Salvare la faccia
Autres titres: La scandaleuse / Psychout for murder / Daddy said the world was lovely / Pecado en famiglia / Salvar la cara
Real: Rossano Brazzi
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Drame / Thriller
Durée: 89mn
Acteurs: Adrienne Larussa, Rossano Brazzi, Nino Castelnuovo, Paola Pitagora, Alberto de Mendoza, Idelma Carlo, Renzo Petretto, Néstor Garay, Nerio Bernardi, Marcello Bonini Olas, Jorge Guillermo Contini, Lia Tanzi, Valentino Macchi, Alba Maiolini...
Résumé: Fille d'un riche industriel Licia vient tout juste de sortir d'un hôpital psychiatrique où son père aidé de son petit ami Mario l'a faite enfermer afin d'éviter un scandale qui aurait pu être fatal à leur empire. Elle fut en effet piégée à la sortie d'un bordel. De retour à la villa familiale Licia, pas encore guérie, est bien décidée à se venger de ceux qui l'ont piégé. Elle met au point un plan machiavélique pour se débarrasser des coupables et se retrouver enfin seule avec son père pour définitivement le punir...
Frère du réalisateur et producteur Oscar Brazzi, Rossano Brazzi s'est surtout illustré en tant que comédien mais il passa également de l'autre coté de la caméra et mis en scène trois films entre 1966 et 1969. Salvare la faccia, son plus intéressant, fut le dernier des trois, produit bien entendu par Oscar aux cotés de Renato Polselli également responsable du scénario.
La jeune et séduisante Licia est la fille d'un riche industriel qui vient tout juste d'inaugurer l'ouverture d'une nouvelle usine. De tempérament rebelle Licia est récemment sortie d'un
asile psychiatrique où elle a été contrainte de faire un séjour assez long afin d'éviter un scandale familial puisque surprise dans un bordel. De retour à la villa familiale Licia est bien décidée à se venger de ceux qui l'ont enfermé et à ruiner l'entreprise de son père. Ce dernier est surtout inquiet non pas de la santé mentale de sa fille mais du scandale que la nouvelle de son séjour en hôpital psychiatrique provoquerait. Il souhaite que ce drame ne soit jamais découvert. La jeune fille retrouve son photographe de fiancé, Mario, qu'elle menace de tuer puisqu'il s'est allié à son père pour la faire interner contre une jolie somme d'argent. Elle lui laisse la vie sauve après qu'il lui ait juré de l'aider à se venger. Licia se
dresse contre sa soeur Giovanna, désormais mariée à Francesco, un homme qu'elle n'aime pas forcément mais à qui elle doit son coquet train de vie. Giovanna est l'antithèse de sa soeur sur le plan du caractère. Doucement Licia met en place un plan pour que chaque membre de la famille se dresse les uns contre les autres puis les élimine un à un de manière fort intelligente. Il ne reste à la fin que son père qu'elle a diaboliquement piégé, désormais prisonnier du plan diabolique de sa fille.
Que voilà un scénario passionnant ainsi retranscrit. Brazzi tenait là une solide intrigue qui malheureusement laisse le spectateur un peu sur sa faim. A mi chemin entre le thriller (les
manigances machiavéliques de Licia) et le drame social anti bourgeois alors très à la mode dans le cinéma italien de cette fin d'années 60 / début d'années 70 (les protagonistes sont de riches industriels plus intéressés par l'argent, le pouvoir et leur réputation que par le bonheur de chacun des membres de la famille) Salvare la faccia reste un peu flou et parfois confus pour réellement convaincre. Qui est donc Licia, 20 ans, fille de l'industriel Mario Brignoli? Son personnage pourtant central puisque toute l'intrigue tourne autour de lui reste un peu vague. Pourquoi a t-elle été internée en hôpital psychiatrique? Pourquoi cela doit-il rester secret si la famille Brignoli veut garder la face (d'où le titre du film), éviter un
scandale qui détruirait son empire? On le saura jamais vraiment hormis le fait qu'elle fut surprise à la sortie d'un bordel, un piège qu'on lui a visiblement tendu. La folie de Licia est pourtant au coeur même de l'histoire. On soupçonne une histoire d'amour interdite, une attitude rebelle anti bourgeoise qui mettait en danger les industries familiales. On devine le complot pour la faire enfermer mais rien n'est jamais vraiment précisé ce qui nuit à la force de l'intrigue. Difficile ainsi de s'attacher à Licia et de réellement comprendre ses motivations, comprendre sa ou ses névroses. Tout ce qu'on sait c'est que la jeune fille, pas réellement guérie vu ses accès de démence (mais était-elle déjà malade avant son internement, est
revenue se venger de ceux qui l'ont piégé, par la même occasion détruire une famille que désormais elle hait.
Aussi folle soit-elle Licia est intelligente, diabolique et tisse sa toile autour de chacun des membres de la famille: sa soeur, une femme soumise et obéissante qui a toujours profité de son mariage pour asseoir sa position, son beau-frère Francesco, un homme faible qui en plus a des vues sur elle (ce dont elle se servira pour se retourner contre lui), son amant qui a aidé son père à la faire interner, sa mère une vraie salope, et enfin son père, sa cible principale. Son but est de les éliminer un à un en faisant croire à un suicide, un meurtre, un accident puis de se retrouver enfin seule avec son père à qui elle réserve un sort peu
enviable plus psychologique que physique. Là encore aussi intéressante que soit la manière dont Licia réfléchit et agit difficile d'être captivé par son machiavélisme, par son souci du détail, tout simplement parce qu'il manque une véritable ambiance d'autant plus que Brazzi est loin d'être le maitre du suspens alors que tout ici s'y prêtait. Est absente justement cette atmosphère de folie, ce soupçon de haine vindicative née d'un esprit tourmenté, base même de toute l'histoire, le petit coté vénéneux des personnages tous plus détestables les uns que les autres. Brazzi distille lentement son poison mais il n'est visiblement pas très efficace en terme de force.
Si on suit donc ce thriller érotico-psychologique de manière passive, imperméable, tout son intérêt vient en fait de son coté pop. Les décors vintage fin années 60 très colorés (ceux d'une villa luxueuse déjà utilisée par Fellini) sont d'une beauté absolue, superbement éclairés et photographiés, un vrai plaisir visuel. On sera séduit par l'excellente partition musicale, très pop là encore, entre lounge 60s et pop psychédélique, signée du méconnu Benedetto Ghiglia, un régal auditif explosif. On appréciera certains effets visuels typiques de l'époque: grand angle, zooms déformants, images arty-pop quasi warholiennes dont Brazzi use et abuse tels ces gros plans d'une sensualité exacerbée sur une bouche, une oreille,
une main effleurant un corps... en ouverture de film. On se régalera de ce magnifique étalage de costumes et tenues fabuleusement psychédéliques que portent Licia et ses amis hippies et autres contestataires. Enfin on sera séduit par la beauté d'Adrienne Larussa (la future Beatrice Cenci du Liens d'amour et de sang de Lucio Fulci), tout juste vingt ans, que le cinéaste sublime, met tout particulièrement en valeur et par son interprétation de Licia à qui elle tente de donner corps de façon très professionnelle. Adrienne dont la carrière sera avortée par le scandale du film de Fulci reste l'atout majeur du film même s'il lui manque ce petit quelque chose qui nous la ferait détester ou tout simplement la rendrait attachante dans sa folie.
Intéressant aussi est la manière dont Brazzi joue entre une certaine réalité et une réalité fantasmée (les visions de Licia imaginant ses meurtres, les interférences entre le passé et le présent fort bien montées), de quoi suffisamment troubler le spectateur, le perdre dans les méandres de la névrose de la jeune fille et ainsi retenir son attention. On mentionnera aussi le final assez inattendu, une vengeance psychologique qui change des traditionnelles fins où le principal coupable meurt mais là encore on aurait aimé un peu plus de force dans ces ultimes images platement amenées. Quant à l'érotisme s'il reste léger il n'en est pas moins présent, délicat, sensuel, velouté, parfois très suggestif (la masturbation de Licia
dans son bain, le champagne sur le corps de Mario) même si, il est important de le préciser, le film fut tourné en deux versions. La version italienne se veut chaste, époque oblige,Adrienne Larussa se dévêt mais n'apparait jamais nue. La version internationale (anglaise) joue bien plus sur le nu, Brazzi ayant sciemment filmé son héroïne cette fois bel et bien nue lors de plusieurs scènes. Un autre trait plutôt intéressant et suffisamment rare pour l'époque, nous sommes en 1969, est le message sous-jacent particulièrement féministe que semble tenir Brazzi qu'on perçoit à travers certains dialogues. Licia est une fille moderne, libérée qui s'éloigne du schéma patriarcal tout puissant. Elle ne dépend
d'aucun homme, vit sa propre vie sans compter sur personne (contrairement à sa soeur soumise) et revendique sa sexualité, un thème qui allait devenir très à la mode avec la libération des moeurs. Elle clame et haut et fort, sans aucune gêne qu'elle a couché avec un homme, qu'elle assume cette émancipation ("J'ai couché avec un homme sans être mariée, je ne suis ni la première ni la dernière"), une conduite inacceptable au coeur d'une bourgeoisie encore coincée et surtout très hypocrite. Salvare la faccia qui à sa façon annonce toute une vague de gialli se veut donc bien plus profond, bien moins anodin qu'il n'en a l'air et c'est là une qualité indéniable du film.
Coté interprétation autour d'Adrienne Larussa on retrouve un très séduisant Nino Castelnuovo dans le rôle de Mario, le petit ami, dont la mort très astucieuse n'est guère enviable. L'argentin Alberto De Mendoza est Francesco. La séduisante et fragile Paola Pitagora est excellente dans la peau de la soeur de Licia. C'est Rossano Brazzi lui même qui endosse le rôle du père.
Inédit en France, peu connu, Salvare la faccia, entièrement tourné en Toscane, est un joli condensé de thriller érotico-psychologique mâtiné de drame antibourgeois tendance socio-politique qui n'est certainement pas parfait mais qui mérite néanmoins toute l'attention de
l'amateur. Plus dense et complexe qu'il n'y parait, l'ultime film de Brazzi fourmille d'idées pas toujours très bien utilisées mais toujours intéressantes, opte pour un style peu évident pas forcément toujours maitrisé. Il se laisse pourtant regarder avec un plaisir certain, retiendra forcément l'attention du spectateur ne serait-ce que par les multiples facettes qu'il développe et séduira tout ceux qui sont sensibles au charme unique de cette fin d'années 60 / début d'années 70, ce coté très pop, très arty qui définit cette pellicule empoisonnée transformée en cette occasion en un petit bijou visuel et auditif.