Las melancolicas
Autres titres: La fille de l'exorciste / Aberrazioni sessuale in un carcere femminile / Exorcism's daughter
Real: Rafael Moreno Alba
Année: 1971
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 96mn
Acteurs: Analía Gadé, Francisco Rabal, Espartaco Santoni, María Asquerino, José Vivó, Helga Liné, Yelena Samarina, Asunción Balaguer, María Vico, Pilar Bardem, Eulália del Pino, Ana María Espejo, Rosa Fontana, Mery Leyva, María Salerno, Susan Taff, Inma de Santis, Betsabé Ruiz, Virginia Samso, Víctor Israel, Fernando Sánchez Polack...
Résumé: Au 19eme siècle, fraichement arrivé dans une province espagnole, le docteur Alba découvre l'asile psychiatrique qu'il va désormais diriger. Maltraitées, battues, humiliées et souvent violentées, les patientes ne connaissent comme soins que la cruauté des nonnes et des gardiens. Choqué par les conditions dans lesquelles elles vivent il va tenter d'y introduire quelques changements et plus particulièrement ses nouvelles méthodes de traitement par hypnose...
Las melancolicas fait partie de ces films qui ne furent guère aidés à leur sortie tant en Italie qu'aux USA, il est comme beaucoup d'oeuvres espagnoles resté inédit en France. Il fut en effet joyeusement mais de manière bien aberrante retitré en Italie Aberrazioni sessuale in un carcere femminile, lancé comme un pur et fort alléchant WIP avant l'heure, tandis qu'au pays de l'Oncle Sam il s'intitula Exorcism's daughter, présenté cette fois comme un sous
Exorciste. Las melancolicas n'est rien de cela puisqu'il s'agit en fait d'un film qui traite des conditions désastreuses et bien souvent abominables dans lesquelles vivent les patients des hôpitaux psychiatriques et les maltraitances dont ils étaient victimes de la part du personnel soignant dans les années 70. En ce sens le film de Rafael Moreno Alba peut facilement se rapprocher d'oeuvres aussi fracassantes que poignantes telles que le rarissime La casa delle mele mature / Les assoiffées du sexe de Pino Tosini et Valeria dentro e fuori de Brunello Rondi transposées sous le terrible régime de Franco.
Nous sommes quelque part dans une petite province d'Espagne au début du 19ème siècle dans un hôpital psychiatrique. Les patientes y vivent dans la crasse au milieu des rats, des cafards, maltraitées et terrorisées par des religieuses insensibles et un gardien cruel, Puzo, qui règne en maitre sur l'asile. Sadique, il satisfait sur elles ses instincts libidineux et pervers, pensant avant tout à prendre du plaisir en les violentant entre deux rasades d'alcool.
Douches écossaises et châtiments corporels sont pour le personnel médical les seuls soins reconnus. Fraichement débarqué de Vienne, le Dr Rafaël Alba, le nouveau directeur aux méthodes progressistes, va mettre un terme à ces violences quotidiennes et pratiquer une nouvelle forme de thérapie, l'hypnose, afin de sonder l'inconscient des malades. Cette nouvelle méthode est très mal accueillie par ses collègues qui la considère comme de la pure sorcellerie. Les notables de la ville quant à eux le voient comme un imposteur tandis que la riche présidente du bureau administratif, veuve joyeuse et principale source de
subventions de l'hôpital, ne pense qu'à le mettre dans son lit. Alba, touché plus particulièrement par la fragilité d'une de ses patientes, Tania, va utiliser la jeune femme comme principal sujet de ses méthodes révolutionnaires afin de prouver leur bien fondé et donner ainsi un peu plus de liberté aux malades. Il va tenter de faire rejaillir le passé de Tania lorsqu'elle vit mourir sa mère lors d'un exorcisme, un dramatique évènement qui la fit sombrer dans la folie. Humiliée par le fait d'être repoussée par le jeune et fringant docteur qui lui préfère Tania, la présidente va le faire chasser de la ville avant qu'il n'ait pu guérir la jeune fille.
Distribué en France sous le titre La fille de l'exorciste dix ans après sa réalisation, sans aucun véritable circuit, passé inaperçu au Brady entre deux programmations pornographiques, Las melancolicas n'est en rien un film d'horreur. On est ici face à un drame social qui derrière l'excuse de dénoncer les conditions inhumaines dans lesquelles vivaient les malades mentaux reclus dans des asiles précaires et crasseux pointe avant tout du doigt le régime franquiste. Réalisé en plein âge d'or du cinéma fantastique ibérique qui fut très souvent un moyen détourné pour tromper la vigilance d'une censure draconienne Las melancolicas est un violent pamphlet politique, un véritable cri à la liberté dans lequel Alba
s'érige en accusateur inflexible. Ce n'est pas un hasard si son principal protagoniste, le jeune docteur aux idées révolutionnaires, se nomme... Rafaël Alba! Les soeurs et les gardiens plus spécialement Puzo, le petit despote, incarnent toute la terreur et la cruauté du régime, son aberration, ses extrêmes. Ils s'amusent avec le peuple et rient de sa souffrance (les séances de jet d'eau, jeu préféré de Puzo). Les notables et les bourgeois personnifient de leur coté l'hypocrisie qui se tournent toujours là où le vent souffle pour servir au mieux leurs intérêts. Quant à la religion, absurde et dévastatrice, elle est toujours à l'origine des
guerres et source d'aberrations. Les débordements du catholicisme exacerbé est très bien imagé par l'exorcisme subi par la mère de Tania, l'origine même de son traumatisme d'enfance, et le refus de l'Eglise d'assimiler la science non pas à une thérapie mais à de la sorcellerie. Rafael Alba Moreno a parfaitement su symboliser chacune des castes alors en place. L'ennemi pour sa part est représenté par le docteur et Tania, le guérisseur et sa malade liés par une relation moralement interdite. Ensemble ils forment la rébellion, les patientes sont le peuple qui un jour se révoltera et courra libre, hurlant de joie dans les rues. Dans ce sens, la scène où une malade accouche d'une poupée tandis que ses compagnes hystériques explosent de joie est pleinement symbolique. Pourtant La fille de l'exorciste est un film bien pessimiste et le final laisse présager d'un avenir bien sombre. Le docteur, chassé, échouera, obligé de fuir, laissant derrière lui Tania et ses patientes/soldats entre les mains de leur tortionnaire, Puzo qui pour l'occasion a revêtu un uniforme rutilant neuf couvert de médailles, leur jurant qu'un jour il reviendra les chercher et qu'elles seront libres.
Même si La fille de l'exorciste est une virulente peinture du régime alors en place, il n'en demeure pas moins un film à but exploitatif qui attisera par certains aspects les bas instincts d'un public voyeur et fera la joie d'un public amateur d'un certain cinéma Bis dont Alba n'évite pas les écueils. Il prend un malin plaisir dés l'ouverture, malsaine à souhait, à filmer ses malades dans toute leur dénaturation, montrer à l'excès la folie et la violence crasse à l'image même des lieux. Même si elle reste contenue, cette violence n'en est pas moins par instant étonnamment percutante et risque de mettre mal à l'aise les plus sensibles même si on a connu beaucoup plus subversif dans le genre. La nudité est elle aussi présente,
raisonnablement mais toujours complaisante, à travers les ébats lesbiens assez dérangeants, presque démoniaques, de quelques aliénées frustrées, qui se finiront en orgie dans l'eau et la crasse des geôles et les relations sexuelles, les viols devrions nous dire, qu'entretiennent les gardiens lubriques avec les malheureuses pensionnaires, filmées de manière crue. Alba oscille ainsi maladroitement entre le pur WIP dont le métrage emprunte bien des codes et le film dramatique social, ce dernier disparaissant assez régulièrement pour justement laisser la place à l'exploitation. Quant à la scène de l'exorcisme présentée sous hypnose, rondement menée, elle demeure très efficace et plutôt impressionnante aussi courte soit elle.
Outre ce coté exploitatif qu'on appréciera, le film doit surtout beaucoup à l'interprétation souvent magistrale de comédiennes investies avec en tête l'argentine Analia Gadé, impressionnante et touchante dans le rôle de Tania. Si Brunello Rondi avait tourné dans un véritable hôpital psychiatrique avec de vrais malades mentaux, un procédé que certains pourront trouver abject mais que nous apprécions en ce qui nous concerne pour son coté particulièrement dur et transgressif, Alba n'a pas eu besoin de tels moyens pour rendre crédible et surtout spectaculaire le film, ce qu'il est sans artifice. A leurs cotés, on retrouvera Espartaco Santoni qui brillera de nouveau quelques années plus tard dans Lisa et le diable
de Mario Bava et Francisco Rabal dans l'uniforme dépenaillé du sadique Puzo. On reconnaitra parmi les pensionnaires de l'asile une Helga Liné méconnaissable.
Non exempt de défauts notamment une mise en scène parfois en dents de scie qui alterne excellentes séquences (les sévices sexuels, l"accouchement de la poupée, les hallucinations de Tania dans le clocher, l'exorcisme, la tonte et la danse des aliénées au ralenti dans un essaim de plumes...) et longs passages plus ennuyeux, un coté par moment un peu trop convenu, cette hésitation permanente entre pure exploitation et drame dénonciateur de haute envergure, La fille de l'exorciste bénéficie cependant d'une solide photographie de Mario Pacheco qui met en valeur ces lieux de réclusion tant physique que mentale.
Le film d'Alba mérite toute l'attention du spectateur, parfait exemple là encore d'un cinéma espagnol trop méconnu qui subissait les lois et dictats d'un régime particulièrement répressif qu'il savait contourner de manière souvent inventive.