio Morricone, quelques séquences visuellement magnifiques aux limbes de l'onirisme (la balade dans le parc aux monstres de Bomarzo, les scènes dans la crypte...), drôles (la découverte du corps d'Hitler dans une armure)
L'affiche est alléchante également. On y retrouve en effet un tout jeune Helmut Berger fraichement sorti des Damnés. C'est d'ailleurs Visconti, enthousiaste face au scénario, qui le poussa à accepter le rôle de Aldo éclipsé il faut l'avouer par la performance de Benedetto Benedetti, acteur non professionnel avant tout scénariste (Les sorcières du lac, Tire encore si tu peux) ici bluffant dans le rôle de ce militant aveuglé par Staline. Son interprétation, son jeu, son aisance sont assez surprenantes et c'est plutôt surprenant de constater qu'après ce film il décida de ne plus passer devant la caméra. C'est Romolo Valli qui le double et donne au personnage un ton unique franchement réussi. Margaret Lee et Silvia Monti, excellentes, apportent l'indispensable touche féminine au film. Choisie pour sa ressemblance avec une des filles de Mussolini, c'est l'artiste de cabaret Solvejg d'Assunta qui interprète la femme de chambre. On reconnaitra au passage Beryl Cunningham, la modèle de couleur, et notera la participation de Sergio Leone.
Produit par Enzo Doria qui la même année avait déjà produit Les cannibales de Liliana Cavani le film connut bien des problèmes dés sa mise en chantier. Hormis son manque de budget, Liverani dut affronter les coups bas de Doria qui tout le tournage durant tenta de saboter le film pour des raisons de convictions politiques. Présenté à la Mostra de Venise en 69 il fut froidement accueilli et hué par la majorité des communistes présents dans la salle. Ce fut ensuite le producteur Pietro Notarianni qui au départ devait le produire qui tenta de séquestrer le film. Mais c'est la censure qui fut la plus féroce. Si à Noël 69 Sai cosa faceva Stalin alle donne? se retrouvait à la seconde place du box office à Bologne il fut très vite retiré de l'affiche puis interdit de toute projection suite à l'intervention des partis libéraux. Mais c'est surtout et avant tout l'actrice Margaret Lee qui a le plus souffert des répercutions de sa sortie en salles pour l'avoir soutenu. Le parti communiste chrétien l'obligea à quitter l'Italie. Devenue persona non grata, producteurs et réalisateurs eurent pour mot d'ordre de ne plus faire appel à ses services, une décision brutale, violente, qui brisa la carrière de l'actrice qui parvint tout de même à tourner encore quelques films (Le dépravé dans lequel elle retrouve Helmut Berger, Les insatisfaites poupées érotiques du Dr Hichcock, Un ottimo di vita) et surtout quelques coproductions notamment avec l'Espagne et la Yougoslavie (Le trône de feu, Donna sopra femmine sotto). Le film disparut lentement des circuits jusqu'à devenir totalement invisible. Il resurgit bien des années plus tard par le biais de la télévision mais là encore la censure s'abattit sur lui. Diffusé tard dans la nuit sur Italia 1, il vit en outre le nom de son réalisateur être banni des programmes télévisés. Liverani en fut averti et reçut comme seule explication de la part du président de la chaine qu'il n'était décemment pas possible d'imprimer son nom dans les journaux. Seule Odeon TV continua de le diffuser de temps à autre avant qu'il ne disparaisse de nouveau de la circulation.
Au fil du temps Sai cosa faceva Stalin alle donne? est devenu une sorte de Graal pour les collectionneurs puisque resté totalement inédit tant en vidéo qu'en DVD. Longtemps introuvable, oublié de toutes les programmations et autres festivals, une récente édition française permet enfin de visionner aujourd'hui cette bizarrerie d'un autre temps désormais culte pour les passionnés d'énigmes pelliculaires perdues.
S'il rappelle le cinéma de Godard notamment La chinoise Sai che cosa faceva Stalin alle donne? reste essentiellement une étrangeté cinématographique, un délire singulier, acide, sarcastique et provocateur comme seules les années 60 et 70 ont su en livrer. Outre son extrême rareté c'est la principale raison pour laquelle cette comédie où les tons rouges prédominent à tout spécialement sa place dans la vidéothèque du collectionneur. Qu'on le trouve ennuyeux, déroutant ou stupide, qu'on l'aime ou qu'on le déteste il ne laissera cependant pas indifférent ne serait ce que pour son coté barré.
Vive l'ami Staline! Vive le communisme!