Il sapore del grano
Autres titres: The flavour of the corn / O sabor do grao / Di qual der liebe / The taste of wheat
Real: Gianni Di Campo
Année: 1986
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 89mn
Acteurs: Lorenzo Lena, Marco Mestriner, Alba Mottura, Egidio Termine, Mattia Pinoli, Paolo Garlato, Elena Barbalich, Marina Vlady, Elisabetta Barbini, Efisio Coletti, Maria Baldo, Michele Pastres...
Résumé: Au début des années 80 dans un petit village au coeur de la campagne vénitienne Lorenzo, jeune professeur d'italien, débute sa première année d'enseignement. Très vite un de ses élèves, Duilio, 13 ans, se prend d'amitié pour lui. Lorenzo décide de lui donner des cours particuliers à la ferme de son père. Leur relation devient vite ambigüe. Même s'il sort avec Cecilia Lorenzo n'est pas insensible aux sentiments que lui porte l'adolescent. De plus en proche l'enseignant et l'enfant ne se quittent plus. La belle-mère de Duilio commence à deviner la véritable nature de leur relation. Elle demande à Lorenzo, déchiré entre Cecilia et ce qu'il ressent pour son élève, d'y mettre un terme...
Auteur de seulement trois films dont il est également le scénariste l'écrivain, traducteur (spécialisé dans les oeuvres de Simenon) et professeur de lettres le vénitien Gianni Di Campo, décédé en 2014, clôt sa très courte carrière cinématographique en 1986 avec Il sapore del grano, un drame mis en scène quinze ans après sa dernière réalisation Pagine chiuse. Pour son chant du cygne Di Campo a choisi de traiter d'un sujet que le cinéma italien n'a jamais vraiment abordé si ce n'est à travers la comédie populaire, l'homosexualité masculine. Le film est d'autant plus intéressant que le metteur en scène n'a pas choisi la
voie la plus facile puisque Il sapore del grano conte ni plus ni moins que l'histoire d'un amour naissant entre un jeune professeur et un de ses élèves âgé de 13 ans, soit deux thèmes délicats en un, celui de l'homosexualité et des amours interdites.
Les années 80. Lorenzo, jeune professeur d'italien d'environ 20 ans, entame sa première année d'enseignement dans un petit collège au coeur d'un village de la campagne vénitienne. Dés son arrivée le directeur le met en garde contre ses méthodes jugées un peu trop libres. Dans ces villages ruraux où on fait encore croire qu'on ne fait pas les bébés mais qu'on les achète il y a des choses dont on ne parle pas, des livres et des auteurs qu'on ne lit
pas comme il est interdit pour un professeur de donner des cours particuliers payants. Lorenzo assume pourtant ses choix d'autant plus qu'un de ses élèves, Duilio, 13 ans, s'est pris d'affection pour lui. La mère de Duilio est morte en accouchant. Il vit avec son père, un paysan, ses grands-parents et sa belle-mère. Chaque jour Lorenzo vient chez son élève pour lui donner des cours gratuits mais ses venues ne se limitent pas seulement aux cours. Ils aiment se promener dans la campagne, faire du vélo. L'attitude de l'adolescent ne semble laisser place à aucun doute. Lorenzo s'amourache cependant de Cecilia à qui il fait souvent l'amour. Lorsqu'il souhaite que leur relation devienne plus sérieuse elle lui annonce qu'elle
est déjà fiancée et s'apprête à se marier. Lorenzo n'est pour elle qu'un agréable passe-temps sexuel auquel elle tient. Déçu, mal à l'aise d'autant plus qu'elle lui a présenté Bruno son futur époux Lorenzo finit par rompre et poursuit sa relation ambigüe avec l'enfant. Alors qu'il se rapproche de plus en plus de Duilio suite à un baiser sur les lèvres leur relation commence à soulever des interrogations au collège. Soupçonnant son homosexualité un élève se met à se masturber devant Lorenzo durant un cours. C'est ensuite au tour de la belle-mère de Duilio de se poser des questions. Persuadée qu'il se passe quelque chose entre le professeur et l'enfant elle le met face à ses responsabilités. Elle en parle à son père
qui avait déjà remarqué que son fils s'éloignait de lui. Lorenzo déchiré dans ses sentiments contradictoires doit maintenant faire un choix. Après avoir constaté que les sentiments de Lorenzo envers Duilio sont purs la belle-mère s'excuse mais Lorenzo a fait son choix. Muté à la rentrée scolaire dans une autre ville il quitte le village laissant Duilio en larmes. Il est trop tard pour revenir en arrière. Lorenzo comprend son erreur. Il ne reverra plus l'adolescent avec qui il aurait pu vivre une relation homosexuelle pure et sincère.
L'idée du film est née vingt ans plus tôt, au milieu des années 60. Mais son thème, l'homosexualité, et plus particulièrement les amours interdites entre un jeune professeur et
un élève, découragea Di Campo à qui les producteurs claquaient la porte au nez. En ces années, en Italie du surcroit, on ne plaisantait pas avec ces choses. On parlait simplement de pédophilie. Di Campo réalisa donc Pagine chiuse (la souffrance d'un enfant mis en pension dans un institut religieux strict), palme d'or au festival de Cannes 1969, et dut attendre 1986 pour enfin pouvoir mettre en chantier Il sapore di grano. Le résultat aussi louable soit-il est malheureusement décevant. Di Campo signe un film sobre, très pudique qui met avant tout en exergue la beauté des sentiments, la tendresse, la sensibilité de ces jeunes protagonistes tout en immergeant le spectateur dans l'Italie des années 80, celle des
campagnes vénitiennes, du monde rural où on accepte encore très mal la différence, ces campagnes où la sexualité est toujours taboue, vierge de cette perversion venue des villes que d'une certaine manière incarne Lorenzo, jeune universitaire dont c'est la première année d'enseignement. Di Campo décrit cet univers, cette vie au quotidien rythmée par le travail du grain avec une grande simplicité, un naturel évident comme il décrit les rapports entre son professeur et cet adolescent de 13 ans qui physiquement est encore un enfant mais qui sentimentalement parlant, du point de vue de ses désirs, devient doucement un homme. Parallèlement Di Campo tente de décrire les rapports souvent tendus entre Lorenzo et une
institution scolaire fermée, conservatrice reposant sur ses convictions religieuses mettant régulièrement en porte-à-faux le professeur coincé entre ses obligations pédagogiques et ses désirs d'homme, ses sentiments personnels et l'ostracisme auquel il doit faire face, entre une hétérosexualité et son homosexualité latente qu'il découvre à travers l'adolescent.
L'histoire est d'une évidente sincérité, pleine de délicatesse, empreinte d'une certaine poésie. Les intentions sont belles à l'image des très jolies scènes campagnardes, bucoliques, ces moments souvent intenses que vivent le professeur et l'enfant, entre amitié et désirs plus profonds, assumés ou refoulés. Malheureusement la mise en scène ne suit
pas, trop plate, presque monotone. En fait le principal défaut du film est de n'avoir pas su créer de véritable atmosphère, faire naitre l'émotion. L'ensemble est trop lisse. Difficile dans ces conditions d'accrocher à ce "coming of age" à l'italienne, de ressentir de l'empathie pour ces protagonistes trop superficiels pour susciter une réaction digne de ce nom. Tourné sans aucun budget Il sapore del grano pourrait même finir par ennuyer d'autant plus qu'il n'y a aucune véritable scène clé. On attend en vain, on s'accroche aux magnifiques images véritables peintures campagnardes par moment, à l'aspect bucolique de l'ensemble, à quelques séquences sympathiques dont on attend tellement plus et à la beauté des deux
jeunes acteurs. Voilà qui est peu pour ne pas ressentir une certaine frustration d'autant plus que l'interprétation n'est pas à la hauteur de l'intrigue, celle du jeune et ravissant Lorenzo Lena en tête dans le rôle du professeur. Acteur fétiche de Salvatore Sampieri le blond Lorenzo avait été le héros déjà assez fade de Plaisirs interdits et La bonne dans lesquels il dévoilait son corps nu. Il le dévoile tout autant ici lors des scènes de sexe entre lui et Cecilia mais le problème avec Lorenzo est que son jeu d'acteur est souvent inversement proportionnel à sa beauté physique. Peu convaincant en professeur troublé sa récitation est en outre trop monotone, à mille lieues de ce que son personnage exigeait. Il s'écroule donc
assez rapidement et laisse place à un simple caractère de roman-photo dont on ne ressent jamais vraiment le trouble, le dilemme auquel il fait face. C'est d'autant plus dommage que le petit Marco Mestriner, l'interprète de Duilio, est particulièrement convaincant dans la peau de ce pré-adolescent en proie à ses premiers désirs. Pour son seul et unique rôle à l'écran Marco fait ici une jolie performance, pas forcément évidente, tout en justesse et pudeur. Le décalage de jeu entre eux fait que le duo ne fonctionne pas vraiment alors qu'il devait être la lance de fer du film. Quant à Marina Vlady dans le tablier de la belle-mère, on a connu l'actrice bien plus poignante.
Trop superficiel pour vraiment fonctionner à l'image même de ses protagonistes Il sapore del grano qui joue essentiellement sur l'aspect poétique et intimiste de l'intrigue reste une oeuvre trop schématique, inoffensive, à mille lieues de ce que le cinéma italien avait pu proposer bien des années plus tôt. L'authenticité du metteur en scène a du mal à sauver le film de la monotonie. Quant aux rapports entre l'enfant et son professeur qu'on ne se fasse guère d'illusion. Di Campo met parfaitement en valeur le petit Marco Mestriner, très expressif dans ses désirs, il sait le mettre torse nu, troublant son professeur lors d'une scène de douche en plein air mais il n'ira pas plus loin (contrairement à Pagine chiuse où il filmait ses
jeunes pensionnaires nus sous les douches, une scène qui en 1969 avait fait scandale en Italie). Il nous faudra ici nous contenter d'un simple baiser sur les lèvres volé dans l'étable (l'imagination fera le reste lorsque la porte se referme) et d'une scène de masturbation en pleine classe, celle d'un collégien qui tente de provoquer Lorenzo, Di Campo filmant l'entre jambe de l'adolescent lentement gonfler sous son jean.
En son temps Il sapore del grano fut projeté au festival de Venise puis l'année suivante obtint le prix Kim Arcalli au Festival du cinéma néoréaliste d'Avellino. Il fut aussi projeté lors de la seconde édition du festival du cinéma LGTB (le cinéma gay lesbien trans et bi) de Turin.
Malgré ces différentes projections Il sapore del grano ne connut aucune véritable sortie en salles en Italie (et ailleurs dans le monde). Le film fut boudé, occulté par les distributeurs extrêmement réticents voire choqués par cette histoire d'amour entre un pré-ado et son professeur. Le film disparut alors lentement pour ne plus être visible que via une VHS italienne. Ce n'est qu'en 2010 que le film ressurgit des abysses dans lequel il avait été plongé grâce à une projection publique puis à sa première sortie en DVD en 2012 accompagnée d'une interview du réalisateur, une édition qui lui donna certes une seconde chance mais qui ne parvint pas à vraiment le faire connaitre.
S'il faudra attendre par la suite presque dix ans pour qu'en Italie soit de nouveau tourné un film traitant d'une histoire d'amour entre un adolescent et un adulte (Pianese Nunzio 14 anni a maggio où les amours d'un prêtre et d'un jeune garçon de 14 ans) Il sapore del grano quelques soient ses défauts reste une oeuvre qui a sa place dans l'histoire du cinéma italien d'une part, de l'homosexualité à l'écran d'autre part. Du film de Di Campo on se souviendra surtout de sa poésie, de son authenticité, de la tendresse et la sensibilité qui en émanent, de cette pureté (souvent traduite par des couleurs très claires, le blanc immaculé des vêtements). Un peu plus de profondeur, un peu plus d'émotion et de force, un jeu d'acteur plus appuyé et Il sapore di grano aurait été un petit bijou du genre. En l'état c'est simplement un joli film traitant d'un sujet délicat.