Un'anguilla da 300 millioni
Autres titres: Un'anguilla da trecento millioni / An eel worth 300 million
Real: Salvatore Samperi
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Comédie/ Drame / Thriller
Durée: 1h46mn
Acteurs: Lino Toffolo, Ottavia Piccolo, Mario Adorf, Rodolfo Baldini, Senta Berger, Gabriele Ferzetti, Daniele Dublino, Ricky Gianco, Sergio Cesca, Carla Mancini, Luciano Spadoni, Franco Marletta...
Résumé: Secondé par Lino, un jeune paysan, Bissa, un tranquille pécheur d'anguille, vit dans une cabane dans la campagne vénitienne. Un jour Vasco, un vieil ami de Bissa, arrive à la cabane accompagné d'une jeune fille, Tina, qu'il leur demande de garder quelques jours. Tina est une toxicomane échappée de son centre de désintoxication et recherchée par la police. Les deux pécheurs acceptent. Tina leur avoue bientôt qu'elle ne connait aucun Vasco mais qu'en fait elle a été kidnappée. Elle serait la belle-fille d'un diplomate qui lorsqu'elle avait 14 ans aurait tenté de la violer. Quelques jours plus tard, la voiture de Vasco est retrouvée au fond d'un torrent. L'homme est mort. Tina reconnait la voiture qui a servi a son rapt. Bissa réalise que Vasco s'est servi de lui et veut aller à la police. Tina le fait alors chanter. S'il va au commissariat elle dira que ce sont les deux pécheurs qui l'ont enlevé. Bissa et Lino vont devoir simuler un enlèvement. Qui est en réalité Tina? Quelles sont ses réelles motivations? Pourquoi un tel comportement? Les deux pécheurs vont le découvrir bien malgré eux...
Entré très tôt dans le mouvement contestataire soixante-huitard c'est de cette période que Salvatore Samperi puisera un de ses thèmes favoris qui caractérisera sa filmographie: l'anticonformisme et la caricature anti-bourgeoise, un des principaux sujets de Grazie Zia / Merci ma tante son premier film. Grazie zia représente parfaitement ce que sera le cinéma de Samperi puisqu'on y trouve en effet deux de ses principales composantes: une vision amère de la société démo-chrétienne et les histoires d'amours morbides qui mènent inéluctablement au drame, une des bases d'un certain cinéma érotique transalpin dont Malizia, considéré comme la pièce maîtresse du réalisateur, en représente la quintessence même.
S'il s'est avant tout spécialisé dans ce type de films, Samperi s'est cependant intéressé à d'autres genres avec plus ou moins de bonheur dont la comédie dans les années 80 avec notamment le faible L'amour en première classe ou pire Sturmtruppen / Le bataillon en folie de bien piètre mémoire. Très peu connu, et pour cause puisque le film est aujourd'hui totalement invisible, Un'anguilla da 300 millioni co-écrit avec Aldo Lado également assistant réalisateur est une oeuvre difficilement classable, hybride de plusieurs genres, un mélange de comédie, de satire sociale, de drame et de thriller plutôt étonnant, presque singulier.
Bissa secondé par un jeune paysan nommé Lino vit d'une petite rente que lui verse l'état pour avoir été partisan durant la guerre. La pêche à l'anguille lui permet d'arrondir ses fins de mois. Il vit dans une cabane dans la campagne vénitienne, à Caorle, et sort de temps à autre avec la comtesse Spadona, une jeune veuve qui adore faire l'amour sur la tombe de son défunt mari et tromper Bissa avec le garde-pêche. Un jour il voit son vieil ami Vasco qui fut jadis son chef débarquer avec une jeune fille, Tina, qu'il lui demande de cacher quelques temps. Tina serait une toxico-dépendante échappée d'un centre de désintoxication et recherchée par la police. Au nom de leur amitié, Bissa accepte le temps que les choses se calment. Petite preste, Tina va en faire voir de toutes les couleurs à Bissa et Lino qu'elle accuse même d'avoir voulu la violer alors qu'il ne faisait que vouloir l'embrasser. La jeune fille finit par leur avouer qu'elle est la belle-fille d'un diplomate, un homme horrible qui lorsqu'elle avait 14 ans a voulu abuser d'elle et voler tout l'argent qui lui revenait. Elle s'est enfuie pour lui échapper mais elle a été kidnappée par un homme qui s'avère être Vasco. Bissa ne peut croire que son ami puisse être capable d'un tel acte. C'est alors que les deux pêcheurs apprennent que Vasco est mort, sa voiture qui a bel et bien servi au rapt retrouvée au fond d'un torrent. Bissa réalise que Vasco s'est servi de lui. Il décide d'aller tout raconter à la police mais Tina l'en empêche et fait chanter les deux pécheurs. S'ils vont au commissariat elle dira que ce sont eux qui l'ont kidnappé. Tina exige que Lino et Bissa organisent un faux rapt et demande à son père 300 millions de lires, ce qui équivaut à la fortune qui lui aurait extorqué. Contraints et forcés, ils s'exécutent ignorant qu'autour d'eux se referme un piège inexorable monté de toute pièce par la diabolique et vicieuse jeune fille.
Difficile de résumer Un'anguilla da 300 millioni en seulement quelques lignes tant le scénario est complexe sous son apparente facilité. Tout commence sur le ton d'une comédie légèrement aigre douce avec la présentation souvent délicieuse, mélancolique, des deux pêcheurs, Bissa et Lino, avec lesquels Samperi dresse une peinture souvent fraiche et drôle de la vie dans les campagnes vénitiennes et villages lacustres en ce début de décennie. Il y incorpore quelques touches d'érotisme morbide avec le personnage de la belle veuve nymphomane qui pour se consoler se jette dans les bras de Bissa peu gêné de forniquer sur la tombe du défunt époux. L'atmosphère est douce, paisible, à l'image des magnifiques paysages marécageux dans lesquels se situe l'action. C'est dans un morceau de l'Italie paysanne que le cinéaste plonge son spectateur en l'invitant à suivre la vie de Bissa et de son jeune acolyte, deux personnages auxquels on s'attache vite, rythmée par leurs rêves, leurs prises de bec, leurs mésaventures et les infidélités de la veuve et du garde-pêche jusqu'à l'arrivée de Tina, mystérieuse jeune fille qui va bouleverser leur quotidien mais surtout faire réellement démarrer le film.
S'il conserve le même ton celui de la comédie agrémenté de nombreuses touches d'humour (les emplettes typiquement féminines que doit faire Bissa pour Tina par exemple) Samperi ne renonce cependant pas à une certaine satire sociale en dénonçant une fois de plus les vices de la bourgeoisie représenté d'une part par la comtesse aux fantasmes érotiques morbides par le père de Tina d'autre part, notable de renom supposé avoir violé sa belle-fille encore adolescente et extorqué ses biens en épousant sa mère. Mais du beau-père ou de l'innocente jeune fille qui est le plus vicieux, le plus pervers, à moins qu'ils ne personnifient le fameux dicton Qui se ressemble s'assemble.
Lentement mais sûrement, avec intelligence et beaucoup d'adresse Samperi tisse une sorte de toile d'araignée invisible autour de ses deux pêcheurs entrainés malgré eux dans une histoire qu'assez rapidement ils ne contrôleront plus, ne réalisant pas que Tina tire les ficelles d'un jeu machiavélique dont elle seule connait les règles et surtout l'objectif final. Plus qu'aux poissons que les deux hommes pêchent l'anguille du titre fait surtout référence à Tina, serpent qui se faufile, se glisse, se tapit. Sans pour autant oublier la légèreté de la comédie, il glisse progressivement vers une intrigue policière qui se termine en thriller dont le final incendiaire totalement inattendu, insoupçonnable, fera toute la lumière sur les agissements de Tina, être malfaisant terriblement maligne et dangereuse.
Certes l'intrigue giallique n'est pas très probable, certains pourront la qualifier de faible mais Samperi grâce à une solide réalisation, une montée dramatique tout en puissance, une interprétation irréprochable et les superbes décors naturels des paisibles campagnes lacustres de Caorle rend le film captivant au fur et à mesure que le métrage avance aidé par une très jolie partition musicale signée Fiorenzo Carpi et arrangée de main de maitre par Bruno Nicolai. Le retournement de situation final qu'on pressentait après les révélations du complot est là encore classique dans sa forme mais a t-on déjà souvent vu triompher le mal à l'écran. Comme quoi bien mal acquis ne profite jamais. Qui est pris croyait prendre!
On saluera une distribution optimale, Lino Toffolo en tête, tout bonnement merveilleux, tout en justesse, émotion et drôlerie aux cotés de Mario Adorf, tout aussi excellent. Incarnation parfaite de l'Italie provinciale, ses joutes verbales avec Toffolo sont souvent exquises, récitées de surcroit en dialecte vénitien afin d'accroitre l'aspect réaliste de l'histoire. Le jeune Rodolfo Baldini, plus séduisant que jamais même en bottes boueuses, forme avec Toffolo un duo de pécheurs attachant, hautement sympathique. Quant à Tina, elle est interprétée par une toute jeune Ottavia Piccolo, peut être pas encore une grande actrice mais tout à fait candide et surtout charmante. Alors fiancée à Rodolfo, le couple faisait la une des revues fleur bleue de l'époque en Italie. leur amour comme dans Uccidere in silenzio l'année suivante, transpire à l'écran et apporte une petite touche de fraicheur supplémentaire dans leur jeu respectif. Quant à Senta Berger son rôle de jolie veuve tendance nymphomaniaque morbide est un peu inutile, son nom est avant tout une valeur sûre à l'écran.
Oeuvre composite malheureusement complètement méconnue, Un'anguilla da 300 millioni tourné durant l'hiver 70-71 mérite toute l'attention du spectateur. Voilà une séduisante petite réussite d'amalgame de genres qui non seulement tient en haleine quasiment deux heures durant mais charmera également par son coté sympathique et l'humanisme des caractères principaux baignés dans une atmosphère campagnarde parfaitement recréée. Samperi n'a certes rien inventé mais le talent et l'amertume dont il fait preuve ici font de cette Anguille à 300 millions de lires un film brillant, une pièce de collection rarissime pour tout amoureux de ce style de cinéma transalpin.
Ce petit bijou est d'autant plus recherché qu'il est aujourd'hui quasi introuvable, disparu peu de temps après sa sortie en Italie en mai 71. Il n'a jamais bénéficié d'aucune édition vidéo dans quelque langue que ce soit encore moins de sortie DVD. Il n'a jamais été programmé dans aucun festival ou rétrospective. Il n'a plus été diffusé sur les chaines italiennes depuis bien des décennies, ses rares passages ayant été relégué tard dans la nuit. Heureux sont donc les possesseurs de vieilles et médiocres bandes enregistrées en Italie au temps magique des magnétoscopes. Bonne chasse dans les marais non pas à anguilles mais à trésors perdus!