Gloria Mundi
Autres titres: Tortura
Réal: Nikos Papatakis
Année: 1976
Origine: France
Genre: Drame
Durée: 115mn
Acteurs: Olga Karlatos, Roland Bertin, Philippe Adrien, Mehmet Ulusoy, Armand Abplanalp, Christiane Tissot, Jean-Louis Broust, Anna Douking, Jacques Ebner, André Lambert, Antoinette Moya, Didot Lyloudis, Louis Navarre, Alain Halle Halle...
Résumé: Réalisateur de cinéma, Hamdias tente de mettre en scène son nouveau long-métrage ayant pour thème la torture. Faute d'argent, il doit abandonner. Sa femme, Galai, va tenter de continuer son oeuvre tandis que Hamdias va s'adonner à la vie militante. Galai est prête à tout pour réaliser ce projet, allant d'humiliations en humiliations, s'infligeant les pires tortures afin de trouver le véritable cri de la suppliciée, vision radicale et ultime de la souffrance et de la douleur...
Il est très difficile de parler d'un film aussi complexe que Gloria Mundi connu en Italie sous le titre très explicite de Tortura. A sa sortie en France en 1976 il fut totalement interdit suite aux attentats à la bombe commis dans les rares salles où il passait. Tout en mettant en exergue les idées contradictoires tant des révolutionnaires que des contre-révolutionnaires sur fond de guerre d'Algérie, une des principales causes de scandale qu'il provoqua alors, Gloria mundi est un film sur la torture, la torture assumée et le masochisme poussé à l'extrême d'un réalisme effroyable, souvent insoutenable mais cependant jamais complaisant qui n'est pas sans rappeler par maints aspects Salo et les 120 journées de sodome et surtout Faccia di spia, cette vague de cinéma socio-politique contestataire et révolutionnaire typique des années 70.
Gloria Mundi c'est avant toute chose l'histoire d'une femme, Galaï. Hamdias, son amant, cherche à réaliser un film sur la torture mais qui faute d'argent doit interrompre le tournage. Il abandonne Galaï afin de s'adonner pleinement à la vie militante. Galaï va alors poursuivre son oeuvre et aller d'humiliations en humiliations pour trouver l'argent, s'infligeant elle même les pires tortures afin de pouvoir trouver le véritable cri de la suppliciée, le hurlement ultime de la souffrance, la vision définitive de la douleur.
Pour écrire son film, le réalisateur / producteur Nikos Papatakis s'est basé sur des faits réels. Il prend en effet pour modèle la tragédie de cette algérienne militante, Djamila Boupacha, qui fut torturée par les paras du général Massu en 1960. Accusée d'avoir déposé une bombe dans un bar d'Alger, elle est emprisonnée, suppliciée et violée. Son calvaire durera six mois. Cette histoire lui sert donc de base afin de donner au film un certain réalisme et apporter la vraisemblance nécessaire à l'ensemble. Destiné à un public averti, Gloria Mundi inflige au spectateur quasiment 90 minutes de supplices, d'auto-tortures et d'humiliations dégradantes sur fond de hurlements hystériques. Une bonne partie de la
bande-son est en effet composée de cris de toutes sortes enregistrés sur bandes magnétiques qu'écoutent en boucle Galai afin de trouver l'inspiration: cris et pleurs de bébés au visage tuméfié, de suppliciés, de rescapés de bombardements et d'attentats, de blessés graves mais également des injures vociférées par des paras tandis qu'ils torturent leurs victimes..., une véritable cacophonie de l'horreur qui se mêle aux propres cris de la jeune femme. Quant aux différentes tortures et autres sévices, Papatakis en déploie toute une panoplie qui risque de faire trembler d'effroi et fermer les yeux aux plus sensibles. Ainsi Galaï s'inflige d'abominables tortures à l'électricité en se plaçant des électrodes à fort voltage sur les seins et le clitoris, se brûle la poitrine avec des cigarettes, se force à ouvrir des bouteilles de bière avec son sexe, se fait vomir sur le corps... Prête aux plus incroyables des abominations, elle s'offrira à ses bourreaux pour les besoins de son film. Humiliée, mise à nue, battue, elle se verra finalement infliger la pire des punitions, se faire sauvagement pénétrer par le goulot d'une bouteille. Son tortionnaire, un soldat colonial, en boira ensuite son contenu qui se mélange au sang vaginal tandis que le corps inconscient et désarticulé est emporté par ses sbires.
Hormis ces séquences d'une incroyable force, il y a beaucoup d'autres choses dans ce film. Les thèmes se chevauchent, s'interfèrent, se croisent, se complètent et forment une gigantesque toile à laquelle le spectateur est confronté: l'argent et le pouvoir indissociable, la libération politique et sexuelle, l'humiliation et les rapports maître/esclave, victimes/bourreaux... D'un rare pessimisme, particulièrement oppressant et sordide à l'image même des décors miséreux, putrides, il n'y dans Gloria Mundi aucune once d'humanité ou d'espoir, encore moins de place pour la compassion ou la bonté. Tout n'est que violence,
seule véritable réponse à la violence. Papatakis livre une vision d'une clarté effrayante de notre monde et sur l'Homme, une image aussi brute que brutale du patriotisme qu'il assimile à la torture assumée qui mène inexorablement à la folie des autres. Cette aliénation ne peut trouver fin que dans la mort, ici celle d'Hamdias. Papatakis tente de démontrer avec une inouïe violence que l'oppression ne peut être détruite. Elle reviendra sans cesse au cours de l'Histoire véhiculée par la pensée interdite. Tout se fige, il n'y a plus aucune évolution mais simplement des révolutions qui comme dans un cercle vicieux viennent tuer l'évolution et leurs glorieux défenseurs.
Derrière son implacable brutalité Gloria Mundi est également un film sur l'amour, l'amour absolu. D'une façon effroyablement limpide, Papatakis montre que l'amour et nos propres sentiments sont nos pires ennemis. Au coeur de toutes ces tortures se trouve l'ultime, la plus violente de toute, l'amour. Il n'y a en effet pas pire bourreau, pas d'autres plus cruels que nous mêmes. Les souffrances qu'on s'inflige sont les pires de toutes, les douleurs qu'on s'impose sont les plus insoutenables. Les victimes ne sont pas donc toujours les innocents, on alterne les rôles régulièrement au cours de notre vie de façon plus ou moins consciente.
Lorsque l'on s'en rend compte, il est souvent trop tard. Aimer fait endurer le pire répète sans cesse Galaï, aimer nous fait exiger le pire de l'autre démontre Papatakis. Gloria Mundi est de ce fait d'une impitoyable logique et n'est qu'un miroir glacial où se reflète la gloire de notre monde dont on est témoin et dont on subit ses misères.
Dans le rôle clé, on notera l'hallucinante interprétation de Olga Karlatos alors mariée à Papatakis qui livre ici un travail magistral, particulièrement dur et douloureux à mille lieues des films érotiques italiens et autres petites productions dans lesquelles elle se perdit trop souvent. Avec force et conviction, Olga nous offre là une composition très théâtrale, névrotique, intense. Elle s'offre corps et âme, sans pudeur, à ce film qui repose tout entier sur ses épaules. Elle est également l'interprète de "La tortura", la très belle chanson écrite par Papatakis lui même qui sert de générique final.
D'une incroyable richesse, Gloria Mundi bercé par les notes de Nico Fidenco est difficilement supportable. Très difficile d'accès, Il s'adresse à un public bien ciblé et préparé à cette très longue séance de tortures filmée quasiment en direct. Si les plus faibles abandonneront vite la vision du film, les plus endurcis, tout ceux qui comme nous au Maniaco ne se donnent aucune limite dans l'horreur et la souffrance en ressortiront certes étourdis mais frémissants de plaisir. Une chose est certaine, Gloria mundi est une sidérante et audacieuse tentative de cinéma "autre" comme on en a trop rarement vu en France, un film dérangeant, d'une noirceur et cruauté extrême comme on ne pourra plus jamais en faire aujourd'hui.
Il est à signaler que la version italienne est beaucoup plus courte que la version française quasi introuvable aujourd'hui d'une durée quant à elle de 115mn.